Entreprises

Obligation de sécurité de résultat : l’étendue de la responsabilité de l’employeur

L’article L. 4121-1 du Code du travail prévoit que tout employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. La jurisprudence interprète ces dispositions légales comme « une obligation de sécurité de résultat » vis-à-vis des salariés, notamment en ce qui concerne les accidents du travail. En outre, ce dispositif légal s’applique également en cas de situations de harcèlement et de discrimination.

Dans le cas habituel, la responsabilité de l’employeur se trouve engagée par les agissements de ses préposés. Toutefois, la question s’est posée en jurisprudence s’agissant d’agissements commis par des tiers.

Par un arrêt du 1er mars 2011, la Cour de cassation avait été amenée à apprécier une situation de harcèlement moral. Il s’agissait d’une responsable de restauration rapide qui avait été licenciée pour insuffisance professionnelle et qui, contestant cette décision et estimant avoir été victime d’un harcèlement moral, avait saisi la juridiction prud’homale. Elle faisait état de contraintes de gestion et de différentes brimades émanant d’un tiers qui représentait le propriétaire d’une marque ayant passé un contrat de licence avec son employeur. La Cour de cassation avait retenu que le tiers était chargé par l’employeur de mettre en place de nouveaux outils de gestion, qu’il devait former la responsable du restaurant et son équipe et qu’il « pouvait dès lors exercer une autorité de fait sur les salariés ». Dès lors, l’employeur n’avait pas respecté son obligation de sécurité de résultat.

De même, un arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2011 avait adopté une solution analogue s’agissant d’un gardien concierge d’un syndicat de copropriétaires qui, s’estimant victime de harcèlement moral émanant du président du Conseil syndical, avait saisi la juridiction prud’homale en paiement de dommages et intérêts. Or, constatant que ce président était un tiers par rapport à l’employeur, la cour d’appel avait écarté la responsabilité de celui-ci. Quant à la Cour suprême, elle avait considéré que dès lors que le président du Conseil syndical « avait exercé une autorité de fait sur le gardien employé par le syndicat des copropriétaires, la responsabilité de l’employeur se trouvait engagée ».

Un récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 30 janvier 2019 adopte une solution analogue dans une affaire concernant une situation de discrimination. Il s’agissait d’une salariée employée en qualité d’agent polyvalent dans le cadre d’un contrat d’aide à l’emploi par une association sportive, qui s’était déclarée victime de faits de discrimination sexiste et avait saisi la juridiction prud’homale. Elle relatait en effet qu’alors qu’elle travaillait en cuisine pour la préparation d’une soirée, elle avait été gravement insultée par des bénévoles de l’association, qui, en outre, lui avaient lancé un certain nombre de détritus. La cour d’appel l’avait déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts en considérant que l’intéressée ne démontrait pas avoir été victime des agissements incriminés pour des raisons discriminatoires.

« L’employeur doit répondre des agissements non seulement de ses préposés, mais de toute personne qui serait amenée, à exercer une autorité sur les salariés, qu’il s’agisse par exemple de salariés mis à disposition ou de salariés de prestataires extérieurs. »

Cette décision avait fait l’objet d’un premier arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2015 qui avait censuré la position adoptée par le juge du fond, relevant que les faits incriminés avaient pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité de la salariée « laissant supposer l’existence d’une discrimination… ». L’affaire avait été renvoyée devant une autre cour d’appel qui, pour autant, avait à nouveau débouté la salariée de ses demandes de réparation. La Cour soulignait en effet que les faits dénoncés avaient été commis par les bénévoles de l’association qui avaient apporté leur aide en cuisine à l’occasion de la soirée « et que rien ne permettait en l’occurrence d’affirmer que ceux-ci se trouvaient sous la subordination hiérarchique de l’association et que la responsabilité de l’employeur ne saurait être engagée à raison de faits commis envers sa salariée par des personnes avec lesquelles il n’apparaît lié par aucun lien de préposition… ».

La cour d’appel avait en outre relevé que l’employeur « n’était pas demeuré sans réaction à la suite de cet incident », puisqu’il avait fait procéder à une enquête interne.

Mais la Cour de cassation a de nouveau censuré la position adoptée par le juge du fond. Elle a tout d’abord rappelé que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité « notamment en matière de discrimination » et qu’il devait répondre des agissements des personnes « qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés ». Or, dès lors que les faits incriminés avaient eu lieu dans la cuisine du restaurant de l’association en présence d’un salarié de l’entreprise – « tuteur devant veiller à l’intégration de la salariée titulaire d’un contrat de travail s’accompagnant d’un contrat d’aide à l’emploi, sans que celui-ci réagisse… » – il y avait bien violation de l’obligation de sécurité.

On ne peut que déplorer que cette affaire ait entraîné plus de dix ans de procédures. Elle illustre en tout cas l’étendue de la responsabilité de l’employeur : celui-ci doit en effet répondre des agissements non seulement de ses préposés, mais de toute personne qui serait amené, à exercer une autorité sur les salariés, qu’il s’agisse par exemple de salariés mis à disposition ou de salariés de prestataires extérieurs.

Laurent ERRERA, avocat.
BARTHELEMY AVOCATS Montpellier – Nîmes – Avignon

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