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Droit du travail : une refondation qui bouleverse les équilibres

La refondation du droit du travail, dans un contexte de forte baisse du contentieux prud’homal et de fronde contre le barème Macron, était le fil conducteur des travaux des premiers États généraux du droit social organisés, en mars, par le CNB à Paris. Éclairage.

Placés sous le thème « Droit social : refondation ou simple réforme ? », les États généraux du droit social organisés par le Conseil national des barreaux (CNB) le 22 mars dernier ont mis les enjeux, les risques et le nouveau rôle de l’avocat au cœur des débats et des formations dispensées à cette occasion. Et ce, alors que la forte baisse du contentieux prud’homal, amorcée il y a une dizaine d’années, ne semble pas devoir faiblir, et que les avocats spécialistes du droit du travail mènent actuellement une fronde contre l’application du barème des indemnités prud’homales, dit barème Macron.

Une fronde généralisée contre le barème Macron

Issu des ordonnances du 22 septembre 2017, ce barème obligatoire – excepté pour les licenciements entachés de nullité – plafonne les indemnités dans le cas d’un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Il a suscité de vives réactions dès l’origine, notamment de la part de la CGT, déboutée devant le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, et du Syndicat des avocats de France (SAF), qui a élaboré et diffusé un argumentaire visant à contrer l’application du barème.

Mais la contestation a pris un nouveau tournant ces derniers mois avec la fronde de plusieurs juges de conseil de prud’hommes contre ce barème, déclaré inconventionnel dans des jugements qui s’appuient sur le respect de l’article 24 de la Charte sociale européenne et/ou celui de l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), lesquels consacrent le droit à une réparation « appropriée ». Une première décision en ce sens est tombée au conseil de prud’hommes de Troyes le 13 décembre 2018, puis à Amiens, et Lyon, fin décembre. Avant que ne suivent Grenoble en janvier, ou encore Agen début février et Paris début mars.

La contestation a depuis franchi le seuil de la deuxième instance : la chambre sociale de la cour d’appel de Paris, qui a été la première à être saisie de l’inconventionnalité du barème, a demandé à entendre l’avis de l’avocat général, lors d’une audience prévue en mai prochain. Une demande directement liée à la diffusion, fin février, d’une circulaire de la Chancellerie demandant aux procureurs généraux de recenser toutes les décisions relatives à la conformité du barème aux conventions internationales signées par la France et de se porter « parties jointes » aux appels de ces jugements. La cour d’appel de Paris devrait rendre sa décision courant juillet. Mais il est très probable qu’il revienne, à terme, à la Cour de cassation de trancher cette question.

Une convention de partenariat avec le ministère du Travail

« Le long combat que nous avons mené dans le cadre du projet de loi pour la justice (…) a laissé un goût d’amertume chez beaucoup d’entre nous », a déclaré la présidente du Conseil national des barreaux (CNB), Christiane Féral-Schuhl, en ouverture des États généraux du droit social, devant une salle comble. « Je sais que vous, avocats du droit du travail, avez été très mobilisés » et la décision du Conseil constitutionnel – qui a censuré 13 des 109 articles du projet de loi – « prouve que la mobilisation n’était pas corporatiste, mais dans l’intérêt général ».

Et c’est dans ce contexte que le CNB a signé avec la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, « une convention qui va permettre aux avocats de faire entendre leur doctrine en matière d’interprétation des ordonnances Macron », a-t-elle annoncé. « Il s’agit de faire en sorte que les avocats puissent faire remonter les difficultés d’application et les difficultés d’interprétation de ces textes et qu’ils puissent proposer la lecture qu’il convient de faire de ces textes (…). Les avocats vont donc faire au ministère du Travail ce que les experts-comptables font auprès de Bercy ». Cette convention de partenariat doit permettre « de nous faire remonter les difficultés, les questions et vos analyses, auxquelles nous nous attacherons de répondre de la manière la plus rapide et la plus opérationnelle possible », a confirmé Anne Sipp, sous-directrice des relations individuelles et collectives du travail au sein du ministère du Travail.

La négociation collective placée au cœur des relations sociales

En ce qui concerne la question plus générale de la refondation du droit social, « tout tourne autour de la revalorisation de la négociation collective (…), mais l’égalité des armes n’est pas présente (…) et je ne pense pas qu’il y ait une recherche d’équilibre de la part du législateur », a relevé le spécialiste du droit du travail Emmanuel Dockès, professeur à l’Université Paris-Nanterre. « L’évolution ne tend pas, comme cela est présenté, vers un droit plus négocié et plus consensuel, mais vers un droit plus vertical, plus autoritaire », a-t-il poursuivi, et « il y a une volonté – parfaitement assumée par le gouvernement – d’éloigner le justiciable de son juge ».

« Depuis 2004, tous les gouvernements ont emprunté ce chemin et ont placé l’accord collectif au cœur du dispositif », a rappelé Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Montpellier 1. Or, pour lui, « de la négociation collective peut sortir le meilleur comme le pire en termes de compromis et de sécurisation de l’accord ». « Et c’est là que je compte sur l’investissement de chacun d’entre vous [avocats, ndlr], et sur la force de la déontologie », a-t-il ajouté. Cette refondation du droit social « est un tournant pour la profession d’avocat, et un tournant d’autant plus important que la chute brutale du contentieux prud’homal fragilise de nombreux cabinets », mais, « dans le même temps, s’ouvre à nous un champ des possibles, et notre capacité à les occuper sera déterminante pour l’avenir de la profession ».

Miren LARTIGUE

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