Droit

 Le RIP plutôt que le RIC ! par Christophe Euzet, Député de l’Hérault 

  Comment vivez-vous la période actuelle en tant que député ? Nous traversons une crise…

 

 

Comment vivez-vous la période actuelle en tant que député ? Nous traversons une crise démocratique profonde qu’il convient de prendre avec le plus grand sérieux. Elle vient de loin. Elle touche toute la représentation et le système politique tout entier. Notre avenir collectif est en jeu. 

Elle vient de loin ? Elle a ses sources dans le fait que la classe politique a trop longtemps vécu recluse sur elle-même, qu’elle a monopolisé les mandats et les fonctions, qu’elle a accumulé les mandats sans limite dans le temps et que le mode de scrutin majoritaire que nous connaissons ne permet pas de représenter toutes les sensibilités politiques. Tout cela a créé une fracture importante, entre les élites et le peuple, entre Paris et la périphérie. 

Cela n’explique pas tout cependant ? C’est vrai, d’autres facteurs sociaux, sociétaux même, ont préparé le terrain de ce que nous vivons, pendant des décennies : la voiture, la télévision, les habitations individuelles nous ont progressivement isolés. Cela s’est traduit également par l’érosion de notre investissement citoyen. Les associations, les syndicats, les mouvements politiques, ont été peu à peu désertés. Les anciens lieux de socialisation, comme le bistrot, ont fait long feu… 

Quel rapport avec la crise que nous traversons ? Les gens se sont repliés chez eux, devenant de plus en plus spectateurs de leur vie. Ils regardent à la télévision et, maintenant, sur les réseaux sociaux, un monde auquel ils ont le sentiment de ne pas prendre part. En tout état de cause, ils ont la conviction que le pouvoir de voter tous les cinq ans ne suffit pas pour qu’ils se considèrent comme des citoyens actifs. Ce qui n’est pas faux ! 

Le RIC est la bonne solution alors ? Une « forme » de RIC pourrait être une partie de la solution. Il faudrait déjà redonner vie à ce qui existe. Le référendum existe déjà dans notre système sous de multiples formes mais n’est pas utilisé ou très peu. A titre personnel, je suis favorable au procédé : il appelle le peuple à décider lui-même sur certains sujets, il l’implique dans la décision politique, le fait prendre part au débat public. C’est positif. Nécessaire. 

Oui, mais il est déclenché, au local et au national, par les élus et non par la population ! C’est exact et ce procédé me semble utile lorsqu’il convient de faire approuver des décisions importantes. 

Le RIC va beaucoup plus loin. C’est bien mieux, non ? Le référendum d’initiative citoyenne dont on parle actuellement va beaucoup plus loin en effet. Il vise à permettre aux citoyens de demander l’adoption ou l’abrogation d’une loi, la révocation des élus ou encore l’adoption d’une nouvelle Constitution. 

Et vous êtes contre ? En matière constitutionnelle, il n’y a pas de mauvaise idée. Tout se discute. Tout doit être soumis à une analyse scrupuleuse, car le sujet est majeur ! Depuis que l’on réfléchit et que l’on écrit sur la question, même les plus grands défenseurs du RIC expliquent qu’il faut l’utiliser avec précaution. 

Pourquoi ? Parce que si, sur le principe, le procédé est attrayant, en pratique, il pose des problèmes que ses propres défenseurs n’ont pas pu surmonter. La question de l’initiative d’abord : qui le propose ? en pratique, on sait que ce sont des groupes de pression, des 

lobbies. S’il n’y a pas de seuil minimum de déclenchement, nous nous exposons à une multitude de consultations. La question de la rédaction ensuite : qui l’écrit ? Tout texte juridique fait l’objet d’une procédure de négociation, d’une discussion ; or ici, le procédé ne le permet pas. On s’expose donc à des RIC concurrents, en permanence et sur tout. Car se pose également le problème du champ de la question : le RIC peut-il porter sur tout ? Si c’est le cas, comme le proposent certains, comment organiser une société qui pourrait tout remettre en cause sur tout et tout le temps ? Enfin, se pose une question souvent négligée : celle des droits de la minorité. En démocratie directe, la majorité a raison sans aucune nuance. Elle a « absolument » raison. Les minorités ne sont pas protégées. Elles ont tort parce qu’elles sont minoritaires. 

Ce qui signifie ? Tout simplement qu’un lobby anti-corrida pourrait faire voter l’interdiction des férias, que des associations d’accidentés de la route pourraient initier l’interdiction de la moto, que des groupes de footeux pourraient demander l’interdiction du rugby ! Et que l’on ne me dise pas que je caricature : si tout est permis et sans limite, par principe tout est possible ! 

En résumé, vous êtes « contre » alors ? Non, je ne suis pas contre. Je crois que, comme en toute chose, il faut chercher et trouver des solutions raisonnables et améliorer l’existant : il existe dans notre système le Référendum d’initiative partagée (RIP). Des citoyens peuvent demander la procédure de référendum, ils en ont donc l’initiative, mais avec l’appui de parlementaires. Ensuite, le texte est soumis au vote, dès lors qu’il porte sur un des domaines prévus et délimités par la Constitution. Je pense qu’en abaissant les seuils et en introduisant de la proportionnelle pour le rendre d’utilisation plus facile, ce système satisferait beaucoup mieux les exigences démocratiques : contrôle de la rédaction, négociation du contenu, contrôles juridictionnels (Conseil d’Etat et Conseil Constitutionnel), respect des droits des minorités. Il nous faut construire une société de l’apaisement et non de l’affrontement permanent ! 

Et garder une organisation viable dans le temps ? Un « projet collectif conscient » disait un grand juriste autrichien, Hans Kelsen, qui croyait en la démocratie représentative et en l’Etat de droit, mais qui savait déjà qu’elle devait ménager une bonne place aux mécanismes de la démocratie semi-directe ! 

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