Catherine Lopes-Curval explore le destin des femmes artistes et femmes d’artistes
Présentés pour la première fois à Montpellier il y a plusieurs années par la galeriste Hélène Trintignan, vus récemment dans une exposition collective de la Galerie Boisanté, les tableaux de Catherine Lopes-Curval sont caractérisés par leur atmosphère intime. Ils sont comme des sortes de saynètes-bulles qui fascinent et emprisonnent l’attention. Après ses séries sur Alice au Pays des Merveilles et sur le tango, elle a choisi de représenter des femmes artistes et femmes d’artistes, réalisant 44 tableaux sur ce thème. Elle les a accompagnés de textes résumant les vies souvent compliquées de ces femmes, et expliquant la composition des œuvres. L’ensemble vient d’être publié dans un bel ouvrage intitulé "Femmes d’artistes, femmes artistes", par les éditions Des Femmes Antoinette Fouque. Interview…
Quel a été votre parcours artistique ?
« Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, à la sortie de l’école, j’ai travaillé dans un atelier de gravures pour Karel Appel et Bengt Lindström, avant de me consacrer exclusivement à la peinture. »
Parmi les séries de tableaux que vous avez peintes, quelles sont les plus marquantes ? Je pense notamment à Alice, mais il y en a d’autres…
« J’ai souvent travaillé par séries sur différents thèmes : la ville, le couple, le procès de Kafka, Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll… ces deux derniers thèmes ayant en commun l’absurdité et l’étrangeté. De là, je me suis mise ensuite à relever des images dans la presse quotidienne liées à l’absurdité et aux dérèglements du monde actuel. L’information allant très vite, j’aime faire des arrêts sur des images qui me sensibilisent. Tout se rejoint : le banal, le phénoménal, le passé, le présent ; toutes ces données se chevauchent et donnent à réfléchir entre temps présent et temps passé. »
Quelle est la genèse de cet ouvrage ? Avez-vous immédiatement eu la volonté de faire un livre, ou était-ce au départ uniquement une série picturale ?
« En 2008, Antoinette Fouque m’avait invitée à exposer Les métamorphoses d’Alice à l’Espace des Femmes, rue Jacob, à Paris. Quelques années plus tard, elle m’a proposé de réfléchir à une nouvelle exposition en me soufflant le thème Femmes d’artistes. Malheureusement, elle a disparu brutalement. Mais par amitié et pour lui rendre hommage, j’ai pris la décision de m’engager totalement dans ce projet. »
Pourquoi une telle fascination pour les femmes d’artistes, les femmes artistes ? Y a-t-il une part d’autobiographie dans cet ouvrage ?
« Je n’ai jamais eu de « fascination » pour les femmes d’artistes, souvent moquées dans le métier, surnommées les « Veuves » et courtisées par les conservateurs de musées et les commissaires-priseurs. Concernant les femmes-artistes, je me sentais plus concernée, ayant des amies artistes. Je savais qu’il serait complexe de résumer une vie de couple dans une seule image. Je devais donc trouver un concept et un « déclic » pour chaque histoire.
L’exposition s’est déroulée en février 2015, j’y ai présenté 23 œuvres. A ma grande surprise, malgré la célébrité des artistes représentées, les visiteurs ignoraient tout de leur vie et posaient beaucoup de questions. Dès le vernissage, pour les éditrices des Editions des Femmes, il a été comme évident qu’un livre s’imposait. Elles m’ont demandé d’écrire les textes car selon elles, j’étais la seule à pouvoir expliquer ce que j’avais voulu exprimer dans mes tableaux. J’ai eu toute liberté quant au choix des artistes. La seule contrainte était de faire des textes courts. J’ai bien sûr choisi des archétypes dont je connaissais parfaitement le parcours et les histoires. Tout me revenait en mémoire et provoquait des images pour moi évidentes. Une seule découverte : Paula Modersohn-Becker, dont j’ai rencontré l’œuvre au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Une révélation. Femme d’artiste et magnifique artiste. Sinon j’ai eu la confirmation que Picasso cumulait à lui seul toutes les facettes du concept « femmes artistes et femmes d’artistes ».
Les destins que vous citez sont souvent difficiles, agrémentés d’obstacles. Certaines de ces femmes ont dû sacrifier leur carrière au profit de celle de leur mari. Est-ce une façon de leur rendre hommage ou aussi une revendication féministe ?
« Ma seule volonté a été de mettre en lumière ces femmes essentielles et exceptionnelles dans l’histoire de l’art et de bien montrer leur complicité artistique, en tant que muses ou créatrices. Je ne les considère pas comme des victimes. Si cette démarche est féministe, alors je le suis. J’ai voulu mettre en valeur ces créatrices et leur difficulté à exister. Je n’ai jamais voulu imaginer qu’être une femme dans ce métier puisse être un obstacle, cependant, j’ai dû me rendre à l’évidence : il y avait des différences « sensibles ». Il y a peu d’œuvres de femmes achetées par les musées, et les prix de leurs œuvres sont souvent inférieurs à ceux des hommes, à notoriété égale. »
Ce constat vaut-il aussi pour le présent ?
« On m’a fait la remarque que je n’ai pas traité les couples contemporains. Il me semblait déplacé d’avoir à commenter la vie privée d’artistes vivants. Je veux dire qu’il faut du temps et du recul pour se faire une idée juste. Je connais beaucoup de couples artistes et j’ai l’impression que les rapports entre eux n’ont pas changé. Les femmes restent le plus souvent gérantes de l’œuvre ou dans l’ombre. J’ai observé dans mon entourage des femmes artistes vivant une solitude forcée, leur création étant devenue un obstacle à la vie commune, au vu de certains hommes, artistes ou pas artistes… Dans les femmes que j’ai représentées seules, il faut voir leur extrême solitude de modèle réduit au silence et à l’immobilité. »
Sur le plan strictement pictural, quelle a été votre ligne directrice pour faire cette série ? Quels sont les points communs ?
« Je me suis mise au service de ces artistes, m’appropriant leurs œuvres en les piratant, en les détournant. Je voulais trouver pour chaque couple une « situation » évidente. »
Parmi les femmes que vous avez sélectionnées, lesquelles vous ont le plus marquée ? Et pourquoi ?
« Parmi toutes ces histoires, j’ai un faible pour Camille Claudel. Elle me semble exemplaire. Sa fusion créatrice et amoureuse avec Rodin est unique. Je ne la considère pas comme une victime de Rodin mais d’une société incroyablement misogyne. Camille Claudel fut une véritable pionnière. Elle a ouvert les portes aux créatrices du XXe siècle. Elle a aussi payé très cher sa création et sa liberté de femme. »
Pourquoi 44 portraits et pas 45 ? S’il manquait un ou plusieurs portraits, lesquels seraient-ce ?
« Je voulais avoir 45 tableaux ou plus, mais le temps m’a manqué. Disons que le travail d’écriture m’a obligée à déposer les pinceaux. De plus, il y a eu quelques « ratages »… Je regrette de n’avoir pas eu le temps d’évoquer Joan Mitchell, Georgia O’Keeffe, Peggy Guggenheim, Helena Vieira Da Silva et tant d’autres… Je pourrais continuer indéfiniment cette série. »
On vous présente parfois comme une héritière de la Figuration Narrative, comme une artiste dans la lignée de Magritte. Qu’en pensez-vous ?
« J’aime pratiquer mon travail de création dans l’urgence tout en racontant des histoires. C’est sans doute pour cela que l’on m’a associée à la Figuration Narrative… Quant à Magritte, c’est un artiste que j’admire beaucoup, mais il ne fait pas partie de mes références que sont Giotto, Masaccio, Peter Blake et beaucoup d’autres… »
Quels sont vos projets d’expositions ou de nouvelles séries ?
« Je vais désormais reprendre mes recherches personnelles pour une prochaine exposition. »
Un mot de conclusion ?
« Je remercie Antoinette Fouque de m’avoir permis de redécouvrir ces créatrices et ces créateurs hors du commun. »
Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
Références de l’ouvrage : Femmes d’artistes, femmes artistes / Auteur : Catherine Lopes-Curval / Editions : Des Femmes Antoinette Fouque / Prix : 30 euros.