Professions du droit et du chiffre — Montpellier

Avocats, Maxime Rosier et Iris Christol : "nos projets pour le barreau de Montpellier en 2023"

Les nouveaux cobâtonniers du barreau de Montpellier ont pris leurs fonctions le 1er janvier 2023, pour deux années qui s’annoncent chargées. Fédération des confrères, dialogues avec les chefs de juridiction et grands projets sont au programme de leur mandat.

Les cobâtonniers Iris Christol et Maxime Rosier © Virginie Moreau.

Le 17 janvier, Nicolas Bedel de Buzareingues vous transmettra le bâton de bâtonnier. Quel est votre ressenti à l’approche de cette date importante ?

Maxime Rosier : « Je suis très ému et très conscient de ce que cette fonction de bâtonnier représente pour les confrères et pour l’Ordre. C’est un moment d”émotion et de sérieux. Nous en ressentons l’enjeu et un peu de pression. »

Iris Christol : « C’est aussi un moment symbolique durant lequel nous prendrons notre élan. Nous avons beaucoup réfléchi depuis plusieurs mois à ce que nous avions envie de faire pour notre barreau et à la chance que nous avons d’être deux pour gérer efficacement toutes les tâches du quotidien – dans lesquelles en général les bâtonniers finissent un peu par se noyer – tout en conservant l’élan, l’ambition pour réaliser les projets que nous portons pour notre barreau. »

Quels seront les grands événements pour le barreau de Montpellier en 2023 ?

Maxime Rosier : « Le 17 janvier sera le premier moment fort des vœux aux avocats avec la première cérémonie de transmission du bâton. Nous y accordons de l’importance parce que cela montre que nous nous inscrivons dans les pas de nos prédécesseurs et dans une tradition. Nous ne faisons que passer, nous ne sommes qu’un maillon d’une chaîne de bâtonniers et de bâtonnières depuis le début du XIXe siècle.

Nous allons organiser tout au long de l’année un certain nombre d’événements que nous souhaitons mettre en résonance les uns avec les autres. Nous ferons deux banquets de l’Ordre en été, avant les vacances judiciaires, au lieu d’un banquet d’été et un banquet d’hiver. Nous profiterons ainsi de l’arrivée des beaux jours. Durant l’été 2023, nous accueillerons à Montpellier l’Université d’été des barreaux organisée par la Conférence des bâtonniers. Nous recevrons à cette occasion tous les bâtonniers de France à Montpellier. Toujours en 2023, nous célébrerons les 70 ans de la juridiction administrative, dont le format n’est pas encore arrêté. Nous comptons également réorganiser et étendre la Nuit du Droit dans plusieurs lieux de la ville. Nous allons aussi essayer de remettre sur pied un Concours de la conférence – un concours d’éloquence. Nous organiserons également un Prix littéraire du barreau à la Comédie du Livre, ainsi que des rencontres-débats d’auteurs autour du monde judiciaire, toute l’année. Nous voulons également faire un Forum des Cabinets d’avocats à la faculté de droit pour éviter la fuite des cerveaux à Paris. Pour sa part, la rentrée solennelle aura lieu en 2024, puisqu’elle se tient une année sur deux.
L’idée de tous ces événements est d’ouvrir l’Ordre aux avocats et d’ouvrir le monde des avocats sur la cité. Nous avons pour volonté de rassembler les avocats le plus souvent possible pour qu’ils ressentent leur appartenance à une même famille et d’assurer la meilleure représentation possible du monde des avocats et du barreau de Montpellier dans son territoire. »

Iris Christol : « Les rencontres-débats et le prix littéraire ont pour ambition de permettre aux avocats de réfléchir ensemble et de tirer toutes les problématiques vers le haut. Ces rencontres seront ouvertes au public pour enrichir le débat. Cela permettra de montrer que le monde des avocats réfléchit autour de ce qui se passe dans le monde judiciaire, autour des enjeux démocratiques, pratiques… Dans l’idéal, nous souhaiterions inviter Vanessa Springora pour parler du consentement avec des avocats, afin de nuancer le propos ; et Pascale Robert-Diard pour évoquer son ouvrage La petite menteuse. On aimerait apporter une contribution au débat public : selon nous, il faut toujours apporter de la nuance en toute chose, il est important de prendre le temps avant de juger et de se faire un avis, il faut de la pondération. Nous voulons donner à penser plutôt que du prêt à penser… Les avocats avec ou sans robe sont au carrefour de la créativité, de la technique, de tout ce qui fait bouger les lignes. Il y a une immense capacité de réflexion dans ce barreau que nous voulons animer et mettre en lumière. »

Quels sont les premiers dossiers qui se présentent à vous ?

Maxime Rosier : « La gestion quotidienne de l’Ordre et la gestion des projets que nous voulons faire vivre, et dont nous venons de parler. La gestion quotidienne est un travail qui accapare extraordinairement le bâtonnier, d’où l’intérêt d’être deux pour assurer cette fonction. Elle a ses urgences, sur lesquelles nous avons déjà commencé à travailler : l’accès des avocats aux juridictions, le fonctionnement de l’aide juridictionnelle, les délais de jugement dans certaines matières, le périmètre du droit, l’invention de nouveaux modes d’exercice, la communication commerciale des avocats, la déontologie, la réforme de la discipline qui vient d’entrer en vigueur… »

Iris Christol : « Tous les jours, nous gérons des plaintes, des difficultés, des contestations d’honoraires par des particuliers, des avocats qui nous saisissent contre d’autres avocats ou des magistrats… Le bâtonnier a cette fonction juridictionnelle. Il arbitre les difficultés entre avocats, il est présent en soutien lors des incidents d’audience… Le soutien aux avocats au quotidien est une priorité pour nous. Nous sommes là pour eux, jamais contre eux. Nous voulons faire en sorte que l’Ordre soit un facilitateur de l’exercice de chaque avocat, un soutien en cas de problème de santé, professionnel, économique… »

Maxime Rosier : « Pour cela, nous tenons à rendre hommage au personnel de l’Ordre, ces 12 salariés, fidèles depuis longtemps, qui font fonctionner la machine bâtonnier après bâtonnier. Ils sont la mémoire de l’Ordre. Nous voulons faire en sorte de travailler en harmonie avec eux. »

Vos projets sont de rassembler vos confrères. Sont-ils désunis ?

Iris Christol : « Avoir la conscience d’appartenir à la même famille est important ; c’est pour cela que de nombreux événements se tiendront à la Maison des Avocats, car c’est notre maison à tous. Nous avons la volonté de fédérer les avocats qui, malgré des pratiques et des modes d’exercice différents, appartiennent à une même communauté d’actions et d’idées bienveillante. Ici ils sont chez eux. Il s’agit pour nous de rassembler une famille éparpillée.

Maxime Rosier : « Le barreau compte environ 1 300 avocats. La profession a beaucoup changé, le nombre d’avocats a beaucoup augmenté, la fusion avec les conseils juridiques n’est pas encore totalement digérée, il y a eu l’arrivée de nouvelles générations… Nous voulons faire sentir à tous les confrères que ce qui nous unit en termes de philosophie et d’actions est plus fort que ce qui nous désunit. Nous y parvenons déjà un peu. Pour le Conseil de l’Ordre, pas moins de 10 binômes se sont présentés pour 4 postes. Pour notre élection et pour celles au Conseil de l’Ordre, le taux de participation était très élevé (respectivement de 80 et 75 %). Nous voulons renforcer cet intérêt en ramenant à la Maison le barreau d’affaires et le barreau public, qui s’en étaient un peu éloignés, et en ouvrant les commissions de l’Ordre aux non-membres du Conseil de l’Ordre. Nous avons invité les barreaux d’affaires à la Maison des Avocats. Certains qui n’y étaient jamais venus ont été contents qu’on les y reçoive et que l’on se saisisse de la problématique du guichet unique des formalités aux entreprises. »

Les cobâtonniers Iris Christol et Maxime Rosier © Virginie Moreau
Les cobâtonniers Iris Christol et Maxime Rosier © Virginie Moreau

Quel est l’état de la justice à Montpellier ?

Iris Christol : « Nous faisons un bien triste constat : un peu plus d’une cinquantaine de magistrats et plus de 200 personnels de greffe, c’est très insuffisant ; et les délais sont insurmontables pour certains justiciables. Dans nos exercices quotidiens, surtout la justice prud’homale, c’est très compliqué. Entre le moment ou une personne a des difficultés et sa résolution définitive en appel, il faut parfois cinq ans. Au juge aux affaires familiales, on a des requêtes à dix mois ! L’urgence et les politiques pénales commandent parfois de traiter en priorité certaines affaires, au détriment d’autres. Par exemple, les violences conjugales supposées suite à une plainte génèrent souvent des procédures très rapides et contraignantes, en revanche quand vous venez déposer une plainte pour un viol sur mineur, qui devrait être traitée en priorité, on vous répond que l’on n’a pas le temps. En août il y a 4 fonctionnaires pour gérer des centaines de plaintes au commissariat central à Montpellier et on conseille aux gens de se rendre en gendarmerie. Tout cela devient absurde à force de complexité. Je trouve inconséquent d’inviter des gens à déposer une plainte sans être en capacité de la traiter. Cela majore le préjudice des personnes qui se disent victimes, leur mésestime d’eux-mêmes et leur sentiment d’impuissance. Pour tous les confrères qui exercent dans ces matières-là, il est difficile de gérer cette violence institutionnelle infligée à leurs clients qui viennent dénoncer des faits gravissimes. Je n’accuse personne, mais la question est quand mettra-t-on enfin les moyens pour financer des politiques publiques ? La problématique de la justice est de faire pas trop mal avec rarement plus de moyens mais avec toujours plus de contentieux. »

Maxime Rosier : « Tout ceci n’est pas propre à Montpellier et ce n’est pas non plus une revendication corporatiste. La justice est un cas à part ; son budget est le 14e en Europe. Il y a approximativement le même nombre de magistrats en France en 2023 qu’au milieu du XIXe siècle, alors qu’il y a 40 millions d’habitants de plus et que la société s’est judiciarisée. La situation nationale et montpelliéraine est désastreuse. La seule façon, puisque nous sommes tous dans le même pétrin, est que cela nourrisse non pas la défiance entre avocats et magistrats ou entre les confrères, mais que cela renforce les valeurs qui nous permettent de travailler encore ensemble avec ces bouts de ficelle pour contribuer à l’œuvre de justice. Ces principes et valeurs qui nous permettent d’avancer, ce sont la confraternité entre avocats et la déontologie croisée de courtoisie et de foi du palais entre avocats et magistrats.

Nous avons pu établir un dialogue de qualité avec les chefs d’un certain nombre de juridictions ; nous espérons arriver à une pratique de qualité. La défiance n’a pas pris le pas malgré le manque de moyens. Nous avons retissé la confiance, notamment grâce à la Nuit du Droit. C’était en soi une œuvre commune – comme l’œuvre de justice – avec des personnes désireuses de partager ce qu’est la justice avec le public. Ce fut un moment fécond. Ces événements portent leurs fruits ; ce sont les jalons d’un dialogue qui sera constructif et qui produira des bénéfices pour chacun. La Justice est totalement en déréliction, mais en cultivant la confraternité et la foi du palais, nous trouvons des solutions à des problèmes concrets. Les chefs de juridiction sont ouverts à ce dialogue, on peut leur rendre cet hommage. »

Par quoi passe la défense de la profession selon vous ? Quels dangers la menacent ?

Iris Christol : « La dichotomie entre le secret de la défense et le secret du conseil est en soi une menace considérable car la qualité du secret n’est pas la même. J’attends avec un vif intérêt la simplification de la procédure pénale annoncée. Si elle consiste à ne plus avoir besoin de demander l’avis d’un juge pour placer sur écoute un avocat, nous ne pourrons pas être d’accord. Quelle simplification, quels arbitrages seront faits, à quoi va-t-on renoncer ? Nous serons vigilants… »

Maxime Rosier : « La méconnaissance par le grand public de ce qu’est la justice, de son fonctionnement, de ce que portent les avocats, conduit à des discours à l’emporte-pièce sur les réseaux et médias sociaux et dans les médias – je pense notamment aux talk-shows de chaînes privées portant sur des affaires dramatiques –, et à une demande de justice lapidaire et sans nuances. La vraie menace en France est cette inculture de ce que c’est que juger, de la complexité et de la nuance dans le rapport aux choses humaines, ce que l’on retrouve dans les Souvenirs de la Cour d’assises de Gide notamment. Cela conduit – par le prisme du café du commerce qui se répand (réseaux sociaux ou un certain nombre de médias) – à cultiver dans l’opinion un goût populiste pour une justice expéditive. Cela menace l’avocat, l’Etat de droit et la démocratie. C’est le combat éternel des avocats. Avant d’être nommés, les jurés de cours d’assises pensent souvent que rendre la justice est simple. Mais lorsqu’ils se prêtent à l’exercice, ils comprennent que juger prend du temps et qu’il ne faut pas se prononcer dans l’instant, sous le coup de l’émotion. Il faudrait que tout le monde fasse cette expérience pour mesurer la complexité des choses et comprenne qu’il faut différencier une opinion d’un fait. On en sort changé à vie ».

Les actions à l’international du barreau de Montpellier seront-elles prolongées ?

Maxime Rosier : « L’Ordre est organisé avec des bâtonniers, un Conseil de l’Ordre et des commissions, dont une commission International. Le bâtonnier Bedel de Buzareingues a fait beaucoup de choses en 2022 pour soutenir les avocats menacés dans leur pays. Nous allons le nommer président de la commission International. Il reprendra la continuité des actions d’actualité engagées durant son mandat, en lien avec l’Institut des droits de l’Homme (Turquie, Iran…). »

Iris Christol : « Le 27 janvier aura lieu la Journée de l’avocat menacé, à Montpellier. Ce colloque réunira des intervenants du monde entier. Aujourd’hui, la position de l’avocat dans des pays comme l’Iran ou la Turquie est contestée car il est l’une des figures de la démocratie et de la liberté d’expression. Nombreux sont les régimes aujourd’hui qui ne tolèrent plus les voix dissidentes. Or les avocats sont et seront toujours une voix dissidente. On nous trouvera toujours derrière des actions menées pour faire entendre cette voix primordiale pour l’exercice de la démocratie. Dans certains pays, on peut mourir d’être avocat… »

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