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INTERVIEW - Marc Touati, économiste : « Les crises sont toujours des phases d’opportunités »

Dans son dernier ouvrage, intitulé Un monde de bulles, Marc Touati décrypte les bulles qui menacent l’économie mondiale et les pièges à déjouer pour ne pas les subir.

Marc Touati, de quelles bulles parlez-vous dans votre dernier livre ?

« Il y a aujourd’hui des bulles un peu partout, que ce soit sur le marché boursier, sur le marché obligataire, sur le marché immobilier, sur les cryptomonnaies, etc. Elles font partie de la vie du système économique, dans lequel il y a des crises et des bulles… Simplement, il faut savoir les identifier pour éviter de se faire avoir. D’où l’idée de ce livre, pour clarifier cette situation qui paraît compliquée, en rappelant des notions de base, dont celle-ci : plus le rendement augmente, plus le risque augmente. Si on veut un rendement élevé il faut prendre des risques, et si on ne veut pas prendre de risques, il faut se contenter de rendements faibles. C’est la règle de base de l’économie, de la finance, voire de la vie au quotidien. Et si on raisonne ainsi, on n’aura pas trop de mauvaises surprises. Le vrai enjeu, avec des marchés très volatils, c’est de garder le bon sens. »

Les bulles sont-elles évitables ?

« De tout temps, elles ont fait partie du système. Au XVIIe siècle, le bulbe de la tulipe la plus rare valait l’équivalent d’un hôtel particulier à Amsterdam ! Quand les bulles se forment, il y a un effet de mode, c’est formidable, mais il ne faut pas tomber dans le piège. Sur les cryptomonnaies par exemple, c’est encore plus fort, puisque, dans le nom même de la bulle, on trouve l’arnaque : c’est une monnaie virtuelle. On vous dit que c’est virtuel, mais tout le monde en veut quand même ! D’où l’intérêt de développer notre culture économique pour ne pas jouer aux apprentis sorciers ni prendre des risques démesurés. »

Les cryptomonnaies et la blockchain sont-elles des bulles particulièrement dangereuses ?

« La blockchain a de l’avenir, mais il faut que les cryptomonnaies soient réglementées. Déjà que l’on n’y voit pas très clair avec certaines monnaies réglementées par la Banque Centrale, alors imaginez une monnaie réglementée par personne : c’est un trou noir. Lorsque le bitcoin est monté à 20 000 dollars, les gens me demandaient s’il fallait en acheter ou pas. C’est assez incroyable. Autre exemple : dans mon livre j’identifie 250 « licornes » dans le monde.

Ce sont des entreprises dans le numérique qui sont valorisées un milliard de dollars chacune, mais qui n’ont jamais gagné un centime. Il y en a peut-être une, deux, dix, voire cinquante qui vont gagner quelque chose, mais les trois quarts d’entre elles vont partir en fumée. C’est là que les clients et les entreprises doivent être accompagnés par leurs conseils. On ne peut pas éviter les bulles, mais on peut les voir et ne pas tomber dedans. »

N’a-t-on pas retenu les leçons de 2008 ?

« En 2008, tout le monde pensait que la crise serait pire que celle de 1929, et je faisais partie des optimistes qui pensaient que l’économie allait redémarrer. On a pu relancer la machine, on a baissé les taux d’intérêt, on a fait une relance budgétaire énorme au niveau mondial qui a atteint 5 000 milliards de dollars, on a fait tourner la planche à billets et cela a fonctionné. Le seul problème, c’est que ça n’a pas assez fonctionné en France et en Europe, puisque ces injections de liquidités n’ont pas réussi à générer une croissance forte. Et ce, parce que nous manquions de confiance et que nos rouages économiques étaient un peu trop rigides – ils le sont toujours, d’ailleurs. Ces injections de liquidités ont alimenté les bulles boursières et obligataires et ne sont pas suffisamment allées dans la croissance et dans l’emploi. On a tiré les leçons des erreurs de 2008, mais pas suffisamment. Les banques françaises sont beaucoup plus saines qu’en 2008, mais le problème réside plus généralement dans l’économie. »

Pourquoi l’Europe et la France semblent-elles à la traîne d’une économie qui a repris un peu partout ?

« Notre grand problème, c’est qu’on ne sait plus faire de la croissance forte : on a trop de pression fiscale, trop de rigidité, trop de dépenses publiques inefficaces. Il faut de la dépense publique, mais en France, on est à 57 % du PIB. C’est trop élevé. Il faut optimiser tout cela, car tant qu’on ne l’aura pas fait, on pourra faire toutes les injections de liquidités qu’on voudra, ça ne générera pas de croissance forte. Or sans croissance forte, on n’a pas de créations d’emplois. Le plus important aujourd’hui, c’est de retrouver la croissance. Il faut donc notamment réduire la pression fiscale. Aux Etats-Unis, ce qui est assez incroyable, c’est qu’on est en train de vivre le cycle le plus long de l’histoire : au moment où le cycle a commencé à décliner, Trump a baissé fortement les impôts et ça a redémarré. On a eu la même chose en Irlande et en Allemagne. Si on ne baisse pas les impôts pour tous – entreprises et ménages – notre économie ne peut pas redémarrer ; elle est freinée mécaniquement. C’est là qu’est notre grande difficulté en France. Mais je reste optimiste : on y arrivera. »

L’allègement de la pression fiscale serait le seul levier de croissance qui manquerait à la France ?

« C’est le levier essentiel. C’est une condition sine qua non. La France est le numéro deux mondial, juste derrière le Danemark, en matière de prélèvement fiscal par rapport au PIB. Au vu de la situation actuelle, c’est le seul moyen de relancer la machine, en termes de pouvoir d’achat et de confiance. Le problème est que pour baisser les impôts, il faut aussi baisser la dépense publique… C’est une mesure d’urgence, mais on n’a pas le courage de la prendre. Nous avons les moyens de nous en sortir : il faut de la volonté et saisir des opportunités. »

Quelles opportunités par exemple ?

« Une entreprise française, à l’heure actuelle, doit développer des stratégies anticrise. J’en identifie quatre en particulier : développer des stratégies de niche sur des produits et services qu’on est le seul à faire, communiquer sur son savoir-faire, développer l’innovation à tous les niveaux et créer un développement à l’international. Si l’on suit ces quatre stratégies, on peut dépasser n’importe quelle crise. Idem au niveau de l’investissement : il faut savoir rester prudent, que ce soit sur l’immobilier ou sur les marchés boursiers. »

Est-on aujourd’hui suffisamment armé en cas de nouvelle crise ?

« Si demain on a une vraie crise, comment va-t-on faire pour relancer la machine ? Les taux d’intérêt sont déjà à zéro, on a une dette publique énorme, et on a relancé la planche à billets. Il y a donc peu de pays qui pourront s’en sortir facilement : l’Allemagne, qui a un excédent public ; les Etats-Unis, qui ont remonté les taux d’intérêt et qui pourront les baisser si besoin ; et la Chine, qui a 3 000 milliards de dollars de réserve de change. Dans l’histoire contemporaine, il y a une crise tous les dix ou quinze ans environ. Généralement, entre deux crises, on a le temps de se préparer pour relancer la machine lors de la crise suivante. La difficulté que nous avons aujourd’hui, c’est que nous n’avons pas eu le temps de retrouver une croissance forte, d’avoir un plein-emploi et de reconstituer des marges de manœuvre de politique économique. Normalement, quand on a eu de la croissance, on réalise un excédent public qui permet de relancer la machine. Or, le dernier excédent public de la France remonte à 1974 ! »

Le pouvoir d’achat est au cœur de l’actualité, le gouvernement annonce des mesures ambitieuses, mais les Français ne semblent pas partager ce sentiment…

« Certaines mesures comme la Loi Pacte vont dans le bon sens, mais augmenter encore les taxes, même pour des raisons écologiques, sur le carburant, c’est embêtant. D’ailleurs, pour moi, la vraie écologie serait de développer des solutions alternatives. Ma théorie est simple : il faut baisser les impôts. Or, le Français moyen paie plus d’impôts qu’il y a un an, et c’est ça qui cloche.

Toutefois, je reste résolument optimiste et j’insiste pour dire que les crises sont toujours des phases d’opportunités. Il faut être à la fois optimiste et réaliste. Celui qui baisse les bras est sûr de perdre, alors que celui qui ose regarder vers l’avenir a au moins une chance de gagner. »

Propos recueillis par Benjamin BUSSON
pour RésoHebdoEco.
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