Procès Charlie Hebdo : chronique de Me Szwarc, avocate montpelliéraine (jour 5)

Me Catherine Szwarc, avocate montpelliéraine, participe actuellement, devant la Cour d'assises spéciale de Paris, au procès des tueries terroristes qui ont décimé notamment la rédaction de Charlie Hebdo du 7 au 9 janvier 2015. Elle livre, jour après jour, ses impressions dans ce procès où comparaissent 11 accusés (3 terroristes étant encore en fuite).

8 septembre 2020

7h – C’est reparti pour les 11 heures d’audience quotidienne. Aujourd’hui, audition des blessés et “survivants” de la première vague de tueries des frères Kouachi. Mon client témoigne.
Les victimes revivent le 7 janvier 2015 tour à tour, accrochées à la barre du tribunal. Les voix tremblent, parfois s’éteignent. Entre les larmes retenues, les sons s’échappent des gorges en étaux.
L’itinéraire des frères Kouachi est retracé de bout en bout par chaque victime traversée. La recherche des locaux de Charlie Hebdo, la menace des armes, le bruit effroyable des tirs dans un plafond, dans une porte, l’odeur de la poudre, la fumée, des victimes paralysées, les coups de feu qui suivront dans le couloir, dans la salle de rédaction du journal, dans la rue.

Le silence de mort. Puis l’après.

Arrêts de travail, licenciements, une solitude pesante. Qui a parlé de la personne chargée de la maintenance ? Sa femme raconte sa course pendant cinq heures entre le local d’accueil des victimes et le service de médecine légale. « Où est mon mari ?» La réponse s’abattra sur elle cinq heures plus tard. Son monde s’effrondre. Le désarroi. L’homme de sa vie. Son univers à elle.

Certaines victimes parlent des « vraies victimes » pour créer une hiérarchie de la souffrance en essayant de trouver une place, sans prendre celle des autres, plus légitimes. Depuis longtemps, la justice reconnaît les victimes psychiques. Le syndrome post-traumatique brise l’être tout entier, lui coupe les jambes pendant des années.

La matinée a compris la montée de l’irritation des frères Kouachi à la recherche de Charlie Hebdo et surtout de Charb. Les vivants, handicapés, racontent à la Cour l’ambiance joyeuse et familiale du journal. Le 7 janvier, c’est la reprise, la nouvelle année, le gâteau marbré, le café, un anniversaire à fêter, les invités de « carnet de voyage », des projets plein la tête, des rires, les esprits qui s’échauffent autour de Soumission de Houellebecq, les débats d’actualité, l’extrémisme galopant. Un bain d’humanisme, d’intelligence et d’humour, composé de l’ADN de Charlie Hebdo. On revit, sur les bancs, l’admiration réciproque, l’amitié. On les entend. On les voit, la bande de copains autour de la table pour ce comité de rédaction. Coco doit partir plus tôt pour récupérer sa fille à la crèche. En bas de l’immeuble, elle rencontre l’enfer. Cet enfer va la remplir de culpabilité. Obstacle à la réparation du psychisme. Elle n’a pas eu le choix. Les deux terroristes l’enserraient avec leurs armes. Elle se trompe d’étage. Leur demande pardon. Compose le code d’entrée. A l’intérieur, ils ont exécuté chaque personne qui était dans leur champ de vision. Exécution entrecoupée de « Allahu Akbar ». Suspension d’audience.

Une Pink Lady dans mon cartable. Je croque sa chair ferme et sucrée. Se concentrer sur la richesse des saveurs. Sigolène explique la peur, ramper. Les coups de feu cessent, la mort s’approche, la regarde avec ses yeux doux. Les appels à la prière de son enfance, du Minaret à côté de chez elle à Djibouti. « Tu liras le Coran » comme un conseil. Elle a ainsi interprété une réalité bien différente pour supporter la férocité. La honte d’avoir été épargnée, les autres ont été exécutés. « On ne tue pas les femmes » c’est faux ! Aider les autres, le choc immense. « Ils ne nous connaissaient pas, ils ne savaient pas ce qu’on défendait ». Un cocker roux court dans le sang dans la salle de rédaction.
Les vies brisées étalées par terre, sur les brancards des secours « extrême urgence » ou debout, prostrés, titubant de peur et de désespérance.

Nous, avocats des parties civiles, nous écoutons avec respect et compassion ces personnes qui tiennent debout, dignes, portées par un humanisme noble, pas écorné par l’extrême sauvagerie subie. La question présidentielle pour chaque victime « Qu’attendez vous de ce procès ?»… La justice !

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