Environnement — Béziers Méditerranée

Alignan-du-Vent : Charline et Nicolas Bouchard, des vignerons à l’épreuve de la crise climatique

L’année 2021 a été marquée par des épisodes de gel à répétition. Depuis l’été 2022, la sécheresse s’abat sur les vignes françaises…


Cela fait maintenant près de 5 ans que les vignes souffrent des conditions climatiques. Manque d’eau, fortes chaleurs, comment les viticulteurs vivent-ils la sécheresse actuelle ? Interview de Charline et Nicolas Bouchard, viticulteurs à Alignan-du-Vent dans la plaine des IGP Côtes de Thongue.

Abbaye Sylva Plana
Abbaye Sylva Plana

Qui êtes-vous, quels sont vos parcours ?

Charline Bouchard : « Après des études commerciales, je me suis lancée dans la commercialisation du vin et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Nicolas. De son côté, Nicolas a fait des études dans le domaine vitivinicole, et a réalisé un stage d’installation en Australie. En 1998, il a repris les domaines familiaux. Cela fait donc maintenant 20 ans que nous travaillons ensemble sur deux domaines. L’Abbaye Sylva Plana en AOC Faugères et le domaine Deshenrys en IGP Côtes de Thongue, dont nous parlerons dans cette interview. »

Parlez-nous de vos vignes…

Nicolas Bouchard : « Le domaine de Deshenrys est une propriété de la famille Bouchard depuis cinq générations. Deshenrys doit son nom au prénom Henry, donné aux différents responsables qui se sont
succédé aux destinées du domaine. Implanté sur la commune d’Alignan du vent, ce « bien de village »,
bénéficie d’une palette d’excellents terroirs différents, sur lesquels ont été implantés les cépages correspondant au sol.

Abbaye Sylva Plana Laurens
Abbaye Sylva Plana Laurens

Le domaine Deshenrys, d’une superficie 55 hectares, est dirigé par Nicolas Bouchard, cinquième génération de vignerons. Charline l’a rejoint en 2002, pour diriger les domaines et
pour s’occuper de la commercialisation des vins. Il associe le terroir villafranchien aux cépages blancs
et rouges qui sont assemblés pour donner des vins originaux et aromatiques. Les Sousbergues calcaires du miocène pour les blancs, avec une diversité de cépages : Sauvignon, Chardonnay, Vermentino, Roussanne, Petit Manseng et Alvarinho. Le résultat de cette diversité de terroirs est surprenant, harmonieux, équilibré et charmeur. Les brises marines et la tramontane tempèrent l’ensoleillement.

Terrasses villafranchiennes avec des sols argilograveleux, du pliocène et marnes argilo-calcaires des hauts des piochs pour les rouges, assemblage de cépages méditerranéen et océanique : Syrah, Grenache, Carignan, Merlot, Cabernet Sauvignon, Petit Verdot, Marselan et Sangiovese. Le domaine est labélisé HVE depuis le millésime 2021. De son côté, l’Abbaye Sylvana Plana est un héritage cistercien. Nous défendons fièrement cet héritage de 900 ans, autour de l’abbaye en ruine de Sylvanès (bâtie en 1139), dont certaines des vignes attenantes entrent dans la composition de nos 54 hectares de vignoble. Les vignes sont plantées sur des sols de schistes, d’argilocalcaire et de marbres gris. Les raisins sont récoltés et triés à la main. Nous prenons le plus grand soin de la garrigue qui borde nos vignes afin d’y encourager la biodiversité et la nidification des chauves-souris et des bergeronnettes. Nous sommes fiers de travailler dans le plus grand respect de la nature et de la qualité. »

Abbaye Sylva Plana Laurens
Abbaye Sylva Plana Laurens

Qu’est-ce qui vous plaît le plus au quotidien ?

Charline Bouchard : « Ce n’est pas au quotidien qu’il faut voir cela, mais plutôt annuellement, c’est-à-dire que nous parlons en termes de millésime. Ce qui est intéressant, c’est de fabriquer, créer un nouveau millésime chaque année avec les conditions climatiques que la nature nous donne et donc en s’adaptant à Dame Nature qui, il est vrai, n’est pas très gentille avec nous ces dernières années.
C’est donc d’essayer de reproduire le même vin en l’améliorant d’année en année, de millésime en
millésime, en répondant, en écoutant la demande du consommateur. »

L’agriculture biologique, un point d’orgue pour vous ?

Nicolas Bouchard : « Sur le domaine Deshenrys, nous ne sommes pas en bio, mais en HVE (Haute
valeur environnementale), mais sur l’autre domaine, l’abbaye Sylva-Plana, oui, nous sommes en bio. Un
point important, je ne sais pas, mais une évidence par rapport à la consommation et aux consommateurs, une prise de conscience pour les générations futures, certainement. Mais il faut faire attention, car au vu du contexte actuel, de la conjoncture, que l’aspect économique ne rattrape pas l’idéologie, la philosophie bio. En effet, faire du bio, que cela soit dans tous les domaines, demande des moyens économiques plus importants, et comme tout cela est répercuté sur nos produits, il ne faut donc pas que ce coût repousse, à terme, les consommateurs rattrapés par la réalité économique du moment. »

Quel est l’impact de la sécheresse sur vos récoltes ?

Charline Bouchard : « La sécheresse va forcément avoir un impact sur les récoltes. En termes d’une part de quantité, de qualité à court terme, mais également et surtout en termes de viabilité de la vigne de certains cépages à long terme. Cela aura forcément un impact sur les rendements également, car le raisin comporte au moins 80 % d’eau. C’est l’eau qui fait grossir les raisins, donc avec moins d’eau, les raisins seront moins gros, donc un rendement plus petit. Ce qui est important pour nous vignerons indépendants, c’est la maturité phénolique d’un raisin. En effet il y a la maturité alcoolique, c’est-à-dire le degré d’alcool que fera le futur vin, et la maturité phénolique du raisin, c’est-à-dire la maturité des arômes et des tanins. Donc le manque d’eau va induire des raisins moins gros et le phénomène de concentration du raisin va se produire. Il va y avoir un blocage de la maturité du raisin, ce qui va nous pousser à attendre que le raisin soit bien mûr, mais jusqu’à un certain point. Si nous attendons trop, le raisin va se sécher et il n’y aura plus de jus. Donc la sécheresse ne va pas amener à une précocité, par contre une bonne pluie et une grande chaleur peuvent amener à des vendanges plus rapides. Le raisin se gonfle d’eau, la chaleur le fait mûrir, mais il n’y a pas de blocage dans la phase de maturité phénolique. »

Avez-vous mis en place des solutions pour vous adapter au problème ?

Nicolas Bouchard : « Il existe actuellement pour nous trois solutions. La première est l’irrigation dans certaines zones, mais elle est pour le moment bloquée. Qui dit sécheresse, dit aussi pénurie d’eau dans les bassins, lac et autres, donc en ces temps, il est très difficile d’agrandir le réseau d’irrigation par ce manque d’eau. Les réseaux déjà en place sont même, à l’heure actuelle, souvent contrôlés et avec des restrictions, donc agrandir le réseau est compliqué. Il faudrait peut-être étudier un recyclage des mers et océans, un recyclage des eaux usées, etc. La seconde est la mise en place de cépages plus résistants comme par exemple le carignan. Comme nos confrères espagnols ou italiens, nous avons mis
cela en place tout doucement, mais cela demande du temps. Une vigne plantée demande trois années avant de produire et nécessite beaucoup de travail et d’attention et donc de main-d’œuvre, ce qui actuellement manque cruellement… Mais là nous entrons dans un autre débat. La dernière solution est la mise en place d’un enherbement dans les vignes, ce que nous allons faire l’année prochaine. Un enherbement avec des semences bien spécifiques, qui permettront d’une part de protéger le vivant de la terre et d’y amener des minéraux, mais également et surtout de garder l’humidité, la rosée du matin.»

Y a-t-il des cépages moins sensibles à la sécheresse que d’autres ?

Charline Bouchard : « Oui, comme évoqué plus haut, le carignan typique régional, mais aussi des cépages de nos confrères méditerranéens, comme le sangiovese que nous avons dans notre exploitation ou le rolle et l’alvarhino, cépages italiens que nous avons aussi. Mais même ces cépages ont des limites en termes de sécheresse. »

Avez-vous des rêves, des projets pour vos domaines ?

Charline Bouchard : « Que les gens retrouvent l’envie de vivre, de rigoler, de s’amuser et donc de
consommer. »

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