Entreprises — France

Lionel Canesi : « Il faut créer un fonds exceptionnel d’indemnisation pour les chefs d’entreprise »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la crise sanitaire et les difficultés qu’affrontent les chefs d’entreprise ne laissent pas les experts-comptables indifférents. Bien au contraire. Depuis le premier confinement, ils sont en première ligne, aux côtés des entrepreneurs. Au-delà de cet accompagnement au quotidien, Lionel Canesi, le président du Conseil supérieur de l’Ordre, se montre à la fois offensif et inventif pour trouver une issue positive à cette situation totalement inédite. Pour lui, la relance doit être rapide et forte.

Face à une situation sanitaire qui se durcit et suite à l’annonce par le président de la République du 3e confinement, quels sont vos conseils ? Comment ressentez-vous les choses pour mieux accompagner les entreprises ?

Lionel Canesi : « Depuis mars 2020, la profession est engagée au plus près des entreprises, à la fois dans le décryptage des aides, dans l’accompagnement, dans le conseil. Cette position particulière et privilégiée de vigie de l’économie permet de voir ce qui se passe dans nos PME. Ce tissu de 3 millions de PME est très important et, aujourd’hui, au vu des aides massives qui ont été mises en place par le gouvernement, je pense qu’on est aussi champions du monde de l’accompagnement des entreprises.

Le gouvernement a déjà beaucoup fait, et en ce nouveau confinement, il faut continuer à accompagner les entreprises. Il faut que les entreprises tiennent car il y a une énorme lassitude chez beaucoup de dirigeants de petites entreprises. Elles ont fermé puis rouvert avant une nouvelle fermeture en novembre, il y a eu des couvre-feux et maintenant, on referme. Il faut arriver à sauver ces entreprises et remonter le moral des dirigeants si on veut que demain, il y ait une relance de l’économie et si on veut éviter des dépôts de bilan massifs. Je suis persuadé qu’il n’y en aura pas beaucoup, mais à condition qu’on prenne quelques mesures pour accompagner les entreprises. Aujourd’hui, l’oublié principal est le dirigeant. Malgré le Fonds de solidarité qui l’aide à payer ses charges, son loyer, son assurance, ses emprunts, à la fin du mois, il ne lui reste rien pour vivre.

Il faut que sur ce mois d’avril, il y ait un fonds exceptionnel d’indemnisation du dirigeant, même si c’est 1.500 ou 2 000 euros, en plus du Fonds de solidarité spécifique aux dirigeants, pour l’aider à vivre. Jusqu’à maintenant, sur les activités fermées, le Fonds marche très bien. Le problème, ce sont les activités qui continuent d’être ouvertes et qui perdent du chiffre d’affaires. »

Ne faudrait-il pas envisager de modifier un peu notre assurance chômage, faire cotiser les professions libérales, les travailleurs indépendants pour créer un fonds qui puisse les indemniser s’ils n’ont pas d’aides ?

Lionel Canesi :  « Je suis contre une assurance chômage des travailleurs non-salariés et il n’y a pas de demande pour cela. Il y a des dispositifs facultatifs qui existent, mais ils n’ont jamais marché parce qu’il n’y a pas ce besoin. Un entrepreneur qui a un projet d’entreprise veut le réaliser, se battre pour et ne pense pas à l’après, au chômage. Aujourd’hui, on est face à une situation particulière et catastrophique de crise sanitaire. Alors qu’avant, le dirigeant qui déposait le bilan assumait de le faire parce qu’il n’avait pas réussi ; maintenant, il n’y est pour rien dans le contexte actuel. Je suis plutôt pour la constitution d’un fonds, à l’instar de celui pour les catastrophes naturelles, qui soit alimenté pour aider les chefs d’entreprise qui allaient bien avant la crise. Un fonds qui vienne se substituer à leur caution et les accompagne dans le rebond. Il faut que ce soit du cas par cas pour éviter les abus et les dépôts de bilan frauduleux, mais les tribunaux de commerce, les experts-comptables et l’Etat savent faire la différence. »

On parle aussi des « dettes Covid », qui sont des prêts que vous proposez d’étaler sur dix ans…

Lionel Canesi : « Nos TPE/PME ont, en général, autour de 5 % à 6% de bénéfice net, ce qui n’est pas énorme. S’il ne sert qu’à rembourser les dettes ces prochaines années, il n’y aura plus d’investissement dans notre pays, donc il n’y aura plus de relance. Il faut identifier les dettes fiscales et sociales qui ont été générées par la crise, les mettre de côté, projeter l’activité de l’entreprise. Celle qui est viable sans le remboursement des dettes Covid doit être sauvée quoi qu’il en coûte. Si on réétale sur dix ans ces dettes-là, on donne à l’entreprise la faculté de s’en sortir, d’investir et ainsi on évite les dépôts de bilan d’entreprises saines. Faisons les choses simplement, permettons aux entreprises qui le souhaitent d’étaler leurs dettes Covid sur dix ans, ce qui permettra aussi d’avoir des entreprises qui restent en vie et qui peuvent investir. »

Les experts-comptables, en tant que conseils des PME, ressentent-ils aussi les effets des difficultés des entreprises ? Ont-elles les moyens de vous rémunérer, vous et leurs autres conseils ?

Lionel Canesi : « Tout d’abord, un expert-comptable, ça ne coûte pas, ça rapporte : le conseil d’un expert-comptable rapporte plus qu’il ne coûte. Pour l’instant, on ne ressent pas encore complètement ces difficultés parce que nous sommes en -deuxième rang. On sera en difficulté quand nos clients seront en difficulté. Avec toutes les aides massives qu’ont eues les entreprises, elles ne sont pas encore en difficulté. On le voit bien, les dépôts de bilan sont en chute libre. Les difficultés arriveront quand il faudra rembourser les aides et d’autant plus si c’est sur une durée trop courte. Et derrière, il n’y a pas que les experts-comptables qui seront en difficulté, parce que s’il y a des dépôts de bilan massifs, ce sont tous les fournisseurs de ces entreprises qui eux aussi ont des fournisseurs, etc., qui seront en difficulté, donc toute l’économie, par effet ‘boule de neige’. »

L’une des préconisations pour pallier ce phénomène de « boule de neige » est de booster un peu la consommation.
Qu’en pensez-vous ?

Lionel Canesi : « Je pense qu’actuellement, la situation économique n’est pas si catastrophique, malgré la crise sanitaire. On a – 8,4 % de baisse de chiffre d’affaires en 2020. Quand on regarde secteur d’activité par secteur d’activité, il y a des disparités entre les secteurs d’activités fermés et ceux qui sont ouverts. Il y a une attente des Français de relance de l’économie ; il manque une étincelle pour allumer le feu de la relance. En un an, près de 200 milliards d’euros ont été épargnés par les Français de manière forcée, l’argent dort à la fois sur les comptes courants, sur les livrets, un peu partout. Si on veut relancer la consommation, il faut que cet argent soit transféré de l’épargne, qui aujourd’hui ne rapporte rien à l’épargnant, vers la consommation.

En créant les conditions pour déplacer cet argent, l’Etat va en récupérer la moitié, entre les 20 % de TVA et les 30 % d’impôts, et ça va faire travailler des gens qui vont récupérer des salaires, avoir un chiffre d’affaires et donc, faire travailler l’économie. Et contrairement à ce qui se dit, ce système ne va pas bénéficier qu’aux plus aisés. Ceux qui consomment sont ceux qui ont de l’argent, mais la consommation de ceux qui ont de l’argent bénéficie à ceux qui en ont moins puisque cela assure leur salaire ; il y a moins de précarité, plus de la confiance. Et si on veut de la redistribution, il faut créer de la richesse et que la richesse soit dépensée.

Pour ce choc de consommation, je vois trois pistes. La première, c’est de permettre aux grands-parents, qui ont de l’épargne, de donner en franchise de droits, par exemple, jusqu’à 50 000 euros à un enfant ou un petit-enfant. Cet argent ira dans le circuit économique et permettra de relancer la consommation. Idem pour l’épargne salariale des Français, en débloquant pendant un an ou deux ans, par exemple pour 2021 et 2022, l’épargne salariale sans condition, ou encore pour l’assurance vie, en permettant de débloquer
50 000 euros d’assurance vie d’un contrat pour l’utiliser sans impôts. Ainsi, on refait vivre notre économie.

Récemment, vous avez adressé au gouvernement 50 propositions pour la relance de l’économie. Pouvez-vous en citer quelques-unes parmi les plus importantes ?

Lionel Canesi : « Les trois que je viens de citer sont des mesures phares de nos 50 propositions. Une autre est importante : il s’agit de passer d’une fiscalité punitive à une fiscalité incitative. Prenons le cas de la vie du véhicule électrique ou du véhicule thermique. Aujourd’hui, un chef d’entreprise qui a deux ou trois véhicules à acheter pour ses collaborateurs se pose la question du véhicule thermique ou de l’électrique, mais ce dernier coûte plus cher, a moins d’autonomie et pas de borne de recharge, donc rien ne l’incite à avoir un comportement écologique. S’il achète un véhicule thermique, il va avoir une petite pénalité… ou une grande pénalité s’il achète une grosse voiture. Plutôt que de punir en achetant du véhicule thermique, il faudrait inciter fiscalement à aller vers l’écologique. Donc, nous proposons la déduction de la TVA sur l’achat de véhicules électriques, et la possibilité d’amortir la totalité du véhicule électrique.

Deuxième secteur d’activité où notre pays devrait investir, c’est le numérique : nous proposons le suramortissement. Un commerçant qui achèterait un site de click and collect pour 5 000 euros, par exemple, déduirait fiscalement 10 000 euros et bénéficierait donc d’un suramortissement de 100 %. Il faut inciter les gens à avoir des comportements vertueux, à aller vers les secteurs d’activité d’avenir, qui sont, pour moi, l’écologie et le numérique. »

La profession d’expert-comptable est donc essentielle pour les entreprises ?

Lionel Canesi : « Je crois que la profession mérite d’être classée comme une profession essentielle. C’est une demande que je fais en ce moment parce qu’on est au combat depuis un an pour sauver les entreprises. On est en pleine période fiscale, les experts-comptables et leurs équipes doivent gérer les déclarations fiscales, les TVA, les salaires, les demandes d’aides massives, les demandes d’activité partielle, collecter l’impôt et les charges sociales, tout en étant en télétravail et en gardant les enfants. Ce n’est pas possible. Je demande donc que l’on soit reconnus comme une profession essentielle, ce qui nous permettrait de pouvoir continuer à travailler, car on ne peut pas être en télétravail total. Il faudrait que la profession puisse faire garder ses enfants prioritairement, comme d’autres. On demande juste qu’on nous aide à pouvoir faire notre travail et à continuer à sauver les entreprises.

Propos recueillis par Boris STOYKOV
pour RésoHebdoEco.

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Commentaires

  1. Oui. Les jeunes dirigeants d entreprise ont démarré seuls… travaillés dur . semaine s, dimanches, jours fériés, sans prendre vacances ( pas les moyens), sans se faire de salaire durant plusieurs années pour faire vivre leur affaire. La faire prospérer. Embauché de nombreuses personnes, les former, avec ts les soucis et déboires connus de tous . Pris du temps pour des stagiaires scolaires, etc……
    Et parce qu’il s ont grandi après toutes ces nombreuses années de galère, souvent, et travail et investissement personnel acharnés… NON ! Trop de salariés. Donc aucune aide.
    Alors, que vont ils devenir. Mettre tout ce personnel au chômage ? ( là aussi, faudrait bien penser à arrêter d assister tous ceux qui préfèrent toucher leur indemnités sans s emmerder à travailler. Et ainsi, profiter de toutes les aides possibles

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