Mauguio-Carnon, une maison entre terre et mer selon le maire Yvon Bourrel
Maire de la commune de Mauguio Carnon, Yvon Bourrel conduit son troisième mandat avec la conviction que ces 2 pétales ont chacun une richesse et une fragilité propres à défendre.
Yvon Bourrel © Mathieu Weisbuch
La bipolarité de Mauguio Carnon est le fruit d’une histoire. Mauguio a constitué par le passé un important territoire englobant La Grande-Motte. Celle-ci, constituée en tant que commune indépendante en 1974, a rompu cette homogénéité initiale.
“L’agrégation de 2 entités a été réalisée sous une même bannière communale, mais avec une inclination vers l’agriculture et le taureau à Mauguio, et vers le nautisme et le tourisme à Carnon” explique le maire. Les habitants, eux non plus, n’ont pas le même profil. “Historiquement, Mauguio s’est construite petit à petit avec les Melgoriens puis avec les Espagnols, mais n’a jamais subi les variations générées par le tourisme, parfois perçu comme invasif par les Carnonnais, qui sont 3 500 à l’année et 10 fois plus l’été” note Yvon Bourrel. Le maire ose un constat : “les Carnonnais sont parfois contrariés par ce volet touristique qui a été brutal parce que décidé par l’Etat et non par les gouvernants locaux. Avec la mission Racine, on voulait que le transit vers l’Espagne s’arrête sur la côte languedocienne…”
Pourriez-vous définir votre commune ?
A Mauguio
Yvon Bourrel : “Initialement, Mauguio est un village agricole. L’agriculture était faite de vigne. Ensuite il y a eu la culture de la pomme, les vergers, qui ont laissé place à la culture de l’asperge, aux maraîchers et à une polyculture. Mais elle n’a plus été guidée par des agriculteurs ayant reçu en héritage une terre qu’ils travaillaient avec un cheval et plus tard un tracteur. Sont arrivés des techniciens diplômés qui ont tiré parti de l’ingénierie technologique des serres et d’une culture intensive intégrant la ressource en eau du Bas-Rhône. Puis, dans les années 70, un bassin d’emploi s’est développé avec le rayonnement d’IBM et l’aéroport lorsqu’il y avait la compagnie Air Littoral. Mauguio a vécu une montée en puissance avec la proximité de Montpellier et l’éclosion des autres zones d’activités de Fréjorgues par exemple, où l’on compte 70 hectares d’activité économique.”
Et pour Carnon…
Yvon Bourrel : “Carnon s’est transformée depuis le vieux village à Carnon-ouest. Le port a été creusé dans les années 1970. La ville s’est étirée sur un lido fragile qui a toujours appelé une attention particulière. La Mission Racine a considérablement perturbé le trait de côte. La zone dense, elle, est protégée par les épis. On a constaté un déport des agressions marines du Petit Travers vers des accrétions de sable à La Grande-Motte.”
En quelque sorte, Carnon subit les aléas du littoral ?
Yvon Bourrel : “C’est cela, conjugué aux conséquences de la mission Racine. Nous voulons apporter une mesure corrective à Carnon en matière d’urbanisme, de recomposition et de requalification de l’espace public. Nous voulons une vie à l’année avec les contraintes touristiques. Il faut accompagner le flux en positionnant les stationnements, en évitant les circulations inutiles… Il est important de dégager le front de mer, d’aller vers le développement d’une station réputée familiale, car nous n’avons pas développé de lits ni créé d’hôtels. Les gens qui viennent en vacances habitent principalement chez l’habitant. Cette volonté de recomposition des infrastructures s’est traduite par la base nautique lors de la mandature précédente.
En ce moment, nous construisons une nouvelle Capitainerie. Nous investissons 9 millions d’euros pour Mauguio Carnon 2030, traduisant cette volonté de réécrire l’urbanisme de Carnon, qui a une singularité dont on se serait passé. Le port est caché par une barre d’immeubles. Quand on arrive à Carnon, on se demande s’il y a un port. La distribution urbanistique de la ville ne me semble pas heureuse. Les attentes en matière d’aménagement de l’espace public ont évolué.”
Quels changements avez-vous apportés ?
Yvon Bourrel : “Nous essayons de travailler sur une recomposition qui permette d’offrir la vue de la mer avec l’accompagnement de l’activité économique. Les restaurateurs font des efforts pour intégrer leur mobilier, leur vélum, leur accueil et leur carte. Notamment à Carnon-ouest, qui connaît une recomposition extraordinaire. Au Jardin du Bosquet, nous repartions de zéro. Nous avons aussi réalisé le parking Bassaget, et travaillé sur l’installation des frères Coste dont une partie du complexe est chez nous, en remplacement des CEMEA, un bâtiment tombé en déshérence.
Nous voulons développer les sports de glisse, les sports doux, mais en essayant d’exploiter le milieu d’une manière respectueuse de sa fragilité. Pour preuve, le positionnement des différentes buvettes de plages du Grand Travers à Carnon-ouest. On ne compte que 3 grands lieux de buvettes à 1 200 m2 et 3 à 600 m2 avec des manèges pour les enfants et de la restauration. Nous sommes conscients de cette fragilité. Nous avons pu l’observer avec le réengraissement en 2008 [Yvon Bourrel préside le syndicat des communes littorales de la baie d’Aigues-Mortes, qui avait souscrit l’emprunt pour réengraisser la plage, ndlr].
Nous avons aussi participé à la renaturation du Lido, pour lequel nous avons investi, avec les différents partenaires institutionnels 5 millions d’euros de plus, sans le sanctuariser pour autant. D’autre part, avec le recul stratégique, nous avons entamé la recomposition spatiale du parking en arrière de la plage, au lieu de le laisser en bordure. D’une manière générale, la gestion de la fragilité du milieu et du risque de submersion marine est de plus en plus contrainte par des textes administratifs. Mais la seule observation que nous en faisons milite déjà pour la prudence.”
Comment mettre en place cette protection et permettre le développement urbain ?
Yvon Bourrel : “Le PLU ne permet plus l’octroi de permis en première ligne. L’analyse réglementaire est que l’adjonction d’une chambre ou d’une pièce est vécue comme une aggravation du risque, donc préjudiciable à la délivrance d’un permis. La ville, la zone dense, est protégée par les épis. Nous en prévoyons 3 autres au Petit Travers qui feront la transition avec la zone naturelle. L’érosion menace le rond-point du Petit Travers. Cette affaire va coûter 1,8 million d’euros dont 80% devraient être pris en charge par le fonds Feder (Fonds européen de développement régional) et 20% par la commune. La protection de la route coûte 300 000 euros. C’est le mythe de Sisyphe. On met des ganivelles, puis elles sont emportées… On rajoute du sable, on réengraisse un peu et ainsi de suite. Nous avons commencé à travailler sur le Lido dans les années 2000. Mais onze ou douze ans plus tard, nous constatons que la route RD59 va devoir disparaître parce qu’elle fragilise le pied de dune, qui ne peut pas s’ancrer.”
Revenons à Mauguio, comment l’activité économique s’y développe-t-elle ?
Yvon Bourrel : “Nous avons installé la zone artisanale de la Louvade dans la périphérie de Mauguio. L’activité artisanale a été extraite du cœur de ville, où elle n’était plus compatible avec l’habitat permanent. Autrefois, les ruraux étaient habitués à entendre le forgeron et le coq. Mais les urbains qui se sont installés ont trouvé que l’un et l’autre faisaient trop de bruit. La vie et les attentes ont évolué. Dans le même temps, nous avons travaillé sur l’activité économique autour de la zone aéroportuaire dont les premières pierres à Fréjorgues ouest ont été posées en 1978, 1982, 1988 en 3 phases.
Aujourd’hui, nous aménageons Fréjorgues est avec les zones de la Mougère et du PIOM (parc industrie Or Méditerranée) et travaillons sur la recomposition de Fréjorgues ouest. Ce sont des projets qui ont une maturation très longue. Les deux clés de la réussite du développement économique sont la visibilité et l’accessibilité. La visibilité nous l’avons avec l’aéroport, nous travaillons d’arrache-pied sur l’accessibilité. C’est là que nous devons être encore plus performants avec l’opérateur qu’est le Département, le maître d’ouvrage des réseaux viaires, et la Région, partenaire des intercommunalités en matière d’économie.”
Et en matière d’emploi pour les résidents ?
Yvon Bourrel : “Nous avons failli avoir Asics, nous aurons autre chose. Mais de belles entreprises arrivent aujourd’hui. Il y a un travail sur la création d’un pôle d’emplois important. L’Ecoparc de Saint-Aunès est à un jet de pierre. La Ville conforte des zones qui offrent de l’emploi proches des zones résidentielles. À Mauguio, 800 logements sont prévus entre 2018-2028. C’est une volonté de créer de l’emploi en agrandissant un peu la ville mais en la densifiant, car aujourd’hui, nous n’avons plus vraiment le droit de nous étendre. Cette offre de logements à côté d’une offre d’emplois, je pense que nous y sommes parvenus.
Mauguio est en quelque sorte ‘ le jardin de Montpellier ’, avec plus de 3 000 hectares de maraîchage et comme atout la promotion des circuits courts. Le GAEC La Rosée en est un bon exemple en alliant cultures extensive (melons, carottes) et intensive (fraises sous serre). Il emploie plus de 600 personnes chaque été pour les récoltes saisonnières.”
Comment décririez-vous la population de Mauguio en termes socio-économiques ?
Yvon Bourrel : “A Mauguio, le pouvoir d’achat est supérieur à la moyenne du département et de Montpellier. Mais il y a des disparités. Nous avons des jeunes ménages et des familles en difficulté. Il y a un apport de population dans le tertiaire avec des personnes travaillant sur Montpellier qui ont des revenus conséquents. Il y a aussi celles et ceux qui viennent prendre leur retraite à Mauguio en vendant leur pavillon du nord de la France ou de la région parisienne. Ils ont un pouvoir d’achat important.”
Peut-on faire la comparaison avec Carnon ?
Yvon Bourrel : “A Carnon, les disparités sont plus importantes selon les familles. Les propriétaires de maisons en première ligne ou des Enclos par exemple, ont un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne. En parallèle, le CCAS a un volume d’activité en matière d’accompagnement des publics en difficulté bien plus important qu’à Mauguio. La municipalité va d’ailleurs créer une épicerie sociale à l’instar de ce qu’elle a déjà réalisé à Mauguio, gérée par le CCAS.
Le tropisme du Sud entraîne des mouvements migratoires importants. Or, à Carnon, nous n’avons pas d’espaces constructibles, en dehors éventuellement d’une potentielle maison de santé ou de quelques logements à la marge. Aucun grand projet d’aménagement n’est envisageable. Le travail à réaliser consiste à recomposer des cellules de 20 à 30 mètres carrés faites dans les années 1970 pour obtenir des appartements plus grands destinés à des familles. Mais cela passe par une réhabilitation du bâti, qui aujourd’hui, n’est pas la priorité des propriétaires.”
Comment la Municipalité peut-elle accompagner cette transformation ?
Yvon Bourrel : “La Municipalité doit se placer en facilitateur de cette opération. Nous ne sommes pas le gestionnaire du bâti privé. Mais il faudrait tendre vers l’accueil de familles. La fréquentation scolaire nous indique que de nombreuses familles sont monoparentales. Elles louent de septembre à juin et abandonnent l’appartement pendant la période estivale, où les locations sont très chères, puis reviennent. Nous pourrions accueillir aussi un peu plus d’étudiants à l’année si le transport était plus fluide.
Certains commerces ferment hors saison, ce qui est préjudiciable. Le front de mer est un peu désert. Nous essayons d’étirer la saison avec l’office de tourisme, car il y a des étés indiens formidables et un public qui veut utiliser la plage autrement, avec le spot de kitesurf par exemple. On tend vers une exploitation du milieu naturel qui est la plage l’été, et le vent à d’autres périodes de l’année. Il y a aussi l’agritourisme et l’œnotourisme à l’intérieur des terres…
Carnon étant la fenêtre sur le territoire, elle est aussi une fenêtre sur Mauguio et par conséquent un peu sur le Lunellois et le Pic Saint-Loup. Carnon peut servir de révélateur de territoires plus larges que l’agglomération du Pays de l’Or. Je crois que les gens se moquent de l’entité administrative. Ils veulent une qualité de services et un cadre de vie agréable.”
Cette fenêtre sur le territoire peut-elle générer des ressources ?
Yvon Bourrel : “La fiscalité communale ne bénéficie que modestement de cette attractivité touristique. La gestion de l’espace public à Carnon coûte plus à la commune que n’en rapportent les recettes qu’elle peut en attendre (environ 300 000 euros). L’entretien du domaine public maritime coûte autour d’1 million d’euros par an. Rien que la surveillance des plages l’été avec la SNSM coûte 500 000 euros. Sans parler du nettoyage des plages et du remplacement des ganivelles. C’est pourquoi nous avons imaginé une contribution de l’usager pour affecter ces sommes à l’entretien. Cette proposition n’a pas été validée mais le sujet reste d’actualité. A mes yeux, une bonne gestion ne doit pas imputer aux seuls contribuables un aménagement dont ils ne sont pas les seuls bénéficiaires.”
Cette mesure pourrait-elle alléger la feuille d’impôt des administrés ?
Yvon Bourrel : “A défaut de l’alléger, cela éviterait de l’alourdir et surtout de trouver des solutions improbables pour l’entretien du milieu. On a consacré 10 millions d’euros en 2008 pour réengraisser la plage et lui donner sa structure d’antan. On a multiplié par 5 ou 6 la capacité d’accueil des usagers parce que nous avions mis du sable. Il y a 1 million de touristes chaque été. Or, le réengraissement a duré dix ans. Si vous faites payer 1 euro à chaque personne qui vient sur la plage pendant dix ans, sans artificialiser quoi que ce soit, sans démolir la nature, sans mettre un seul camion sur les routes, en faisant simplement venir une drague de Hollande ou d’ailleurs qui va aspirer tout le sable parti à La Grande-Motte et le remettre là, on est reparti pour dix ans. Donc, quand chacun est le contributeur modeste, c’est le multiplicateur qui fait la force.”
Le plan Littoral 21 va-t-il dans ce sens ?
Yvon Bourrel : “Le plan Littoral 21, aujourd’hui, est une force de projets pour moderniser les infrastructures et le paysage touristique de Carnon dans le respect de la nature et de l’environnement. La Région Occitanie participe aux projets avec des financements croisés. En 2002-2003, nous avons déjà créé la mairie annexe, l’office de tourisme, la médiathèque, le poste de police et la poste. Nous avons refait les quais parce que leur état le nécessitait Nous travaillons comme des impressionnistes, mais le tableau est toujours inachevé. Il est vrai que de 2015 à 2017, nous avons été contraints parce que les communes ont été amenées à participer à l’effort de désendettement de l’Etat.
Maintenant, nous déployons notre projet d’envergure. Depuis des années nous aménageons les entrées structurantes de Mauguio, nous avons créé par exemple 17 km de pistes cyclables à Mauguio et à Carnon. Aujourd’hui nous voulons réenchanter Carnon par la requalification de l’espace public et l’essor de la croissance bleue. Au sein d’un milieu fragile que constituent la plage, le canal, l’étang, nous avons choisi de concilier l’homme et la nature. A cet effet, nous avons prévu 40 millions d’investissement dans ce mandat, dont une première tranche de 9 millions pour Carnon.”
Qu’est-ce qui rassemble les Melgoriens et les Carnonnais ?
Yvon Bourrel : “Tout d’abord, la municipalité s’astreint à répondre aux attentes différentes des administrés. C’est une complexité au quotidien, mais in fine une richesse. La richesse c’est aussi la différence. Ce sont deux lieux de
vie qui se complètent mais ne se ressemblent guère. Carnon, autrefois destination privilégiée des Melgoriens, est devenue au fil du temps la plage du grand bassin de vie montpelliérain. Chacun a son histoire. C’est comme une maison qui a le côté mer et le côté jardin, une maison que beaucoup nous envient.”
Tout est écrit avec un rationalisme consubstantiel à l’élu qui dirige la Commune depuis un certain temps. Ce temps cessera selon son bon plaisir.
Amen!!
Un doute dont je suis certain : c’est Mougère ou Mogère… J’ai mon idée…
Ne pas oublier que cette bipolarité a permis à Mr. Bourrel de faire valider les chantiers carnonnais par les melgoriens alors que les carnonnais les avaient refusés. C’est effectivement très rationnel et très républicain !