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Le partage de véhicules, un secteur à fort potentiel

On pourrait croire que l’autopartage a sombré avec Autolib’, le système parisien supprimé le 31 juillet. Mais il n’en est rien. Dans toutes les villes occidentales, la tendance est à l’usage partagé des véhicules. A condition que les municipalités s’en donnent les moyens.

A Lille, ville de 230 000 habitants, 42 % des foyers ne possèdent pas de voiture. Cette proportion de ménages non motorisés, identifiée par les recensements de l’Insee, est similaire à Marseille, un peu inférieure à Bordeaux ou à Grenoble, et atteint des records à Paris, où 63 % des foyers ne sont pas équipés d’une automobile. Même dans les villes moyennes, la part de foyers sans voiture atteint 20 à 30 %, alors qu’elle est proche de zéro dans les communes périurbaines.

Comment font tous ces citadins pour se déplacer ? Ils marchent, empruntent les transports publics, montent sur leur vélo, hèlent un taxi et parfois louent une voiture. Mais le loueur classique revient cher lorsqu’il faut y recourir une fois par semaine. C’est sur ce segment de marché, les citadins sans voiture mais qui en ont besoin de temps en temps, que se positionne l’autopartage. Ce secteur d’activité – appelé carsharing en anglais mais aussi en Belgique ou en Suisse – consiste à proposer des véhicules à des abonnés, en fonction de leurs besoins, par exemple deux heures, une demi-journée, trois jours ou un mois.

Un modèle économique fragile

L’autopartage n’est pas encore très connu – on le confond parfois avec le covoiturage – mais il a bénéficié ces derniers temps d’un coup de projecteur paradoxal. Fin juillet, le service Autolib’, qui desservait Paris et une centaine de communes de la région parisienne depuis 2011, a cessé de fonctionner. Au même moment, toujours à Paris, le Vélib’ – système de vélo partagé –, connaît de grosses difficultés : le nouvel opérateur Smovengo, une société affiliée à la galaxie Mulliez, ne parvient pas à installer des stations et des vélos fiables en nombre suffisant.

Ces deux services, Autolib’ et Vélib’, opèrent à Paris et possèdent de nombreux clients. Il n’en a pas fallu davantage pour que les médias nationaux s’interrogent : l’économie du partage, dans les transports, est-elle hors d’usage ? L’économie du partage, dite aussi collaborative, était présentée au début des années 2010 comme pleine d’avenir. Désormais, assuraient les prospectivistes, on ne possèderait plus, on achèterait moins ; on partagerait, on louerait. Le principe est vertueux à l’échelle de la ville : mieux vaut utiliser davantage un faible nombre de voitures plutôt que de laisser chaque citadin posséder la sienne, la plupart du temps stationnée. Vélib’, depuis 2007, et Autolib’, à partir de 2011, apparaissaient comme les deux systèmes les plus solides. Mais deux arbres abattus ne cachent-ils pas la forêt encore debout ?

Certes, l’autopartage fonctionne correctement à Strasbourg, Toulouse et Grenoble. Le groupe Bolloré, concessionnaire d’Autolib’, propose ses mêmes voitures grises électriques à Bordeaux et Lyon, sous les noms respectifs de Bluecub et Bluely. Le vélo en libre-service connaît de beaux jours à Lyon, où l’opérateur JCDecaux – non renouvelé à Paris – a remplacé, à la mi-juillet, en une nuit, 4 000 vélos par un nouveau modèle. De nombreux entrepreneurs, qu’ils proposent des voitures, des quads électriques ou des scooters, cherchent à s’implanter sur le prometteur marché parisien. Ils sont déjà présents à Milan, Munich, Vancouver ou Amsterdam.

La disparition d’Autolib’ et les difficultés de Vélib’ sont révélatrices des faiblesses du transport partagé. Malgré la proportion importante de foyers sans voiture, ce secteur ne prospère pas comme il le pourrait. Par ailleurs, le vélo en libre-service coûte cher aux pouvoirs publics : entre 2 500 et 4 000 euros par an et par vélo. Cette somme faramineuse s’explique par les coûts du service, mais aussi par le manque à gagner en matière de recettes publicitaires. Pour plusieurs villes moyennes, le fardeau était trop lourd. Chalon-sur-Saône, Aix-en-Provence et Perpignan ont dû renoncer à ce service, et de nombreuses autres villes cherchent à en limiter le coût.

Du côté des voitures, le modèle économique est également fragile. Le réseau Citiz, présent dans une centaine de villes en France, n’a convaincu que 40 000 abonnés, et sa croissance, depuis 2002, rappelle davantage la démarche de la tortue que la course du lièvre. Les loueurs traditionnels qui ont lancé une branche autopartage ne sont pas parvenus à conquérir le marché.

Des avantages en nature

Les nouveaux opérateurs, à commencer par Renault ou Peugeot, ne savent pas encore s’ils trouveront un modèle viable. La tentation de ces gros acteurs, comme c’était le cas de Bolloré, est de proposer au client un service complet : disposer d’une voiture selon l’envie, la rendre où l’on veut, rouler à l’électrique, et tout ça pour pas cher. La quadrature du cercle. Si Bolloré a jeté l’éponge, c’est parce que ça lui coûtait trop cher. A Madrid, le système proposé par Peugeot continue de perdre de l’argent, notamment parce qu’il faut payer des « jockeys » qui ramènent les voitures dans les quartiers les plus fréquentés.

Permettre à chaque utilisateur de replacer la voiture où il le souhaite (la « trace directe ») génère des frais importants, tout en réduisant l’impact de l’autopartage : on emprunte une voiture non pas pour effectuer un trajet indispensable, mais pour remplacer le métro, le taxi ou le vélo. L’autopartage qui fonctionne, à l’image du suisse Mobility, qui compte 177 000 abonnés dans tout le pays, privilégie la « boucle » : on remet la voiture à la même station après avoir effectué une course.

Pour se développer, l’autopartage a besoin de clients. Mais des clients qui comprennent l’intérêt du service : les fameux 42 % de Lillois ou de Marseillais sans voiture. « Le coût d’acquisition de chaque client est très élevé », reconnaît Jean-Baptiste Schmider, président de Citiz. La municipalité peut aider, soit en subventionnant le secteur, soit, plus subtilement, en lui octroyant des avantages en nature, comme le stationnement gratuit, une visibilité sur la voirie, voire un usage du service par ses propres agents. A Milan, la « zone à trafic limité », périmètre au sein duquel est dû un péage urbain, constitue une formidable opportunité pour les sociétés de véhicules partagés, vélo, scooter, voiturette ou voiture. Le véhicule partagé a bien sûr un avenir, mais il a d’abord besoin de notoriété.

Olivier RAZEMON

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