Société — La Grande-Motte

La Grande Motte : infirmier libéral, Yannick Allilaire s’interroge : « si notre métier disparaît, où vont aller les patients ? »

Lors de la Journée internationale de l’infirmière et l'infirmier, le 12 mai dernier, la manifestation avait pour thématique : mort programmée d’une profession. « Les infirmiers libéraux font battre le cœur de la santé, ne le laissez pas s’arrêter. »

François Braun « s’il vous plaît, écoutez ce qu’on a à vous dire. Lisez nos revendications. »

Aujourd’hui, Yannick Allilaire représentant du Collectif Infirmiers Libéraux en Colère demande solennellement à François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention : « s’il vous plaît, écoutez ce qu’on a à vous dire. Lisez nos revendications. »

Est-ce que votre métier d’infirmier libéral risque de disparaître ?

Yannick Allilaire : malheureusement, si on continue avec cette politique du plan de financement de la Sécurité sociale, comme elle est engagée, autant pour les infirmiers libéraux que pour quasiment toute la profession libérale, si ça continue comme ça, oui, notre métier d’infirmier libéral va disparaître. 

Quelles sont aujourd’hui les revendications essentielles, prioritaires, urgentes, des infirmières et infirmiers libéraux ?

Yannick Allilaire : la difficulté de notre métier, c’est que depuis 2009, donc cela fait 14 ans que nous n’avons pas eu de revalorisation de nos actes médicaux infirmiers. Ils sont bloqués à une tarification, et avec l’inflation, on perd 20 à 25% de notre revenu annuel.

Un deuxième point essentiel, c’est la revalorisation de nos tarifs de déplacement, bloqués à 2,50€ depuis 11 ans. 98% de notre activité, ce sont des déplacements à domicile. Nos cabinets sont là pour faire des soins de manière très urgente, pour les patients qui sont proches, ou pour stocker notre matériel.

La retraite aussi est un élément important. Une retraite particulière gérée par  Carpimko (Caisse de retraite des auxiliaires médicaux) ; et bien avant la dernière réforme des retraites qui fixe le départ à 64 ans, nous avions déjà une retraite évaluée à 67 ans.

Au niveau de l’état, d’après les études de la Carpimko, sur les infirmières libérales, l’espérance de vie est de 7 ans inférieure par rapport au reste de la population française féminine. Ce qui veut dire que notre profession travaille plus longtemps, mais décède plus rapidement.

Vous êtes représentant du collectif « Infirmiers libéraux en colère ». Vous avez été reçu le 12 mai par la directrice adjointe de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), comment s’est passé cet entretien ?

Yannick Allilaire : nous avons pu revoir la totalité de nos revendications. L’entretien s’est très bien passé, avec une ouverture d’esprit, mais dès le début elle a été très honnête, en nous disant que les actes ne pourraient pas être négociés avec elle directement parce que c’est la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) qui négocie avec les syndicats représentatifs. Mais on espère bien être invité à la table des négociations. Nous avons fait le point, pour le département de l’Hérault, concernant les indus, et les difficultés d’ordonnance.

Vous aimez votre métier, mais il existe dans la profession d’infirmier libéral un épuisement psychologique et physique. Cet épuisement, à quoi est-il dû ?

Yannick Allilaire : je vais commencer par l’épuisement physique. Pour se rendre auprès de nos patients, il faut entrer et sortir de notre véhicule 30, 40 ou 50 fois par jour. Se stationner, pas toujours proche du domicile des malades. Et selon les bâtiments, il n’y a pas d’ascenseur. Sans compter la manipulation des charges lourdes, matériel et patients alités, que l’on est obligé de manipuler d’un côté à l’autre du lit, pour pouvoir faire un soin complet.

La base du métier c’est la qualité de vie du patient. Donc on ne peut pas faire un soin à la va-vite. Sinon, au niveau psychologique, on va plus que mal le vivre. Personnellement, je prends du temps avec un patient pour qu’il soit dans de bonnes conditions. Quand je pars, j’ai besoin de savoir que sa toilette est faite dans sa totalité. Que son pansement est parfait, et qu’il a une perfusion bien branchée.

Du côté administratif, avec les indus, on a une charge mentale qui se transforme en violence psychologique. Exemple, on prend en charge un patient qui décompense, nous devons appeler le SAMU, attendre à ses côtés, avant qu’il soit emmené aux urgences, ou inversement, un patient qui rentre de l’Hôpital, nous appelle parce qu’il a besoin rapidement de soins. Dans ces deux cas de figure, pour l’administration, on ne peut pas les facturer. Pour son système, le malade ne peut pas être à l’hôpital, et bénéficier, en même temps, de nos soins. On va devoir rembourser une somme que la Caisse considère comme facturée à tort. On va recevoir un document qui nous demande de les rembourser, parfois sur deux ans. Et là, c’est à nous d’aller chercher la preuve, de demander à l’Hôpital une confirmation de l’horaire sur un bon de sortie. Puis d’amener la preuve à la Caisse. C’est psychologiquement épuisant, et parfois on laisse tomber. Il nous manque ces soins, dits invisibles. 

Vous êtes la profession de santé en ville qui a assuré la continuité des soins pendant la crise sanitaire, vous êtes les oubliés du Ségur de la Santé, comment cela s’explique, selon vous ?

Yannick Allilaire : oui, on est la seule profession avec une obligation de continuité de soins. Durant le Covid, tous les autres cabinets para-médicaux étaient tous fermés. Même les médecins ont eu la possibilité de faire de la télé-consultation. Et on se retrouve à être les oubliés du Ségur, oui ! 

On avait beaucoup d’espoir sur ce Ségur de la Santé. Je ne dénigrerai personne. Moi, mes patients, c’est ma priorité ! Emmanuel Macron avait dit une chose comme : « nous ne vous oublierons pas, nous serons là pour vous, vous avez été le maillon essentiel. » Voilà, nous avons fait partie de la première ligne, avec tous les autres. Le Ségur a eu lieu, et en fin de compte, seul l’hôpital a eu droit à quelque chose. Nous étions là tous les jours, au front, pratiquement une année de travail non-stop du lundi au dimanche. Et le Ségur nous a oubliés. 

On ne s’est pas révolté à ce moment-là. On s’est dit que ce n’est pas grave, ils penseront à nous après. Et maintenant, c’est la déception. Quand on voit le dernier PLFSS (le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale), nos revalorisations n’ont pratiquement pas bougé.

Le gouvernement prône le maintien à domicile, le plus possible pour nos patients dépendants, mais derrière il n’y a pas le financement qui suit. On ne rémunère pas nos soignants. Nous avons nos tarifs qui sont bloqués depuis plus de dix ans. Et notre réalité, ce sont des amplitudes horaires de 14h, tous les jours de la semaine. Et bien il y a des cabinets qui mettent la clef sous la porte.

Yannick Allilaire, est-ce que vous avez un message pour François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention, du gouvernement d’Elisabeth Borne ?

Yannick Allilaire : arrêtez d’avoir des réponses qui sont à côté de la plaque, je dirais même méprisantes. François Braun ou madame la première ministre : s’il vous plaît, écoutez ce qu’on a à vous dire. On ne vous demande pas beaucoup. Acceptez de recevoir une délégation du collectif. Acceptez de nous lire. Vous avez nos revendications, elles vous ont été remises en main propre, par l’une de nos consœurs, lors d’un déplacement en Occitanie. Ces revendications vous expliquent les difficultés de notre travail. 

Si notre métier disparaît, où vont aller les patients ? Le système de santé en France s’effondre. À l’hôpital, il n’y a plus de place. Dans les cliniques privées, il n’y a plus de place.

Pour finir sur une note d’engagement et de passion, racontez-nous votre vocation et qu’est ce qui vous rend le plus heureux dans votre vie professionnelle ?

Yannick Allilaire : ce métier est un très beau métier. Mais si on n’a pas de cœur face à l’autre, si on n’aime pas l’écoute de l’autre, c’est un métier qu’il ne faut pas faire, parce qu’il faut aimer entendre la difficulté de l’autre. C’est pour cela qu’on aimerait être entendu.

J’aime ce métier. Quand on donne un sourire à un patient, on gagne déjà du soin. On va motiver un malade avec un sourire, le rassurer et quand il nous rend ce sourire alors qu’il ne va pas bien, on a gagné parce que ça veut dire qu’il se met dans de bonnes conditions, pour réussir à se soigner. On est dans l’humain. Comme l’ensemble des infirmières et des infirmiers, c’est la qualité de vie du patient qui me préoccupe.

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