Institutions

Cour d’appel de Montpellier : un bilan inquiétant selon le Premier président Gervais de Lafond

Effectifs toujours insuffisants, crise des stocks et des délais de jugement, nécessaire renforcement de la lutte contre la grande délinquance et les trafics internationaux, tels ont été les thèmes mis en avant lors de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Montpellier pour l’année 2019. Les 2 chefs de cour ont également abordé des sujets de fond, parmi lesquels le devenir de la justice au XXIe siècle ou encore le malaise du ministère public. 

Le 11 janvier dernier, l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Montpellier s’est tenue en présence de nombreuses personnalités issues des milieux politique et économique, de la police, de la gendarmerie, de plusieurs consuls et de représentants des autorités civiles, administratives et religieuses ainsi que des professions juridiques. Tristan Gervais de Lafond, le premier président, et Pierre Valleix, le procureur général, ont tenu à rendre un hommage appuyé au colonel Arnaud Beltrame, qui a perdu la vie lors de l’attaque terroriste contre le Super U de Trèbes en mars dernier.


Au sommaire de cet article

  • La création d’une Jirs à Montpellier,
  • Activité juridictionnelle satisfaisante pour les juridictions du ressort,
  • Un bilan inquiétant pour la cour d’appel,
  • Situations des Assises et chambres d’appels correctionnels, autres priorités,
  • La justice du XXIe siècle doit être un véritable pouvoir,
  • Le malaise du ministère public,
  • L’Unsa services judiciaires revendique,
  • Pierre Valleix, départ annoncé en juin,
  • Deux nouveaux présidents de chambre,

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« Il me tient à cœur d’obtenir la création d’une Jirs à Montpellier »

Dès le début de son intervention, Pierre Valleix a souligné l’importance de la coopération internationale dans la lutte contre la criminalité organisée. Deux réunions qui se sont tenues à Aix-en-Provence au dernier trimestre 2018 ont permis de renforcer cette coopération au niveau des pays méditerranéens. La première, en octobre, a concerné des magistrats et membres des forces de sécurité d’Espagne, de France et d’Italie. La seconde, en décembre, a permis de réunir les procureurs généraux de 14 pays méditerranéens. « Nous devons avoir bien conscience que la cour d’appel de Montpellier occupe une place stratégique compte tenu de sa position et de son ouverture vers l’Europe », souligne le procureur général. Il insiste sur la cohérence de l’action judiciaire avec celle des forces de police, de gendarmerie et de la douane, et l’efficacité du Groupe d’intervention régional (GIR) Languedoc-Roussillon.

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Pierre Valleix affirme : « aujourd’hui, nous devons aller plus loin. Il me tient à cœur d’obtenir la création d’une Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) à Montpellier. J’ai quelques espoirs que nous soyons entendus. Sur l’arc méditerranéen, la cour d’appel de Montpellier justifie pleinement la création d’une Jirs. »

Activité juridictionnelle satisfaisante pour les juridictions du ressort

Le premier président Tristan Gervais de Lafond dresse d’abord le bilan de l’activité juridictionnelle, l’estimant satisfaisante pour les juridictions du ressort prises dans leur ensemble. En matière de contentieux civil, le nombre de jugements rendus est au moins équivalent au nombre d’affaires nouvelles enregistrées. Les 6 tribunaux de grande instance ainsi que les tribunaux de commerce ont un taux de couverture de leur contentieux civil supérieur à 100 %. Les conseils de prud’hommes sont quasi à 100 %. Seuls les tribunaux d’instance voient leur stock d’affaires en attente de jugement légèrement augmenter. « Cette situation satisfaisante est due essentiellement à la stabilisation du nombre d’affaires nouvelles », commente Tristan Gervais de Lafond.

Le traitement des affaires pénales en première instance s’effectue avec des délais d’audiencement raisonnables, quelle que soit la procédure choisie. Un point d’inquiétude toutefois : l’augmentation régulière du nombre de dossiers ouverts dans les cabinets d’instruction du ressort, qui a franchi la barre des 2.000 en 2018.

Tristan Gervais de Lafond cour dappel de Montpellier

 

A l’inverse, un bilan inquiétant pour la cour d’appel

Le premier président tire la sonnette d’alarme : « Il y a une véritable crise des stocks et des délais de jugement au niveau de la cour d’appel de Montpellier. Les effectifs actuels ne pourront jamais nous permettre de nous attaquer aux stocks accumulés depuis la funeste année 2010 qui avait vu l’ensemble des effectifs de la cour fondre comme neige au soleil ». Il faudrait quatre années aux 2 chambres sociales mobilisées à temps plein pour épuiser le seul stock des affaires en cours.

Cependant, grâce à la mobilisation de tous, les efforts portent leurs fruits. Ainsi, 8 audiences nouvelles sont organisées chaque mois tous contentieux confondus, sans l’apport d’un fonctionnaire supplémentaire. Résultat : en 2018, pour la première fois depuis plusieurs années, le taux de couverture des chambres civiles de la cour a dépassé les 100 %, atteignant 102,4 %.

Néanmoins, les délais de jugement restent très importants : plus de deux ans dans la plupart des chambres de la cour, presque trois ans dans les chambres sociales. Le stock, en augmentation continue, dépasse les 6.500 affaires, dont plus de 40 % proviennent des 2 chambres sociales. « Cette situation exige la mise en œuvre d’un contrat d’objectif avec la Chancellerie et de moyens dédiés spécifiques pour s’attaquer à cette montagne », affirme le premier président.

Situation des Assises et des chambres d’appels correctionnels, autres priorités

Pour les cours d’assises du ressort, l’affectation récente d’un quatrième président d’assises et l’augmentation du nombre de cessions grâce aux efforts consentis par les magistrats devraient permettre de stabiliser le nombre d’affaires criminelles en attentes de jugement, qui atteint 162 à ce jour, ce qui est considérable et conduit à des délais d’audiencement alarmants.

Il convient également de renforcer les 2 chambres des appels correctionnels dont le nombre d’arrêts rendus est en constante augmentation : 1.295 en 2016, 1.350 en 2017 et 1.446 en 2018. C’est pourtant moins que le nombre d’affaires nouvelles soumises au réexamen de la cour. Les stocks augmentent, et avec eux les délais de jugement.

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La justice du XXIe siècle doit être un véritable pouvoir

Pour le premier président, après une année 2018 marquée par les inquiétudes dans les juridictions et les barreaux sur les conséquences des réformes, l’année nouvelle s’ouvre par une période troublée, avec la remise en cause de certaines des valeurs qui fondent la démocratie.

Face à cette situation, le besoin d’une justice assurée de sa place dans les institutions du pays s’impose. Tristan Gervais de Lafond affirme : « La justice du XXIe siècle dont notre pays a besoin, c’est une justice qui ne sera pas un simple service public, pas une simple autorité morale, mais un vrai pouvoir : le pouvoir de préserver les libertés individuelles en assurant la sécurité de tous, le pouvoir de rétablir la paix dans une société divisée aussi par les conflits individuels et collectifs ». Il espère que le débat national qui s’engage permettra aux citoyens de voir d’un œil neuf les problèmes anciens. Avec, pourquoi pas, la demande de davantage de moyens pour la justice.

De son côté, Pierre Valleix souligne : « A l’heure où les symboles de la République sont pris pour cible, il est important que celles et ceux qui sont fiers de représenter la République sachent acquérir ou conserver la confiance de leurs concitoyens. Cette confiance se construit grâce à la présence, la proximité, l’accessibilité et la connaissance des institutions républicaines. Proximité et accessibilité, cela est vrai pour tous les services publics, et peut-être plus encore pour la justice ». Selon lui, l’engagement de la garde des Sceaux à ne supprimer aucune juridiction, l’ouverture des Services d’accueil uniques des justiciables (Sauj) et la mise en place des conseils de juridiction qui permettent à la société civile d’être directement associée au fonctionnement de la justice, vont dans le bon sens.

Le malaise du ministère public

Concernant « le malaise du ministère public », Pierre Valleix indique que cinq ans après les travaux conduits en 2013 par le procureur général Nadal sur ce thème, l’inspection générale de la Justice a été missionnée sur « l’attractivité de magistrat du ministère public. » Il en ressort que les fonctions du parquet sont très demandées par les magistrats sortant de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) car considérées comme « passionnantes, vivantes, dynamiques, voire excitantes ». Mais on constate très rapidement « l’effondrement des vocations et l’hémorragie du parquet vers le siège ». 38 % des magistrats ont quitté le parquet après cinq ans de fonctions. Après dix et quinze ans, le taux monte respectivement à 55 puis 64 %. Les principales raisons avancées sont des effectifs insuffisants, des vacances de postes et des sujétions trop lourdes et insuffisamment compensées. 28 recommandations ont été formulées en vue d’enrayer l’hémorragie.

Des signes encourageants existent cependant. Pierre Valleix met en avant le projet de réforme constitutionnelle visant à rapprocher le statut des magistrats du parquet de celui des magistrats du siège. « Cette réforme nous permettrait d’être plus légitimes encore dans l’exercice de notre rôle fondamental, celui de la défense des libertés individuelles et de la garantie des droits des justiciables », avance-t-il.

Pierre Valleix rejoindra la Cour de cassation en juin. Procureur de la cour d’appel de Montpellier depuis septembre 2014, Pierre Valleix, atteint par l’âge de la retraite, rejoindra la Cour de cassation le 7 juin prochain, où il siégera durant deux ans. L’annonce a été effectuée par le premier président de la cour d’appel de Montpellier, Tristan Gervais de Lafond, qui a rappelé la brillante carrière de Pierre Valleix à différents postes, aussi bien au siège qu’au parquet, avec aussi « des fonctions plus politiques au sens le plus noble du terme : conseiller technique du garde des Sceaux, conseiller pour la justice du président du Sénat, et enfin conseiller justice du président de la République ».Deux nouveaux présidents de chambre à la cour d’appel de Montpellier. Paul Baudoin, précédemment magistrat du premier grade placé en position de service détaché comme expert auprès du groupement d’intérêt public Justice coopération internationale, est nommé président de la chambre de la famille. Anne-Marie Hébrard, précédemment conseillère à la cour d’appel de Nîmes, est nommée présidente de la chambre de la construction et de l’immobilier.L’Unsa services judiciaires revendique. A la fin de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Montpellier, un représentant de l’Unsa services judiciaires s’est exprimé, appelant au boycott des audiences solennelles de rentrée en raison de « certaines dispositions particulièrement préoccupantes du projet de loi de programmation de la justice : fusion des tribunaux d’instance avec les tribunaux de grande instance, fusion des greffes des conseils de prud’hommes avec ceux des tribunaux de grande instance… ». L’Unsa services judiciaires déplore le manque récurrent d’effectifs et de moyens, et demande une prime pour les adjoints administratifs, techniques et les secrétaires administratifs, ainsi qu’une « vraie revalorisation indiciaire et indemnitaire pour tous les fonctionnaires des services judiciaires ».

 

 

 

 

 

 

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