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Le revenu universel : base de discorde ?

L’instauration d’un revenu universel de base pour lutter contre le chômage et la pauvreté…

L’instauration d’un revenu universel de base pour lutter contre le chômage et la pauvreté est une proposition en vogue qui dépasse les clivages politiques. Mais sa mise en œuvre reste bien délicate…

Dans le cadre d’une votation début juin, les Suisses ont rejeté à une grande majorité (77 %) l’instauration d’un revenu de base inconditionnel de 2 500 francs suisses (soit 2 260 euros) pour les personnes adultes qui résident dans le pays depuis plus de cinq ans et de 650 francs suisses pour les mineurs. Toujours est-il que cette idée commence à agiter les esprits dans de nombreux autres pays.

Un revenu inconditionnel

Le revenu universel de base consiste à verser, sans conditions, à chaque personne résidant dans un pays, un revenu dont il peut disposer librement. Le plus souvent, le montant de ce revenu est fixé à un niveau supérieur au seuil de pauvreté, afin de lutter contre la trappe à pauvreté.

Il existe certes une variante qui réserverait ce revenu aux seuls citoyens, mais celle-ci soulève d’emblée de nombreuses questions insurmontables… Quoi qu’il en soit, l’inconditionnalité et l’universalité sont deux caractéristiques qui heurtent frontalement notre vision de la société, puisqu’elles impliquent que le versement de ce revenu ne dépende pas de la situation personnelle et encore moins de la situation professionnelle. Autrement dit : libre à chacun de travailler ou non. Nos sociétés – la France ne fait pas exception – reposent encore pour l’essentiel sur une conception judéo-chrétienne du travail que les philosophes des Lumières ont laïcisée dans cette célèbre formule qui conclut Candide de Voltaire : « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Dès lors, l’instauration d’un revenu universel, d’existence, de base ou quel que soit son nom, nécessite un changement radical de notre manière de penser l’économie et de faire la société.

Une idée révolutionnaire

Il n’est pas surprenant que ce soit dans l’effervescence de la période révolutionnaire qu’un tel dispositif affleure en France. Plus précisément, c’est à la tribune de l’Assemblée nationale que le député Thomas Paine prononça, en 1792, un discours dont la phrase suivante était à elle seule révolutionnaire et préfigurait les débats actuels : « Sans revenu, point de citoyen ». Il est intéressant de noter que, par-delà un certain babouvisme dont Paine fut accusé d’être le porte-parole, c’est plutôt la notion de libre choix – voire de libre-arbitre – qu’il interrogeait par cette sentence lapidaire.

Un revenu qui coûte cher ?

D’emblée, la critique porte sur l’incitation au travail et le coût du dispositif. Or, les premières expériences menées au Canada et aux États-Unis dans les années 1970 montrent qu’en fait de désincitation au travail, c’est plutôt à une réorganisation du temps de travail et à un refus des emplois mal payés qu’on assiste, ce qui peut constituer un excellent levier d’amélioration qualitative des emplois.

En revanche, il est vrai que verser 1 000 euros par personne en France coûterait 675 milliards d’euros au total, soit près d’un tiers du PIB ! Mais il ne faut pas oublier que le revenu de base se substituerait à de nombreuses allocations existantes et en simplifierait le fonctionnement, ce qui en réduirait le coût. Toutefois, en l’état actuel des finances publiques, il serait difficile pour le gouvernement de lever de nouveaux impôts afin de régler le reste de la note…

Par-delà les clivages politiques

Le revenu de base est désormais soutenu par des personnes de toutes les obédiences politiques et philosophiques, depuis les ultralibéraux jusqu’aux communistes : les uns y voient une manière de flexibiliser l’économie, de simplifier l’Etat providence et de faire face à la destruction programmée de nombreux emplois avec le développement des outils numériques, les autres un moyen de rompre avec le capitalisme et l’asservissement au travail grâce au versement d’un dividende social. Ainsi, parmi ses partisans, on peut citer les économistes André Gorz, Milton Friedman et James Tobin, et en politique, Dominique de Villepin, Christine Boutin, Frédéric Lefèbvre, Eva Joly, José Bové, etc.

En France, après le Conseil national du numérique qui en a fait l’une de ses propositions dans son rapport remis en janvier 2016 sur les mutations du monde du travail à l’heure du numérique, c’est le Premier ministre qui vient d’ouvrir le mois dernier un chantier sur le revenu universel de base, même si celui-ci semble bien éloigné du concept originel. En effet, pour Manuel Valls, il s’agit plus de réformer et d’harmoniser les minima sociaux, conformément au rapport du député Christophe Sirugue (PS, Saône-et-Loire), que de distribuer de manière inconditionnelle un revenu à tous. Dans d’autres pays, comme en Finlande ou aux Pays-Bas, des expériences s’opèrent déjà grandeur nature dans certaines communes. Mais c’est dans la Silicon Valley, aux Etats-Unis, que le sujet est le plus pris au sérieux, en raison des conséquences sur l’emploi que pourraient avoir les nouveaux outils numériques et l’intelligence artificielle…

Raphaël DIDIER

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