Peter Klasen sublime ses angoisses à La Serre, à Montpellier
Membre fondateur de la figuration narrative dans les années soixante, le peintre d’origine allemande…
Membre fondateur de la figuration narrative dans les années soixante, le peintre d’origine allemande Peter Klasen, installé en France depuis 1959, présente à La Serre, à Montpellier, jusqu’au 22 février 2020, sa toute dernière série créée en 2019, White Spaces, et un ensemble de tableaux composés en hommage au Russe Kasimir Malevitch et à l’Allemand Kurt Schwitters, déjà présenté dans la région. Klasen détourne la publicité et la signalétique des villes, superpose les plans, associe machines et femmes, induisant ainsi une réflexion sur la société actuelle.
Prises de positions
Affirmant que « l’état de notre société se lit dans les mégavilles », Peter Klasen peint en réaction à l’agressivité du monde extérieur et plus particulièrement des villes : leurs panneaux publicitaires où les femmes sont érotisées, bien loin de la madame tout-le-monde que l’on peut croiser dans le métro, et où la surabondance d’objets est la norme alors que c’est la crise ; les nombreux panneaux de signalisation qui nous contraignent – pour notre propre bien le plus souvent – à tous aller dans le même sens, etc. Face à cela, il a développé un langage pictural détournant précisément les codes de la société qu’il dénonce.
« Je reprends l’esthétique, le vocabulaire de mes contemporains. Depuis soixante ans, je sublime un monde apparemment hostile. Je suis à la fois un observateur objectif, mais j’introduis aussi mes obsessions, mes enthousiasmes, mes doutes. Dans mon enfance, j’ai vécu la dictature en Allemagne, alors je profite de la liberté d’expression pour exprimer mon opinion. Je réponds en tant qu’artiste avec mes moyens à moi, avec des prises de positions très nettes. » On se souvient en effet que parmi les nombreux hommages qu’il a réalisés, celui rendu à Caspar David Friedrich, Lost Landscapes, semblait évoquer le désastre écologique actuel. Et le drame de la Seconde Guerre mondiale est tout entier contenu dans ses représentations de bâches de camions militaires.
Avertissements
Ses déambulations dans les villes, appareil photo à la main, sont le préalable nécessaire à chacun de ses tableaux. Peter Klasen réalise des clichés* dont il reproduit ensuite des détails sur la toile, à l’aérographe : tuyaux, véhicules… Au cours de son travail de composition viennent s’ajouter différents plans et types de sujets : pictogrammes, corps ou visage féminin (œil aguicheur, bouche pulpeuse, poitrine…), chaînes, cordes, compteurs… Puis il colle des néons, lettres, chaînes, fils, cordes ou appareils de mesure. De sorte que de loin, on peine à distinguer ce qui est peint de ce qui est collé.
Peter Klasen utilise les signes et les pictogrammes pour asséner des avertissements ; il transmet par ce biais son analyse critique, voire son angoisse concernant la société actuelle. Mais on peut avoir une seconde lecture : les signes d’incendie ou d’électrocution associés à la femme érotisent le sujet. Les cibles qui visent les yeux peuvent être un simple artifice esthétique ou incitent à rester vigilants et à regarder de plus près. Les coulures de peinture peuvent simplement ramener au monde industriel ou évoquer les bavures pour un esprit éveillé ou qui extrapole.
Car, depuis sa naissance dans les années soixante, la figuration narrative ouvre des pistes pour qui veut les suivre… Elle invite en tout cas à « déblayer la surabondance des images » qui nous assaillent de la part des médias, de la publicité ou de la propagande…
Peter Klasen distingue plusieurs fils rouges qui rendent son travail immédiatement reconnaissable : l’usage de la signalétique contemporaine, le télescopage du corps et de l’objet et l’érotisme. A 84 ans, Peter Klasen n’a rien perdu de sa créativité. A une personne qui observe que ses tableaux actuels sont moins dépouillés qu’à une certaine période, il répond qu’il ne veut jamais refaire les mêmes œuvres pour garder l’authenticité de son langage. Il est vrai qu’aujourd’hui, ses toiles fourmillent de détails. Comme s’il estimait urgent de faire passer un maximum de messages…
Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
* Il mène d’ailleurs parallèlement un travail photographique en dehors de la peinture.
La Serre
Quand il est arrivé la première fois dans ce lieu d’exposition, Peter Klasen s’est exclamé : « La Serre est d’une très grande classe, à la pointe de l’architecture actuelle ; je suis ravi d’y exposer ». Il est vrai que La Serre offre un écrin parfait à ses 27 tableaux et 2 aquagravures sur papier spécial fait main.
Informations pratiques
La Serre – Rond-point de Richter. L’Arbre Blanc – Place Christophe-Colomb – Montpellier.
Tel. : 04 48 79 84 70.