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Francis Bartholomé, président du CNPA - Pour une réflexion raisonnée sur la place de la voiture en ville

Francis Bartholomé, président du Conseil national des Professions de l’Automobile, demande la création d’un poste de délégué interministériel à la mobilité. Interview…

Francis Bartholomé, où en est le Pacte de mobilité trois ans après sa signature, alors que la voiture est au cœur de l’actualité ?

F. B. : « En 2015, à la suite des états généraux de l’automobile organisés à Bercy par le ministre de l’Economie d’alors, Emmanuel Macron, nous avons mis en place ensemble un Pacte de mobilité. Celui-ci comprenait 6 piliers, dont celui de la gestion des parcs roulants avec de nouvelles mobilités. Nous avions l’idée de faire évoluer les parcs en fournissant des solutions décarbonées. Nous savions qu’il était impossible de changer rapidement 35 millions de voitures tout en tenant compte des problèmes de santé publique. Autre élément à prendre en compte : la nécessité d’éliminer les véhicules diesel les plus anciens, à condition, bien entendu, d’avoir une gestion sociale du sujet, car on ne peut pas faire changer tous les véhicules sans argent. Une mobilité responsable et pas punitive, en quelque sorte. »

Avez-vous été entendus ?

« Oui, et ce qui a été extraordinaire, c’est que Nicolas Hulot, alors ministre de l’Environnement, a accepté que les véhicules diesel soient revendus avec une prime de 2 000 euros. L’idée était de faire évoluer le parc automobile français rapidement, avec des véhicules qui avaient un rendement de CO2 nettement inférieur. Pour cela, il fallait trouver, dans les parcs des concessionnaires, des véhicules récents qui étaient souvent des diesels. L’idée était de passer de véhicules roulant au diesel à 160 g ou 130 g de CO2 à des véhicules à 100 g ou 110 g, toujours en diesel, ce qui permettait d’atteindre les objectifs de la COP21 sur le CO2. »

Justement, quelle est la position du CNPA sur le diesel par rapport à l’essence ?

« Nous préconisons la neutralité énergétique et la neutralité techno­logique. On ne peut pas prôner « le tout décarboné et au-delà de ça, point de salut », même si cela sera peut-être vrai en 2035 ou 2040 avec de l’hydrogène en circulation, qui sait ? Toujours est-il que, si on veut faire évoluer rapidement le parc, il faut utiliser les diesels nouveaux. Les diesels euro 6 version 2 ou 3 ont, aujourd’hui, une consommation extrêmement faible : entre 4 et 5 litres aux 100 km sur des parcours de 400 ou 500 km, contre 7 à 8 litres pour un véhicule essence qui émet donc plus de CO2. Quant aux particules fines, elles diminuent de plus en plus, car les filtres sont de plus en plus performants. Et s’agissant des émissions d’oxyde d’azote (NOx), il y en aura plus sur les moteurs à essence que sur les véhicules diesel, en 2020, sur les nouvelles cartes grises… »

Quid du nouveau contrôle technique ?

« En plus de l’aptitude à rouler et de la contre-visite, qui existaient déjà, le contrôle technique prévoit l’interdiction de rouler depuis le 20 mai dernier. Contrairement à ce qui a été annoncé, l’impact de cette mesure est relativement faible et concerne surtout des véhicules dangereux. Quant aux contrôles complémentaires qui entrent en vigueur en janvier, c’est simplement de l’opacimétrie, c’est-à dire que Dekra considère que 5 à 7 % seulement des véhicules auront une contre-visite. Le texte n’est pas trop compliqué. Même pour les véhicules anciens, son impact sera donc faible. Le véritable problème du contrôle technique surgira sans doute plutôt en 2020 avec le contrôle sur les 5 gaz et les NOx. Il faut aussi savoir que 20 % des Français ne passent pas ce contrôle. »

Vous avez récemment alerté le gouvernement sur le non-paiement de sa part des primes à la conversion. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

« On a réussi à faire débloquer 85 millions d’euros en septembre pour payer les primes à la conversion. Depuis, à ce jour, une quarantaine de groupes accumulent 30 millions d’euros avancés par les distributeurs et non-remboursés par l’Etat, uniquement sur les bonus et les primes à la conversion. Il est impensable qu’il y ait des non-remboursements qui impactent fortement la trésorerie des entreprises. Et d’ailleurs, quid des annonces faites du doublement de la prime à la conversion ? Est-ce que ça veut dire que les montants avancés par les distributeurs aujourd’hui vont être doublés l’année prochaine ? Ce n’est plus supportable, car ce n’est pas aux entreprises de supporter l’avance de trésorerie. »

Les véhicules propres, mythe ou réalité ?

« Nous ne sommes pas contre cette vision à long terme d’avoir des véhicules décarbonés. Le CNPA est pour la neutralité énergétique, pour le mix énergétique et pour favoriser les énergies propres. Il y a un sujet qui se pose aujourd’hui concernant le véhicule à l’hydrogène. Son vrai problème, au-delà de son prix, c’est de produire de l’hydrogène propre à partir de biomasse et éventuellement de déchets organiques. Idem pour les biocarburants, à partir du moment où on utilise des biocarburants de deuxième génération fabriqués à partir de biomasse. »

Vous demandez depuis longtemps un interlocuteur dédié à vos métiers auprès du gouvernement…

« Pour la gestion de ce genre de dossier, nous dépendons du ministère de l’Environnement, mais dès qu’on parle d’argent, le dossier passe à Bercy. Le vrai problème de notre métier c’est que nous sommes entre le transport, l’environnement, l’Intérieur, Bercy… C’est pourquoi nous demandons depuis longtemps la création d’un poste de délégué interministériel à la mobilité ! C’est vital pour nous. »

Autre sujet d’importance pour le CNPA : la destruction des véhicules hors d’usage…

« Aujourd’hui, il y a de grosses difficultés sur la destruction des véhicules hors d’usage (VHU). Il y a des parcs qui ont un trop-plein et d’autres qui n’ont pas de voitures. Il y a donc une vraie régulation à faire : on perd du temps pour la destruction des véhicules. Et tant qu’on n’a pas la destruction, on ne peut pas solliciter la prime… Nous demandons donc une gestion de crise des parcs de destruction. Il faut savoir aussi que 500 000 voitures roulent sans carte grise. Nous voulons une régulation totale du sujet pour que l’Etat se penche réellement sur la durée de vie du véhicule et sa destruction finale avec des centres de VHU agréés. Cela concerne aussi le traitement des déchets et la traçabilité des pièces d’occasion. »

Le financement de la prime à la conversion grâce à l’augmentation du malus CO2 pose-t-il aujourd’hui problème ?

« Si on crée du malus pour alimenter le bonus, avec des coûts de plus en plus élevés, cela signifie que ceux qui achètent des voitures risquent de ne plus pouvoir se les payer demain. C’est avec ce genre de raisonnement que les yachts sont partis s’immatriculer en Italie et les grosses voitures au Luxembourg. Il ne faut plus concevoir de façon pérenne l’autofinancement de ce système de bonus-malus. Depuis trois ans, il est excédentaire, mais si on veut une véritable politique dynamique et efficace d’évolution du parc roulant et de transition énergétique et écologique, on ne peut pas financer la prime à la conversion uniquement avec le malus. En l’augmentant de 10 000 euros à 15 000 euros, on freine considérablement l’achat de cette typologie de véhicules, on tarit la source et on risque de ne plus avoir de quoi financer la prime à la conversion. Nous demandons en revanche au gouvernement que la taxe sur la transition écologique des carburants commence à financer les primes à la conversion : sur les 36 milliards d’euros de fiscalité écologique sur les carburants, 7 milliards seulement sont affectés à la transition écologique. Nous en avions déjà fait la demande en début d’année 2018… »

L’automobile a-t-elle encore un avenir en ville ?

« Au CNPA, nous considérons qu’il faut du temps long dans ce genre de prise de décision. Qu’est-ce qu’un report de quelques mois pour des besoins dans quinze ou vingt ans ? Il faut que nous allions tous dans le même sens. Nous sommes favorables à une réflexion raisonnée sur la place de la voiture en ville, et nous proposons pour 2019 une véritable étude du parc roulant avec certaines agglomérations. Je rappelle au passage que les taxes transport payées par les entreprises en France représentent 13 milliards d’euros chaque année. Elles sont censées faciliter le transport et la mobilité de nos salariés, mais à quoi sont-elles vraiment affectées ? »

Propos recueillis par Benjamin BUSSON
pour RésoHebdoEco.
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