Entreprises

Jean-Marc Daniel : "Croissance économique : reprise ou feu de paille ?"

Dans sa conférence devant les commissaires aux comptes à Montpellier le 21 septembre dernier, l’économiste Jean-Marc Daniel souligne l’échec de l’Etat à agir efficacement pour le plein emploi et déplore l’excès de prélèvements mis en place. Mais dans le monde économique hérité du passé et sans réelle direction, les nouvelles technologies font émerger un nouveau modèle fondé sur la concurrence entre individus, appelés désormais à sans cesse se surpasser.

« Quelle est la capacité de l’Etat à intervenir et à générer de la croissance économique ? », s’interroge d’entrée l’économiste Jean-Marc Daniel en guise d’introduction à sa conférence « croissance économique : reprise ou feu de paille » donnée le 21 septembre à Montpellier devant les commissaires aux comptes. Il rappelle que dans l’optique keynésienne de l’après-guerre, l’Etat estime qu’il est le détenteur de la capacité à générer la croissance et le plein emploi tout en maîtrisant l’inflation, ceci grâce à une bonne gestion de la demande par la politique budgétaire.

233 prélèvements chaque année sur les entreprises

« Mais la promesse de la fin des années 40 n’a pas été tenue. Nous arrivons à la fin de cette logique, et de la période écoulée, nous héritons des dettes publiques colossales », estime Jean-Marc Daniel. L’Etat ne renonce cependant pas à son credo, les dépenses publiques continuant à augmenter. Avec logiquement en parallèle, un accroissement des impôts et prélèvements divers. En libéral convaincu et critique, l’économiste affirme : « Toujours au nom de la croissance et du plein emploi, l’Etat ponctionne par tous les moyens imaginables, dont notamment 233 prélèvements chaque année sur les entreprises ! » A titre de preuve de l’échec du modèle de l’après-guerre, Jean-Marc Daniel avance : « Nous perdons systématiquement de la croissance », se référant à l’évolution du taux de croissance moyen annuel de l’économie française. Celui-ci a progressivement diminué de 5,5 % de 1960 à 1972 jusqu’à 1,25 % de 2011 à 2017.

Prédominance des cycles économiques

Les trois grands reculs de l’économie en 1975 (- 0,7 %), 1993 (- 0,5 %) et 2009 (- 5 %) tiennent selon Jean-Marc Daniel à l’existence de cycles économiques et non à tel ou tel événement. « La récession de 2008/2009 n’avait rien à voir avec la chute de Lehman Brothers. Cela provoque un certain émoi, mais la plupart de mes collègues pensent la même chose que moi », affirme-t-il. Dans ces conditions, que peut faire l’Etat ? Celui-ci ne peut pas réellement contrer le ralentissement inscrit dans la mécanique du cycle. Il doit par contre prendre des mesures pour que les entreprises ne souffrent pas trop de la baisse d’activité, notamment alléger les ponctions fiscales.

Une croissance en feu de paille

Le rôle clef des cycles économiques laisse à penser qu’il est possible de prévoir les taux de croissance des années à venir. Ainsi, l’OCDE ayant observé que la situation se détériore depuis le début de l’année, le retournement de cycle au 1er semestre 2018 laisse prévoir un ralentissement de l’activité économique sur la période 2019/2021. Jean-Marc Daniel est alors en mesure de répondre à la question qui donne le titre à sa conférence : « La période de croissance engagée depuis 2015 est bien un feu de paille. »

Nouvelles technologies et mutation économique

S’interrogeant alors sur les ressorts de la croissance de long terme, Jean-Marc Daniel constate que celle-ci s’appuie essentiellement sur la mobilisation du travail et le progrès technique. Afin de redresser la croissance, il faut tabler sur l’accroissement du temps de travail et, dans cette logique, l’économiste prédit que l’âge de la retraite va à nouveau prochainement être reculé en France. Pour le progrès technique, il met surtout en avant l’impact des nouvelles technologies qui induisent une véritable mutation économique. Les plateformes sur internet Blablacar, Uber ou encore Airbnb apportent un système concurrentiel marqué par la baisse continue des prix, d’abord vis-à-vis des offres traditionnelles puis par la concurrence entre plateformes. Ainsi, Uber, critiqué pour exploitation des chauffeurs, a vu naître des plateformes visant le même marché. Ce système de concurrence interindividuelle répondrait en fait à nos aspirations profondes. A titre d’illustration, de plus en plus de personnes recourent aux plateformes comme Amazon ou Le bon coin, pour acheter ou vendre toutes sortes d’objets, voire même revendre des cadeaux reçus.  

Vers la généralisation du système

La combinaison entre le développement de l’intelligence artificielle et celui de la concurrence ouvre la voie à la généralisation du système. On peut ainsi évoquer les personnes qui, sur les réseaux sociaux, proposent aux tours operators des vidéos sur des sites touristiques en vue, ou encore les auto-entrepreneurs offrant leurs prestations via internet. « Nous allons vers un capitalisme concurrentiel populaire en passant de la société employeur/employé à la société client/fournisseur. La bataille par les prix à la baisse laisse augurer de la fin de l’inflation. Dans un tel monde, l’individu doit s’adapter en permanence, montrer sa capacité à réaliser une performance personnelle en se mettant lui-même en scène, en faisant le show », explique Jean-Marc Daniel.

« Oubliez-nous »

Quid de l’Etat ? Dans ce nouveau monde qui émerge, l’Etat doit mener une politique budgétaire de retour à l’équilibre et sa mission est aussi de faire comprendre à la population que l’époque où chacun cherchait à protéger la rente dont il pouvait disposer, du cheminot jusqu’au professeur d’université, appartient désormais au passé. Quant aux entreprises, elles ont à s’adapter à la généralisation de la concurrence, l’Etat devant desserrer aux maximum les contraintes qui pèsent sur elles. Et en guise de conclusion, Jean-Marc Daniel s’adressant au nom des chefs d’entreprise aux responsables de l’Etat, s’écrie : « Oubliez-nous ! »

Jean-Marc Daniel : son itinéraire. Diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae), Jean-Marc Daniel a débuté sa carrière à l’Institut national des statistiques et des études économiques (Insee) avant d’occuper diverses fonctions dans l’administration, dans les cabinets ministériels et comme économiste et enseignant. Il est aujourd’hui responsable des cours d’économie aux élèves de l’ESCP Europe (anciennement Ecole supérieure de commerce de Paris) et chargé de cours pour les ingénieurs du Corps des mines. Il dirige également la revue Sociétal et assure des chroniques au journal Le Monde et sur la chaîne BFM Business.

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