La virtuosité et la subtilité du trait à la Galerie Boisanté
Qui dit dessin dit sincérité et spontanéité du geste, proximité accentuée entre l'artiste et l'œuvre, et attention accrue du regardeur pour en saisir le moindre détail. Mais qu'est-ce au juste que le dessin ? Face à la multiplicité des pratiques rassemblées sous ce vocable, la galeriste Clémence Boisanté a souhaité montrer un ensemble de techniques relevant du dessin dans l'exposition "Trait pour trait" qui se tient à sa galerie, à Montpellier, jusqu'au 18 février 2017.
Le dessin, un terme à géométrie variable
” Face à la multiplicité des pratiques, le terme “dessin” a perdu de sa justesse. Il est devenu à géométrie variable. Le “papier”, support privilégié du dessin, n’est pas non plus approprié comme terme générique, car les supports sont désormais très variés. J’utiliserais plutôt le terme “œuvres graphiques” “, propose en préambule la galeriste. Illustrant son propos, Clémence Boisanté évoque les papiers imprégnés de pigments colorés et déchirés de Stéphane Bordarier et les huiles sur grillages de Louis Cane, considérés par ces artistes comme du dessin.
La galeriste a souhaité exposer plusieurs générations d’artistes et des œuvres tantôt abstraites, tantôt figuratives, encadrées ou non (à l’image du rouleau libre de Ganaëlle Maury), afin d’offrir un point de vue large sur la question du trait et de sa présentation.
Plusieurs générations et techniques à l’honneur
Aux cimaises, on remarque les œuvres graphiques de deux personnalités, aujourd’hui disparues, qui ont marqué le monde des arts graphiques (et celui de la résistance durant la Seconde Guerre mondiale) : Henri Goetz (1909-1989) et Christine Boumeester (1904-1971). A commencer par les pastels abstraits d’Henri Goetz, qui furent, avec la gravure, l’un de ses champs d’expérimentation favoris. Henri Goetz mit d’ailleurs au point un fixatif pour le pastel. Dans ses œuvres flottent des formes géométriques en suspension. Les dessins exposés mettent aussi en valeur l’évolution formelle de Christine Boumeester entre portraits figuratifs et abstraction, des années 30 aux années 60. Une jolie sanguine de Gérard Barthélémy (1938-2002), portrait sensible d’un enfant, rappelle l’attachement de la galeriste pour cet artiste qui obtint le prix de Rome en 1966 en peinture et dessin, et fit une résidence de deux ans à la Villa Médicis, alors dirigée par Balthus. Ici, le dessin reflète l’intimité de l’artiste avec son sujet et rend compte, dans l’émotion, d’un quotidien hors du temps.
Du côté des contemporains, dans ses Papiers déchirés datant de 1998 et très peu présentés jusqu’à présent, Stéphane Bordarier s’intéresse à la couleur ; à l’interaction des pigments avec le papier et à la déchirure en tant que zone tampon entre le papier coloré et le support blanc sur lequel il est apposé. Ici, deux formes et deux couleurs se confrontent. “La préparation de la couleur, la forme ainsi que la surface du support forment l’essence même de son travail. Sa palette chromatique réduite – vert, bleu, violet de mars, rouge et parfois marron – est caractéristique de son œuvre”, indique la galeriste, qui ajoute : “Je suis sensible à la vibration de ses couleurs et à la tension émergeant de son travail. L’exposition qu’a consacré le Musée Fabre à Stéphane Bordarier en 2010 en fut une démonstration impressionnante”.
Pour sa part, passé par le mouvement Supports-Surfaces, Louis Cane questionne la matérialité de la peinture et remet en cause les supports : résines, grillages, fibres de verre… Ses touches colorées évoquent les haïkus par la simplicité et la poésie qui s’en dégagent.
Du côté de la jeune génération, Luc Doerflinger, que la galeriste a découvert à la Luxembourg Art Week en fin d’année 2016, livre dans la première salle une installation de 10 œuvres graphiques réalisées notamment à l’aquarelle, à la pierre noire et au fusain.
Très contemporaines, reflets de la société urbaine et citadine, les “images” de Luc Doerflinger s’agencent les unes avec les autres selon une scénographie modulable, sans cesse réagencée, et comportent des figures récurrentes (la biche, le cygne, l’avion…). “Ce travail assez sombre, caractérisé par l’omniprésence de la couleur noire et l’anonymat des visages, laisse aussi une large place au texte”, indique Clémence Boisanté. Son diptyque Une théorie du rapprochement évoque les grandes scènes de baisers du cinéma, empreintes de romantisme. Luc Doerflinger exposera au Centre d’art d’Istres en mars 2017.
Ganaëlle Maury livre un spectaculaire exemple de papier non encadré. Sur un rouleau libre de plus de 4 mètres de haut, ses volutes noires exaltent la sensualité du feutre en grand format. Le processus créatif de l’artiste, qui se rapproche de l’écriture automatique et procède par accumulations et répétitions, célèbre la libération du geste. Habituée à réaliser ses créations in situ sur les murs d’exposition, Ganaëlle Maury ne craint pas de se confronter à l’infiniment grand, tout en faisant preuve, c’est à souligner, d’une infinie virtuosité. Elle apprécie également les petits formats, comme en témoigne une jolie carte à gratter.
Un espace pour adultes
A l’étage inférieur de la galerie, un espace est dédié à des œuvres graphiques érotiques de Stéphane Bordarier et de Ganaëlle Maury.
Bien loin de ses Papiers déchirés, Stéphane Bordarier retrace, à l’encre de Chine, les relations de l’artiste avec son modèle, et livre quelques nus de façon frontale. Le geste est enlevé, le trait épais et l’érotisme certain.
Pour sa part, Ganaëlle Maury aborde l’érotisme tout en finesse, dans des tons pop flashy. Un sexe masculin émerge de la végétation, une beauté s’égaie parmi des fleurs aquatiques, une autre boit à une fontaine de façon suggestive. Des bouches pulpeuses disent le plaisir. Joyeuse, cette série de dessins numériques colorés au feutre est issue d’un projet de livre totalement inédit, intitulé Je suis nue, sur des textes de Zelda Hadener.
Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
> Galerie Clémence Boisanté – 10, bd Ledru-Rollin – 34000 Montpellier – 04 99 61 75 67
http://www.galerieboisante.com