Entreprises

Evolution de l’obligation de sécurité de l’employeur - Mettre à jour le Document unique

Un récent arrêt de la Cour de cassation1 marque une évolution nette de la…

Un récent arrêt de la Cour de cassation1 marque une évolution nette de la jurisprudence en matière d’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, en remettant l’accent sur la prévention, appréciée notamment au regard du Document unique.

Après des années de décisions inflexibles et indifférentes aux efforts de prévention des entreprises, les juges admettent que l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il a pris les mesures nécessaires pour protéger la santé mentale de ses salariés, et notamment les actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement. Depuis 2006, en matière de harcèlement, l’employeur ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité, même en l’absence de faute de sa part et quand, informé des faits de harcèlement incriminés, il avait pris des mesures en vue de les faire cesser. La responsabilité de l’employeur était aussi engagée dès lors qu’un salarié faisait état d’un sentiment d’insécurité sur son lieu de travail (cf. le cas d’une hôtesse d’accueil d’une gare routière), de la non-mise à disposition d’un moyen de protection (un masque de soudage, par exemple) ou de l’absence de visites médicales d’embauche ou de reprise ; peu important les diligences mises en œuvre par l’employeur ou l’absence d’atteinte à la santé des salariés.

La portée du Document unique

La Haute cour reconnaît enfin que respecte son obligation de sécurité l’employeur qui justifie avoir pris les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du Travail, ainsi que les dispositions propres à faire cesser le harcèlement. Pour les juges, la pertinence des mesures de prévention mises en œuvre sera appréciée au regard du Document unique (DU) et de l’évaluation des risques psychosociaux (RPS) faite dans l’entreprise. Même si le Document unique d’évaluation des risques professionnels n’est pas expressément visé, sa portée est réaffirmée. C’est un élément déterminant de l’appréciation de l’obligation de sécurité et de l’adéquation des mesures de prévention mises en œuvre2 au sein de l’entreprise. Cette décision s’inscrit par ailleurs dans un contexte d’accentuation de la pression mise sur les directions d’entreprises pour formaliser un diagnostic des risques psychosociaux. En effet, les tribunaux sanctionnent les entreprises qui ne procèdent pas à l’évaluation des risques psychosociaux et de la charge de travail, à l’occasion de l’examen de situations critiques (harcèlement, tentative de suicide…). Et les inspections du travail, Direccte et CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) incitent fortement les entreprises à intégrer les RPS dans leur Document unique. De plus, le défaut d’évaluation des RPS et de leur prise en compte dans les phases de changements incitent de plus en plus fréquemment les CHSCT à recourir à une expertise quand ils sont consultés sur des projets de réorganisation de l’entreprise.

Malgré ces enjeux et pressions, les entreprises se montrent généralement réticentes à s’engager dans de telles démarches ou à formaliser les résultats dans leur Document unique. Elles se heurtent en effet à un certain nombre de difficultés : la méthodologie retenue pour évaluer les risques physiques n’est généralement pas transposable aux RPS (unités de travail, phases de travail, cotation…) ; et les entreprises qui ont choisi de faire appel à un consultant pour évaluer les RPS ne parviennent pas à intégrer les résultats dans leur DU. Enfin, elles ne veulent pas mettre en exergue des situations individuelles ou certains comportements de leurs managers.

Repérer les problèmes récurrents de fonctionnement des services

Or, il convient de rappeler que l’évaluation des RPS n’a pas vocation à identifier des situations individuelles de souffrance au travail ni à cibler des managers, mais à rechercher les facteurs organisationnels collectifs sur lesquels l’entreprise peut agir. Agir sur les RPS consiste à repérer les problèmes récurrents de fonctionnement des services ou entre services, à analyser les contraintes rencontrées et à comprendre les facteurs qui en sont à l’origine et les dispositifs permettant de les prévenir, notamment au regard des mesures de prévention existant dans l’entreprise. Il faut donc veiller à distinguer les « situations à problèmes » des facteurs de risques et de leurs conséquences ou manifestations et à élaborer un plan d’actions réaliste, pragmatique et suivi dans un document spécifique annexé au DU. Si l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 1er juin marque un revirement de la juris- prudence en matière de santé mentale, on peut douter de l’imminence d’un glissement de l’obligation de sécurité en matière de risques physiques ou de visite médicale vers une obligation de moyens renforcée. Priorité est cependant donnée à la mise en œuvre et à la traçabilité des mesures de prévention utiles.

Brigitte TREANTON,
avocat associé, pôle santé et sécurité au travail

1 – Cass. Soc. 14-19.702 du 1er juin 2016.

2 – cf. Circulaire du 23 octobre 2002 du garde des Sceaux.

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