Interview - Patrick Chaize : « Repenser toute la chaîne de valeur du numérique »
Le sénateur de l’Ain a réussi à faire voter à la quasi-unanimité, une proposition de loi visant à réduire l’impact écologique du digital. Un texte qui ratisse large, dans une approche concrète et pragmatique.
Patrick Chaize, vous êtes l’auteur principal d’une proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, adoptée à la quasi-unanimité, le 12 janvier au Sénat. Quels sont, au-delà de l’intitulé, les objectifs de ce texte ?
“Ma motivation à rédiger cette proposition, c’était que l’on ne condamne pas le numérique. Ma réflexion est née des débats autour de la 5G, où l’on a dit tout et son contraire, notamment que ce serait une catastrophe environnementale. C’est faux. Comme il est faux de vouloir présenter ses opposants à des partisans du retour à l’âge de pierre. L’idée, c’est donc de rendre le numérique plus vertueux et acceptable pour notre planète, d’en faire une construction à énergie positive.”
Comment se manifeste cette volonté ?
“Il s’agit de repenser la chaîne de valeur du secteur, d’avoir notamment une réflexion sur les terminaux (téléphones, écrans, ordinateurs, etc.), qui, parce qu’ils sont produits en Asie du sud-est avec des énergies carbonées et des terres rares, représentent 70 % de l’impact environnemental du numérique. Saviez-vous que pour un seul téléphone, on extrait 200 kg de matière ?
L’une des premières choses à faire pour réduire cette empreinte, c’est de prolonger la durée de vie des appareils, 23 mois, en moyenne, aujourd’hui, pour un téléphone. L’un des articles du texte vise donc l’interdiction de la vente déguisée d’un appareil, dans le prix de l’abonnement. Un autre introduit une TVA à 5,5 % pour les produits reconditionnés. Un autre encore exonère ces matériels de la redevance copie privée.
Mais, je veux vraiment prendre la chaîne de valeur dans son ensemble, y compris en sensibilisant les plus jeunes sur leurs usages. Par exemple, télécharger une vidéo en wifi plutôt que de la regarder en streaming sur la 4G permet de réduire son impact environnemental par quatre. Un autre aspect sur lequel travailler, c’est l’adaptation de la qualité de transmission à l’appareil. On n’a pas besoin de la même définition sur un écran de télévision ou d’ordinateur que sur un téléphone.
Pour lutter contre l’obsolescence programmée, le texte interdit les mises à jour obligatoires d’évolution des performances matérielles (hors mises à jour de sécurité). Il impose qu’il soit possible de revenir en arrière si l’appareil ne supporte pas la nouvelle version. Et il fait passer de deux à cinq ans, le délai de garantie de fonctionnement.
Du côté de la programmation, la proposition comporte des encouragements à réduire le poids des applications et des logiciels. Et le quatrième chapitre demande aux centres d’hébergement de données de prendre des engagements environnementaux, notamment s’ils veulent bénéficier d’exonération des contributions à l’énergie.”
C’est un texte très concret !
“Très concret et très pragmatique, raison pour laquelle, sans doute, il a été signé par 130 parlementaires, soit un tiers du Sénat. Même le secrétaire d’État à la Transition numérique et aux Communications électroniques, Cédric O, l’a salué. J’ai donc bon espoir que le gouvernement puisse le reprendre à son compte et qu’il soit promis à un bel avenir”.
Repères
Âgé de 57 ans, Patrick Chaize, a commencé fin 2020 son deuxième mandat de sénateur. Au Sénat, il est vice-président de la commission des affaires économiques et candidat à sa propre succession à la présidence du groupe d’études numériques. Il occupe par ailleurs la présidence de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel) et la présidence de l’Observatoire national de la présence postale. Patrick Chaize a été directeur du Syndicat intercommunal d’énergie et de e-communication de l’Ain pendant 20 ans, à compter de 1993. Il est encarté chez LR, après avoir rejoint l’UMP au début des années 2000.
Est-qu’il manque encore des étapes pour que votre proposition devienne loi ?
“Elle doit en effet être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, être débattue et votée, avant de revenir au Sénat. Mais, même ce ne serait pas le cas, elle a le mérite de fixer un cap. Et elle pourra être reprise en tout ou partie, dans un autre texte.
Le problème, c’est qu’une bonne partie de la chaîne de valeur ne se trouve pas chez nous.
L’idéal, c’est sûr, serait que se développent des matériels français. Mais, nous avons déjà beaucoup à gagner à reconditionner. Quant aux Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), on peut les concurrencer. La période que l’on vient de vivre a donné à la population, l’envie de circuits courts. Cela ouvre l’opportunité de développer des plateformes locales.
Les Gafa sont par ailleurs en train de s’installer chez nous. Google, notamment, réfléchit à implanter un datacenter en France. Ce ne sont pas nécessairement des ennemis. Pour des raisons systémiques, les opérateurs vont se repositionner sur différents territoires, plutôt que de tout concentrer. Le modèle économique du numérique évolue dans ce sens pour tout un tas de raisons : de sécurité, de réglementations… Le stockage souverain, notamment, figure parmi les tendances lourdes. Les données constituent une richesse, un patrimoine dont de plus en plus de pays jugent nécessaire d’en garder la maîtrise.
Président de l’Observatoire national de la présence postale, président de la Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel), vice-président de la commission des affaires économiques du Sénat et candidat à votre propre succession à la présidence du groupe d’études numérique, vous cumulez pas mal de fonctions dans et parallèlement à vos fonctions parlementaires, souvent en rapport avec le même sujet.
Toutes ces fonctions sont cohérentes. Je suis, par exemple, convaincu que La Poste a un rôle à jouer dans l’inclusion numérique. Car c’est l’un des derniers réseaux de service public diffus.”
Maintenant que votre proposition est votée, que vous reste-t-il à faire ?
“Une réflexion doit être conduite sur la 5G, en termes d’applications. Car celle-ci va immanquablement amener de nouvelles révolutions. Dans le domaine des mobilités, notamment, les véhicules connectés vont pouvoir s’appuyer sur elle pour leur développement. Le monde numérique qui s’ouvre semble infini.
J’ai interpellé Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie. Pour moi, elle ne se positionnait pas sur les bons arguments. Sur les fréquences basses, le débat est ridicule. Les téléphones mobiles utilisent majoritairement le même 700 Mhz qu’emploie la télévision depuis des décennies. Le wifi fonctionne sur des fréquences similaires à celles de la bande FM. Par contre, les hautes fréquences employées par la 5G nous conduisent aux portes des micro-ondes. Il est important d’attendre le rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), qui doit encore se prononcer sur les éventuels risques liés à ces hautes fréquences.”
On vous sent fasciné par le numérique…
“Fasciné, je ne sais pas. J’ai cru très tôt à l’importance des réseaux. C’est pourquoi, à l’époque où j’étais directeur du Syndicat d’énergie et de e-communication de l’Ain (SIEA), notre département a été l’un des premiers à déployer un réseau de fibre optique.”
Propos recueillis par Sébastien JACQUART
pour RésoHebdoEco
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