Bérangère Fromont, l’intime expérience du réel à la Galerie L'Aberrante, au Crès

Hélène Vernhet présente à la Galerie L’Aberrante la série "Except the clouds" – Hormis les nuages – de la photographe parisienne Bérangère Fromont, qu’elle avait découverte en projection au festival des Boutographies en 2015. Une vision introspective de la ville d’Athènes, entre crise économique et sociale, manifestations durement réprouvées et migrants. De beaux clichés poétiques rythment l’ensemble. Interview de la photographe…

Parlons technique…

« Les images de l’exposition sont imprimées directement sur PlexiglassTM, en 20 x 30 cm. A la vente, les 30 x 40 cm sont des impressions DiasecTM. Le DiasecTM est un procédé breveté qui permet de préserver les photographies Fine Art du vieillissement pendant 100 ans garantis. »

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Pourquoi ce titre, Except the clouds ?

« En construisant ce projet, j’ai beaucoup lu, et j’ai relu notamment Survivance des Lucioles de Georges Didi-Huberman. Une citation de Walter Benjamin m’obsédait alors. J’ai commencé à arpenter les rues, avec cette phrase en tête, scandée en boucle. Un fil conducteur invisible donnant un but à mes longues marches. Le titre est tiré de cette citation : « Hormis les nuages »

« Dans un paysage où plus rien n’était reconnaissable, hormis les nuages, et au milieu, dans un champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices, le minuscule et fragile corps humain ». Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », 7 décembre 1933, in Œuvres t.2, Folio Essais.

Cette phrase est devenue le point de départ d’une réflexion sur la place de l’Homme dans le chaos de l’histoire. Une réflexion sur l’expérience de l’histoire et la manière dont les jeunes Athéniens en révolte s’emparent d’elle en faisant face à des sociétés qui ne peuvent plus penser l’avenir en apprenant de leur passé. »  

Qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes intéressée à Athènes après avoir été « fascinée » par l’adolescence dans vos précédentes séries ?

« En fait, je n’ai pas vraiment choisi Athènes. Je suis obligée de citer un événement personnel. Tout est lié aux attaques terroristes du Bataclan. Ce jour-là je signais mon premier livre au Grand Palais pendant Paris Photo avec l’éditeur André Frère. C’était une grande fête. Et puis une heure après, il y a eu les attentats. Mon meilleur ami était là-bas, mon livre dans la poche, avec 5 autres amis. Ils ont survécu. Mais rien ne pouvait plus être pareil. Je suis passée du Paradis à l’Enfer en quelques secondes. Sur le plan émotionnel, je n’ai pas surmonté ça. Faire des images n’avait plus de sens. L’image d’après ne pouvait qu’être noire. Je voulais arrêter la photographie. J’étais devenue aveugle. Et puis quelques mois après, en mars, une amie m’a proposé de l’accompagner à Athènes. Elle m’a vanté la ville, le quartier Exarchia. Alors je l’ai suivie. Apportant mon vieux Nikon au cas où. Heureusement, car petit à petit, j’ai recommencé à voir. La lumière est revenue dans le noir, fragile mais vivante. Grâce à Athènes et à sa population. Je voyais enfin un espoir dans une humanité que je croyais disparue. » 

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La vision que vous donnez d’Athènes a à voir avec la guérilla urbaine, les manifestations. Pourquoi avoir voulu montrer cette facette de la Grèce ?

« Je ne pense pas montrer cette vision d’Athènes uniquement. Ce qui m’intéresse, c’est le contraste. Athènes est une ville de contrastes. Une ville oxymore. L’expression « soleil noir » semble avoir été inventée pour elle. Son héritage flamboyant mythologique cohabite avec sa situation politico- économique sombre et dramatique. C’est un pays que l’on dit “ berceau de la démocratie ” et qui devient symbole de la chute d’un monde, une sorte de laboratoire de tout ce qui se passe en Europe maintenant. Quand je suis arrivée pour la première fois à Athènes, j’avais ces images des manifestations en tête. J’ai fait des captures d’écran d’images diffusées dans les journaux télévisés. Je me les suis réappropriées et les ai assombries pour montrer leur caractère spectral et fantomatique. J’ai senti le poids de ces révoltes dans toute la ville. Mais je n’ai eu qu’une vision de ces images choquantes et emblématiques diffusées par les médias. D’une certaine façon, elles viennent remplacer les souvenirs. Le rapport au réel devient encore plus ambigu. » 

Le sujet des migrants* imprègne aussi cette série…

« Pas précisément, mais il est difficile de ne pas y penser. Lors de mon premier voyage à Athènes, c’était le début de la grande vague de migration et dans le quartier où j’étais logée, Exarchia, quartier anarchiste et autogéré, tout le monde se sentait concerné. Les jeunes avec qui je discutais beaucoup, mais pas seulement. Les choses étaient et sont toujours très différentes à Paris, malheureusement. La situation s’est dégradée en trois ans à Athènes. Les difficultés économiques liées à la crise n’ont pas facilité l’intégration des réfugiés. »

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Il semble être question d’effacement et de disparition dans Except the clouds, tant dans les sujets que dans les prises de vues et les tirages. Pouvez-vous développer ?

« Oui. C’est une façon de mettre en images le déclin de la civilisation. Donner un aspect crépusculaire. L’effacement des valeurs et des certitudes. L’avenir obscur et flou.  La question principale de ce projet est « Qu’est-ce qu’il reste quand tout s’effondre ? » Le mot « ruine » porte en lui un paradoxe: il symbolise le déclin ou la décadence et en même temps ce qui reste, donc résiste. C’est aussi une position mentale. L’expression de ma mélancolie. Ma subjectivité d’artiste. »

Il émane aussi une certaine poésie des objets détourés et sortis de leur contexte. On les croirait presque lunaires ou issus d’un film de science-fiction, alors qu’il s’agit de barricades et d’objets utilisés par les manifestants…

« J’ai photographié des objets trouvés dans des chantiers abandonnés, des terrains vagues ou dans les rues. Je les ai décontextualisés. Chacun a sa propre force et prend un nouveau sens. Je me suis rendu compte que ces objets étaient ceux utilisés par les manifestants contre la police et pour la casse (clous, bâtons). Tout se réutilise et se transforme. Je voulais esthétiquement retrouver l’oxymore pour révéler une certaine beauté. » 

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En un sens vous questionnez le réel, ou vous créez une nouvelle réalité plus poétique…

« Lors du premier voyage à Athènes, je me suis mise dans la position du flâneur. Terme d’abord utilisé à la fin du XIXe siècle pour désigner les poètes, intellectuels ou artistes qui, en se promenant, observaient de façon critique le comportement des individus dans l’espace urbain. »

Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Avez-vous un nouveau projet en tête ?

« Oui plusieurs. Le projet qui me tient à cœur depuis très longtemps porte sur mon grand-père, ouvrier anarchiste républicain espagnol. Encore un travail sur la notion de résistance. »

Propos recueillis par Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com


La Galerie L’Aberrante

Située dans un lotissement du Crès, non loin de la salle de spectacles L’Agora et de l’arrêt de tram Via Domitia (ligne 2), la Galerie L’Aberrante a ouvert en mars 2018 au cœur d’une maison d’habitation. Cette galerie associative a pour ligne directrice de ne proposer que des images de femmes photographes, pour renverser la discrimination dont elles font généralement l’objet. « Mais le public masculin est le bienvenu », assure la galeriste Hélène Vernhet (photo ci-dessus). « Les sujets qui ont du sens, qui s’inscrivent dans une réflexion », sont privilégiés. Ici, « tous les champs de la photographie sont explorés », affirme-t-elle. Cinq expositions individuelles de six semaines chacune sont organisées chaque année, ainsi qu’une exposition collective. Plusieurs événements sont associés en lien avec chaque exposition : un atelier d’écriture et une soirée lecture. Il n’y a pas d’exposition durant les vacances scolaires.


* Soirée lecture et projection à la Galerie L’Aberrante le samedi 9 février 2019 à 19h00. Lecture par Sandrine Barciet de Passer, quoi qu’il en coûte de Georges Didi-Huberman et Niki Giannari, et projection du film documentaire Des spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari.


Informations pratiques

Galerie L’Aberrante – 1 bis, impasse du Faisan – Le Crès.
Cette exposition est visible jusqu’au 22 février 2019 du mercredi au samedi de 11h à 18h30.
www.galerielaberrante.com

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