Jérémy Gabin, créateur d’improbable
Jérémy Gabin, tout juste vingt ans, est un jeune homme multifacettes. La journée, il fréquente les bancs de la faculté de droit, où il est en troisième année. Sitôt rentré chez lui, il « trafique » et associe entre elles des images pour en extraire la substantifique moelle, les confronter, créant ainsi ce qu’il nomme des « interférences ». Il avait exposé ses premiers photomontages en mars 2016 à l’Espace municipal Saint-Ravy, où ses grands tirages sur Dibond®, rassemblés sous le titre "Combinaisons", avaient suscité l’enthousiasme du public. Il revient cette fois-ci à la galerie privée de Samira Cambie, où il propose ses "Interférences", des tirages tout aussi frappants. Interview…
Comment un étudiant en droit en vient-il à « trafiquer » des photos et à les exposer en galerie ?
« Ça s’est fait naturellement. J’ai commencé par détourner des photos de mes amis. Je les plaçais dans des situations cocasses pour provoquer le rire, par jeu. Au bout de plusieurs années, j’avais affiné ma technique et acquis un regard plus esthétique, artistique. J’ai alors décidé de poser ma candidature pour exposer à Saint-Ravy, et elle a été acceptée. Cette exposition m’a permis d’entrer en interaction avec le public, qui m’a beaucoup encouragé à continuer et m’a fourni des critiques constructives. J’ai rencontré Samira Cambie un jour, en sortant de l’expo. Elle savait qui j’étais, on lui avait recommandé mon exposition, et elle l’a appréciée, elle aussi. Nous avons donc décidé de travailler ensemble. »
Comment élaborez-vous vos photomontages ?
« Ils sont précédés de nombreuses heures de recherches documentaires sur les bases de données de photographies libres de droits, tombées dans le domaine public notamment. Je classe et référence les clichés qui attirent mon regard. Il peut s’agir d’œuvres d’histoire de l’art, d’images des années cinquante ou soixante… Puis je les détourne en les associant entre elles, en les déformant, en incorporant un cliché en couleur dans une photo en noir et blanc, par exemple. Je cherche à attirer le regard du spectateur en provoquant des interférences temporelles, chromatiques ou autres. Mon objectif est de créer un choc esthétique. J’aime créer l’improbable. »
On relève certains thèmes récurrents dans vos images…
« C’est vrai : la guerre, la surproduction, la consommation, la censure, l’évasion, le stress au travail, le burn-out, le couple, la famille… »
Il vous est arrivé d’évoquer des phénomènes de société dans vos clichés, comme les SDF, le monde du travail… Etes-vous pour autant un artiste engagé ?
« Pas du tout. Mon but est avant tout esthétique. Parfois, un message émerge a posteriori d’une création, mais ce n’est pas forcément voulu. Je suis trop jeune pour être un artiste engagé. Ce que j’aime, c’est détourner des images… »
On note de nombreuses allusions à l’art dans vos créations…
« J’ai inclus notamment La Jeune Fille à la perle de Vermeer, la Vénus de Botticelli, ou encore un autoportrait de Vincent Van Gogh, en clins d’œil à des tableaux de grands peintres qui imprègnent encore toute notre culture. Sur les réseaux sociaux, les détournements d’autoportraits de Van Gogh sont fréquents. Il y a une porosité des œuvres de grands maîtres de la peinture avec la pop culture ; ce que j’appelle des interférences temporelles. »
Ne vous sentez-vous pas limité dans votre création par le fait d’utiliser les clichés des autres ?
« Si, de plus en plus. J’en viens à me dire qu’il faudrait que j’apprenne la photo. Prendre mes photos moi-même me rendrait totalement maître de ma matière première. Au lieu de ça, parfois, je cherche pendant des jours une image qui correspond à ce que je veux ! Je gagnerais en liberté et en temps. »
Que vous apporte votre pratique artistique ?
« Elle me permet de visiter les époques et les cultures, de détourner le quotidien. »
Pensez-vous que l’art pourrait vous détourner du milieu du droit ?
« Franchement non. Je compte poursuivre et terminer mes études de droit, me spécialiser dans le droit de la propriété intellectuelle, et, en parallèle, continuer à faire du photomontage, voire faire de la photographie et du collage manuel. Mais je ne me vois pas arrêter le droit pour l’art. »
Propos recueillis par Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
Informations pratiques
Galerie Samira-Cambie
16, rue Saint-Firmin – Montpellier.
Tel. : 06 79 12 97 46.
Exposition visible jusqu’au 19 février 2018, du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 19h.