Lois — France

Le contenu de la preuve en matière de crédit à la consommation

Point de droit concernant le crédit à la consommation.

Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que la
signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l’offre préalable de crédit à la consommation comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.

Le droit français régissant le crédit à la consommation a fortement évolué à la suite de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation (N° Lexbase : L6505IMU), dite loi « Lagarde », ayant transposé les dispositions de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs (N° Lexbase : L8978H3W). La loi précitée a ainsi nettement étoffé les obligations pesant sur le banquier dispensateur de crédits à la consommation, plus particulièrement à l’occasion de la phase précontractuelle : remise d’une fiche précontractuelle d’informations, devoir d’explication, demande de justificatifs liés à la situation de l’emprunteur, consultation du fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, etc..

Mais comment le prêteur peut-il démontrer qu’il a bien respecté les obligations pesant ainsi sur lui ? Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 8 avril 2021 vient le rappeler.

Faits et procédure

Le 13 mai 2013, la banque X. a consenti à Mme Y. un prêt dit de « regroupement de crédits » d’un montant de 33 000 euros, mentionnant son époux, M. Y., en qualité de coemprunteur. Le 29 octobre 2014, Mme X. a été placée sous le régime de curatelle et son époux désigné comme curateur. Après avoir prononcé la déchéance du terme en raison d’échéances demeurées impayées, la banque a assigné en paiement du solde du prêt M. et Mme X., qui a notamment sollicité la déchéance du droit aux intérêts de la banque.

La cour d’appel de Versailles a, par un arrêt du 12 juin 2018 (CA Versailles, 12 juin 2018, n° 16/05901N ° Lexbase : A8143XQN), rejeté les demandes de déchéance des emprunteurs et les a condamnés à payer à la banque la somme de 35.376,68 euros. Ceux-ci ont alors formé un pourvoi en cassation.

Pourvoi

Les emprunteurs rappelaient qu’il incombe au prêteur, tenu d’une obligation particulière d’information, d’établir qu’il a remis à l’emprunteur la fiche d’information précontractuelle prévue à l’ancien article L. 311-6 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8192IMD), « cette preuve ne pouvant résulter de la seule signature d’une clause par laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu ladite fiche ». Dès lors, en retenant, pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque formée par Mme Y. que celle-ci avait reconnu avoir reçu la fiche par sa signature au bas d’une note relative au regroupement de crédits et que cette mention faisait présumer la remise de cette fiche en l’absence de tout autre élément produit par le débiteur, quand il appartenait au contraire à la banque de prouver qu’elle avait bien remis à l’emprunteur la fiche d’information précontractuelle litigieuse, la cour d’appel aurait inversé la charge de la preuve et violé l’article 1353 du Code civil ([LXB=]) et l’article L. 311-6 du Code de la consommation alors applicable, tel qu’interprété à la lumière de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008.

Le même moyen a été formé à l’égard de la preuve de la remise à l’emprunteur d’une notice d’assurance conforme à l’ancien article L. 311-19 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8205IMT).

Décision

Ces moyens parviennent, logiquement, à convaincre la Cour de cassation, qui casse la décision des juges du fond en ce qu’elle a rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamné Mme Y. à lui payer la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014. Sa décision est très motivée.

La Haute juridiction commence par indiquer qu’il résulte de l’ancien article L. 311-6 du Code de la consommation que, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur est tenu de donner à l’emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres lui permettant d’appréhender clairement l’étendue de son engagement. Par ailleurs, il découle de l’ancien article L. 311-19 du même code que lorsque l’offre de contrat de crédit est assortie d’une proposition d’assurance, une notice doit être remise a  l’emprunteur. Il est souligné que ces dispositions sont issues de la transposition par la France de la Directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la Directive 87/102/CEE.

La Cour de cassation rappelle ensuite que par un arrêt du 18 décembre 2014 (CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13 N° Lexbase : A7873M7Q), la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de dire pour droit que les dispositions de la Directive précitée doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48.

Or, cet arrêt de la CJUE a précisé qu’une clause type figurant dans un contrat de crédit « ne compromet pas l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48 si, en vertu du droit national, elle implique seulement que le consommateur atteste de la remise qui lui a été faite de la fiche d’information européenne normalisée (point 29) ». Il a ajouté qu’une telle clause « constitue un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d’informations précontractuelles lui incombant (point 30) ». Enfin, le même arrêt a conclu que, si une telle clause type devait emporter, en vertu du droit national, la reconnaissance par le consommateur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cela « entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la Directive n° 2008/48 (point 31) ».

La Cour de cassation en déduit alors qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait a  ses obligations précontractuelles et que « la signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l’offre préalable de crédit comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance constitue seulement un indice qu’il incombe a  celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ».

Or, pour rejeter ici la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamner l’emprunteur au paiement, la cour d’appel de Versailles a énoncé que celle-ci avait produit une fiche explicative et l’offre préalable de crédit, comportant chacune une mention préimprimée suivie de la signature de Mme Y. par laquelle elle reconnaissait avoir reçu la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance et que ces mentions laissaient présumer la remise de ces documents, en l’absence de tout autre élément produit par M. et Mme Y. permettant de douter de leur remise ou de leur régularité. Dès lors, en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes précités.

Observations

Cette solution emporte notre conviction. Elle est non seulement conforme à la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 18 décembre 2014, aff. C-449/13, préc.) mais aussi à celle de la Cour de cassation elle-même. En effet, cette dernière a déjà eu l’occasion de se prononcer dans le même sens concernant (déjà) la fiche précontractuelle d’informations (Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 17-27.066, FS-P+B N° Lexbase : A9189ZDP ; lire N° Lexbase : N9465BXT) mais aussi à l’égard du bordereau de rétractation (Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.971, FS-P+B+I N° Lexbase : A31913YT ; lire N° Lexbase : N5113BYZ ). Voilà qui est donc parfaitement cohérent.

Pour aller plus loin : v., not., J. Lasserre Capdeville, La fiche précontractuelle d’informations en matière de crédit à la consommation : état du droit dix ans après la loi « Lagarde », Lexbase Affaires, septembre 2020, n° 645 (N° Lexbase : N4356BYY).

Réf. : Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 19-20.890, F-P (N° Lexbase : A12554P8)

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