Grands travaux : fin de chantier pour les infrastructures de transport
En annonçant officiellement la priorité aux « transports du quotidien » au détriment des grands projets comme les lignes à grande vitesse, le président Macron a bouleversé le secteur des travaux publics et les élus locaux, habitués aux promesses des gouvernements successifs. Mais ces dépenses n’étaient « pas financées », affirme aujourd’hui le gouvernement.
Une nouvelle ligne à grande vitesse
De la côte basque à la côte de granit rose bretonne, en juillet, on ne parlait que de la grande vitesse. Deux lignes rapides ont été inaugurées au tout début de l’été : l’une relie la Sarthe à l’est de Rennes, l’autre Tours et la périphérie de Bordeaux. Ces deux infrastructures placent, selon l’expression consacrée, « Rennes à une heure vingt-cinq de Paris » et « Bordeaux à deux heures de Paris ». Sur les plages de l’ouest de la France, on s’est réjouit. La manne des touristes parisiens, réputés aisés et dépensiers, allait déferler à grande vitesse.
Des questionnements
Une aubaine ? Pas si sûr. Localement, des interrogations se font entendre. « Comment le nord des Landes pourra-t-il profiter des Parisiens qui arriveront à Bordeaux ? », s’interroge une élue de ce département. Pour quitter Bordeaux en direction de la côte landaise, en effet, le voyageur ne dispose d’aucun transport public – ni train, ni car, ceux-ci étant réservés au département de la Gironde. Reste la location de voiture, mais dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux effectuer l’ensemble du trajet sur l’autoroute plutôt que par le train ? A Quiberon, dans le Morbihan, une hôtelière évoque le même sujet : « vous êtes venus en train, grâce à la ligne à grande vitesse », félicite-t-elle ses clients. Hélas, ce jour-là, le train avait une heure de retard, annulant ainsi les précieuses minutes gagnées grâce à la grande vitesse.
A quoi servent les LGV si les trains sont bloqués par la déficience de la signalisation ou un encombrement du trafic ferroviaire ? Et si, à l’arrivée, le voyageur est confronté au manque criant de transports locaux ? Ces questions ne sont pas nouvelles. Mais elles ont éclaté au grand jour le 1er juillet dernier, à Rennes, lors de l’inauguration, par le président de la République, de la nouvelle ligne à grande vitesse.
Donner la priorité aux trajets du quotidien
Devant l’état-major de la SNCF au grand complet et un parterre d’élus locaux, Emmanuel Macron a commencé par féliciter, avec une « immense fierté », les acteurs de cette « volonté et capacité françaises ». Puis, par un revirement inattendu, il a asséné la vérité qui fâche. « Le rêve des cinq prochaines années ne doit pas être un projet comme celui-là. Si je vous disais cela, je vous mentirais ». Et d’égrener les raisons pour lesquelles la construction d’infrastructures de transport monumentales n’est plus d’actualité : « les infrastructures existantes insuffisamment entretenues, la dette de la SNCF, l’impératif des transports du quotidien ». Et de reprendre le constat effectué par de nombreux voyageurs : « Nous n’allons pas tous forcément de Paris à Rennes, mais peut-être de la banlieue parisienne à Saint-Malo ». De même, « la destination la plus pertinente n’est pas nécessairement la capitale », autrement dit, que Rennes soit à 1h25 de Paris importe peu à une personne qui fait le trajet Le Mans-Caen tous les jours. Enfin, « ce qui fait le quotidien de nos concitoyens, ce sont des heures de transport, le risque de temps perdu ».
Tous ces exemples le montrent : la plupart des voyageurs n’ont pas tant besoin de projets prestigieux que d’une attention aux détails : des trottoirs devant la gare, la coordination des horaires, des arrêts de bus protégés des intempéries, une information en temps réel…
Une annonce comme un coup de tonnerre
Cette « priorité aux transports du quotidien » fait partie des discours de la SNCF depuis longtemps. Le PDG de la compagnie ferroviaire, Guillaume Pepy, l’énonçait déjà en 2011 avec aplomb. Les ministres des Transports successifs de François Hollande – Frédéric Cuvillier puis Alain Vidalies – en avaient fait leur credo. Mais pour la première fois, c’est au plus haut niveau de l’Etat que s’exprime cette priorité. Le nouveau positionnement a d’ailleurs été repris par le Premier ministre, Edouard Philippe, dans son discours de politique générale, le 4 juillet, à la tribune de l’Assemblée nationale. La ministre en charge des transports, Elisabeth Borne, a encore enfoncé le clou, le 6 juillet, dans une interview au quotidien économique Les Echos. « Nous ne pouvons pas poursuivre une politique de transports faite de promesses non financées », a expliqué l’ex-PDG de la RATP. Pour les années qui viennent, « 10 milliards d’euros de projets d’infrastructures ont été annoncés sans être financés », a calculé le ministère.
Ces discours tranchent avec les habitudes prises sous les précédents quinquennats. Généralement, en inaugurant une nouvelle ligne de transport, le président encourageait les élus et les travaux publics à poursuivre l’effort, en vue de la construction de l’infrastructure d’après, cette prochaine autoroute ou ce prochain aéroport qui, à coup sûr, désenclaverait le territoire et apporterait de l’activité, sans oublier de créer de l’emploi. En vain, puisque, comme l’a résumé Elisabeth Borne, ces promesses n’étaient pas financées.
Les protestations des élus locaux
Décider la coupure du robinet tombait sous le sens. Mais seul un pouvoir neuf, soucieux de rompre avec les pratiques du passé, pouvait avoir l’audace de le faire. Et maintenant ? Le cap est-il fixé suffisamment fermement pour résister aux vents violents agités par ceux qui rêvent encore d’une dernière LGV, d’un dernier contournement autoroutier ? Déjà, les élus bataillent. Dans le Sud-Ouest, les socialistes Alain Rousset et Carole Delga, qui président respectivement les régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie, cherchent à convaincre le gouvernement de la nécessité de prolonger la LGV vers Toulouse et Biarritz. Dans les Hauts-de-France, le président de la Région, Xavier Bertrand (LR), et la maire de Lille, Martine Aubry (PS), ainsi qu’une myriade d’élus de la Somme et de l’Oise, tiennent le même discours à propos du canal Seine-Nord. En Loire-Atlantique, les partisans du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes espèrent encore faire « respecter le résultat du référendum » de juin 2016, par lequel les électeurs du département avaient voté majoritairement en faveur de l’infrastructure.
Ces batailles se joueront localement, sur les terres concernées par ces projets, mais aussi en coulisses, dans les cabinets ministériels ou à l’Assemblée nationale. En attendant, pour bien montrer où allaient désormais ses priorités, Elisabeth Borne a assisté, le soir du 12 juillet, à un chantier ferroviaire nocturne, dans la Nièvre. Il s’agissait de l’entretien d’une ligne de chemin de fer entre Neuvy-sur-Loire et Nevers, où circulent des trains régionaux. Loin des TGV et de la célébration des minutes de trajet gagnées.
Olivier RAZEMON