Redémarrer après une faillite
Comment redémarrer une vie professionnelle après la faillite de son entreprise ? Au niveau…
Comment redémarrer une vie professionnelle après la faillite de son entreprise ? Au niveau personnel, la démarche est loin d’être simple, et le contexte culturel et légal n’y aide pas forcément. L’association 60 000 Rebonds accompagne les personnes dans cette transition. Témoignages, lors d’une table ronde organisée par l’AJPME.
Cette année, l’association 60 000 Rebonds a accompagné 300 entrepreneurs pour les aider à reprendre une vie professionnelle après la faillite de leur entreprise. Philippe Rambaud, fondateur de l’association, qui a lui-même vécu cette expérience, répond « oui » à la question « y a-t-il une vie après le dépôt de bilan ? ». C’était l’objet d’une table ronde organisée par l’Association des journalistes spécialisés dans les PME (AJPME) le 24 novembre à Paris.
En moyenne, 80 % des entrepreneurs accompagnés par l’association « rebondissent », explique Philippe Rambaud. Parmi ceux-ci, 70 % créent une autre entreprise (en douze à dix-huit mois), et 30 % se dirigent vers le salariat. Tendance de fond, un nombre important d’entre eux met sur pied des projets professionnels combinant plusieurs activités. Pour permettre aux entrepreneurs de rebondir, l’association a conçu un dispositif en deux temps. Tout d’abord, une première étape de travail avec un coach. Il faut faire un véritable « travail de deuil », explique Philippe Rambaud, qui souligne le fait qu’une faillite professionnelle se traduit aussi souvent par une remise en cause très personnelle, pouvant aller jusqu’à la dépression. « Il s’agit de bien comprendre les erreurs que l’on a faites, et ce qui ne relève pas de soi dans l’échec », démarre Philippe Rambaud. En particulier, insiste-t-il, prendre conscience de ses erreurs liées à son propre comportement est crucial pour la suite. « Si je ne comprends pas ces erreurs, je vais les refaire », met en garde Philippe Rambaud. Lors d’une deuxième étape, l’entrepreneur rebâtit un ou plusieurs projets, accompagné par un « parrain qui est là pour questionner plutôt que pour conseiller », précise Philippe Rambaud. Des sessions, au cours desquelles l’entrepreneur présente ses projets à un groupe de plusieurs parrains, sont également organisées.
Les règles qui plombent
Avec plus de 60 000 défaillances d’entreprises recensées entre août 2015 et août 2016 par la Banque de France, le sujet de la vie après le dépôt de bilan est loin d’être anecdotique. D’autant que certains facteurs objectifs tendent à compliquer encore une situation déjà difficile à vivre sur le plan personnel. C’est en particulier le cas des modalités de financement des PME. Conditionné par ses obligations prudentielles, le système bancaire – qui demande souvent des garanties personnelles au chef d’entreprise – est « un système pernicieux », analyse Philippe Rambaud. Il dénonce en particulier la dangerosité de l’argument selon lequel si un chef d’entreprise croit en son projet, il n’a qu’à y investir son propre patrimoine… Dans les faits, les conséquences de cette stratégie périlleuse peuvent être catastrophiques. En cas de faillite, le chef d’entreprise, qui se retrouve déjà sans revenus, peut se trouver, en sus, privé de son patrimoine, voire endetté, ce qui va obérer pesamment sa capacité de rebond. De manière plus globale toutefois, nuance Philippe Rambaud, les règles qui encadrent les faillites se sont améliorées ces dernières années. Ainsi, « la loi s’est beaucoup assouplie pour éviter la liquidation d’entreprise », note-t-il. Autre évolution importante : en 2013, l’abrogation de l’indicateur 040 du fichier FIBEN (Fichier bancaire des entreprises) de la Banque de France, qui signalait les entrepreneurs ayant procédé à une liquidation judiciaire au cours des cinq dernières années. « C’était un blocage additionnel considérable et un symbole », analyse Philippe Rambaud.
Le témoignage de Laurent Buob, chef d’entreprise accompagné par l’association, illustre ces difficultés : la faillite de son entreprise étant intervenue avant l’abrogation de l’indicateur, il doit faire face aux réticences des banques. Sa banque habituelle a refusé de l’accompagner dans ses nouveaux projets. Et celle désignée par la Banque de France depuis six mois ne lui a toujours pas attribué de carte de crédit ni de chéquier. Et le patrimoine personnel d’un million d’euros de l’entrepreneur, qu’il avait engagé dans l’affaire, s’est évaporé avec sa faillite…
Un filet pour le chômage
Sous-jacent à ces dispositifs en place, il existe en France un problème culturel de fond sur le sujet de la faillite, estime Philippe Rambaud : « on ne veut pas parler de l’échec ; c’est un tabou ». En synthèse, alors que la culture anglo-saxonne considérerait l’échec comme la manifestation de l’esprit d’initiative, la mentalité française le verrait comme infamant. Cette base culturelle est lourde de conséquences, puisque les entrepreneurs ne se préparent pas à l’éventualité de l’échec. Or, « il faut être conscient qu’on est fragile et qu’il faut un minimum de protection. Le chef d’entreprise n’en a pas. On peut très vite se retrouver au RSA [NDLR : Revenu de solidarité active]. C’est une grande ingénuité du chef d’entreprise aujourd’hui que de ne pas imaginer l’échec », souligne Philippe Rambaud.
Il existe pourtant des solutions. Ainsi, l’association GSC propose par exemple une formule d’assurance perte d’emploi des dirigeants et entrepreneurs qui garantit 55 % du revenu net fiscal professionnel. Pour des revenus à hauteur de 40 000 euros, les cotisations s’élèvent à 1 203 euros pour 22 000 euros d’indemnités annuelles. Et d’autres acteurs proposent des solutions alternatives, à l’image d’assureurs comme Axa et April, et de l’APPI (Association pour la protection des patrons indépendants).
Mais le nombre d’entrepreneurs qui souscrivent à une telle assurance est dérisoire, à en suivre les chiffres de GSC. L’association a été créée en 1979 par le Medef, la CGPME et l’UPA (artisans), et elle souscrit à cette assurance dans une logique de syndicalisme de service. Alors que les membres fondateurs de l’association représentent un vivier de 2 millions d’entreprises environ, GSC compte 15 700 affiliés seulement. « Ce n’est rien, compte tenu de ce que cela devrait être. (…) Et nous sommes leaders sur le marché », commente Elodie Warnery, directrice générale de la GSC. Pour Philippe Rambaud, si les chiffres sont aussi bas, c’est parce que cette assurance est vue comme « un alourdissement des charges sociales obligatoires. Ce n’est pas un sujet populaire ». Au vu de son expérience, le fondateur de 60 000 Rebonds préconise deux règles aux entrepreneurs : « ne pas prendre de caution bancaire personnelle » et « souscrire à une assurance chômage ».
Anne DAUBREE