Photo : Germaine Tillion et Thérèse Rivière, l’ethnologie au cœur de l’Aurès en 1935
En 1935, les ethnologues Germaine Tillion et Thérèse Rivière furent envoyées en mission par le futur musée de l’Homme à la lisière du Sahara, dans l’Est algérien, sur le massif de l’Aurès, où vivaient alors 60 000 berbères portant le nom de Chaouia. Le Pavillon Populaire expose leurs clichés jusqu'au 15 avril 2018.
Dans les années trente, l’atmosphère était plutôt paisible dans l’Aurès, la présence coloniale française se réduisant en tout et pour tout à un administrateur et quatre gendarmes. Les deux ethnologues purent donc parfaitement s’intégrer à la population locale pendant les deux années que dura leur mission, et au cours de leurs séjours suivants. Bien des années plus tard, cette région très reculée allait devenir, durant la guerre d’Algérie, un haut lieu de la lutte indépendantiste de 1954 à 1962.
De nombreuses archives
Cette mission visait à accroître la compréhension sur une civilisation lointaine, mais considérée comme un département français à l’époque. Les deux professionnelles collectèrent sur place un grand nombre d’objets, firent une enquête photographique et cinématographique approfondie, et l’enrichirent de moult observations scientifiques. Elles ramenèrent de leur séjour des milliers d’archives en tout genre. La photographie qui figure sur l’affiche de l’exposition (ci-dessus), représentant une Algérienne au visage tatoué, fut celle utilisée lors d’une exposition au Musée de l’Homme en 1943, dont le commissariat fut assuré par Thérèse Rivière avec son collègue Jacques Faublée.
Sur les photographies, on peut voir des femmes Chaouia s’activant aux travaux des champs, transportant du fumier, cuisinant, tressant de la ficelle ou filant la laine, affichant bien souvent de larges sourires. Les trois âges de la vie y sont représentés. Quelques gros plans montrent la beauté du travail manuel, comme ces mains versant du grain. La population est photographiée les jours de marché, ou allant chercher de l’eau à la source, dans son quotidien. L’exposition s’attarde sur des portraits, des photos de village et de villageois, d’objets…. Les clichés pris à l’occasion de fêtes comme l’Aïd el-kébir, les mariages, les circoncisions, la Fête du Printemps ou la Fête de la Moisson ont une forte valeur de reportage et de témoignage.
Deux regards différents sur une même population
Cette exposition, dont le commissariat a été assuré par Christian Phéline, vise à montrer les deux regards différents qu’ont portés les deux ethnographes sur une même population. Une différence de visions sans doute en partie liée à leurs techniques photographiques respectives. En effet, selon lui, c’est sans doute l’utilisation exclusive du Rolleiflex par Germaine Tillion qui créait une certaine distance entre elle et les sujets photographiés, le Rolleiflex se tenant sur le ventre et induisant une prise de vue plus lente. Au contraire, sa collègue Thérèse Rivière portait à l’œil son Leica, ce qui générait une vision plongeante, participative, plus proche des sujets photographiés, et une prise de vue plus rapide. Thérèse Rivière fit également un film à l’aide de sa caméra cinématographique – film que l’on peut visionner au Pavillon Populaire –, et utilisait de temps en temps un Rolleiflex.
Le commissaire d’exposition explique que Germaine Tillion était davantage ethnologue et plus portée à la réflexion théorique, alors que Thérèse Rivière était plutôt une ethnographe de terrain, très empathique dans son rapport aux populations étudiées, en connivence avec elles.
De même, leurs sujets d’intérêt n’étaient pas les mêmes, Germaine Tillion se consacrant plutôt à « l’étude des relations de parenté et de pouvoir », tandis que Thérèse Rivière se focalisait sur « l’étude des activités matérielles et de l’économie domestique ».
Deux destins douloureux
On ne peut voir cette exposition sans penser aux destins – tragiques – que connurent les deux ethnologues après cette mission. Devenue résistante contre l’oppression nazie, Germaine Tillion fut en effet arrêtée puis déportée en août 1942 au camp de Ravensbrück, d’où elle ne ressortit qu’en avril 1945, avant de reprendre son travail d’ethnologue. Pour sa part, Thérèse Rivière dut être internée de nombreuses fois en hôpital psychiatrique, pour troubles maniaco- dépressifs, au point qu’elle y passa plus de vingt années et qu’elle y mourut.
Leurs clichés de l’Aurès auraient d’ailleurs pu disparaître totalement, et cette exposition n’aurait pas vu le jour, si Fanny Colonna puis Nancy Wood n’avaient retrouvé respectivement les images de Thérèse Rivière et de Germaine Tillion, en 1987 et 2000, et ne les avaient diffusées.
Informations pratiques
Pavillon Populaire
Esplanade Charles-de-Gaulle,
34 000 Montpellier
Tel. : 04 67 66 13 46.
> Exposition visible jusqu’au 15 avril 2018, du mardi au dimanche, de 10h à 13h et de 14h à 18h.
Visites guidées hebdomadaires :
• Visites de découverte les vendredis à 16h (durée : 45 minutes).
• Visites qui prennent leur temps les samedis à 14h30 et 16h (durée : 1h15).
• Visites du dimanche les dimanches à 11h.
• Visites guidées ou libres pour les groupes : réservation obligatoire par courriel à l’adresse suivante : visites@ville-montpellier.fr