Rentrée solennelle de la Faculté de Droit et de science politique de Montpellier
Ouverte par son doyen Marie-Elisabeth André, la rentrée solennelle de la Faculté de droit…
Ouverte par son doyen Marie-Elisabeth André, la rentrée solennelle de la Faculté de droit et de science politique de Montpellier s’est tenue le 23 septembre dernier en présence de nombreuses personnalités issues des milieux politique, économique et juridique, et d’une importante assistance de professeurs et d’étudiants. Invitée d’honneur, Nicole Belloubet, membre du Conseil constitutionnel, a donné la leçon inaugurale en traitant de la question : «Peut-on parler de progrès en matière de justice ?».
Dans son propos introductif, Nicole Belloubet souligne que la multiplication des garanties aux justiciables et l’amélioration de l’efficacité des décisions de justice sont des signes incontestables de progrès. Cependant, la justice apporte des réponses insuffisamment prospectives par rapport aux évolutions et aux défis du monde contemporain. Elle insiste d’abord sur la montée en puissance des garanties. Ainsi, les citoyens, de mieux en mieux reconnus en tant que justiciables, ont vu leurs garanties se développer avec un meilleur accès aux juridictions indépendantes, celles-ci devenant de plus en plus nombreuses depuis un siècle. Aux juridictions européennes – dont la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – s’ajoutent en France les juridictions spécialisées, comme le parquet financier, créé en 2013. Quant aux juridictions de proximité, elles apparaissent ou disparaissent au fil des années.
De leur côté, les cours suprêmes, les cours constitutionnelles, «dans tous les pays, sont là évidemment pour vérifier la conformité des normes à la norme suprême, mais aussi pour donner de nouvelles possibilités aux justiciables et intervenir auprès d’eux», précise Nicole Belloubet. La multiplication des juridictions s’accompagne d’une multiplication des voies de droit ouvertes aux justiciables, avec des voies de recours de plus en plus nombreuses dont l’une des plus récentes concerne la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En outre, plusieurs grands principes garantissent l’indépendance des juridictions et des juges : le principe d’impartialité, enrichi récemment par la loi n° 016-1090 du 8 août 2016 avec des dispositions sur la déontologie des magistrats ; le principe de neutralité ; le principe de publicité des débats. Autre condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice, le procès doit être organisé en respectant trois grandes garanties : le droit à un recours effectif, le droit à un procès équitable et le principe contradictoire. «Ces trois garanties, considérées comme une exigence très forte du Conseil constitutionnel, nous les suivons avec beaucoup d’attention», souligne Nicole Belloubet. Elle ajoute que le Conseil constitutionnel a bâti une jurisprudence qui essaie d’être protectrice vis-à-vis des libertés et des droits fondamentaux, et donne pour exemples les jurisprudences concernant la garde à vue et l’hospitalisation sans consentement.
Des progrès dans l’efficacité
«Plusieurs rapports de la Commission européenne soulignent qu’il y a globalement des progrès dans l’efficacité de la justice, y compris en France», avance Nicole Belloubet. Effectivement, en matière de justice pénale, le taux de réponse pénale a considérablement progressé, passant de quelque 35% il y a une vingtaine d’années à plus de 90% actuellement. La justice civile est globalement dans des standards classiques en termes de délais et de qualité. La justice sociale et prud’homale semble poser beaucoup plus de problèmes ; par exemple, le taux d’infirmation des jugements en appel est très élevé, de l’ordre de 68% en 2013. De son côté, la justice administrative a accompli des progrès importants, entre autres grâce aux référés. A propos des sanctions, Nicole Belloubet insiste sur la vigilance du Conseil constitutionnel vis-à-vis de la proportionnalité de la peine. Concernant les modes de contrôle, elle revient sur les critiques faites par la Cour de Cassation à l’encontre du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, suite aux textes sur l’état d’urgence que le Conseil constitutionnel avait déclarés conformes à la Constitution. «Au fond, ce qui nous importe en tant que juges de la fondamentalité, c’est que la personne confrontée à une atteinte à sa liberté trouve un juge», souligne la magistrate du Conseil constitutionnel. Quant à la question posée par l’intensité des contrôles,
«ce qui importe, c’est le respect du principe d’égalité des justiciables devant la justice», affirme Nicole Belloubet. Quitte à évoquer également la problématique soulevée par le jugement en équité.
Faire face aux défis du monde contemporain
Dans un monde en forte évolution, le droit et le système judiciaire sont en retard par rapport aux défis qui surgissent. Pour l’économie, le législateur peine à faire face à des phénomènes comme l’économie collaborative, et la mise en place de nouvelles régulations est complexe. Quant au juge, il se sent bien démuni. Faisant référence à la loi El Khomri, Nicole Belloubet souligne que la réflexion du Conseil constitutionnel a notamment porté sur les systèmes de franchise qui, à l’instar des systèmes d’économie collaborative, posent le problème des nouvelles formes de travail. Or, demande-t-elle : «Sait-on répondre à ce qu’on appellera le travailleur 2.0 ? Faut-il anticiper la fin du salariat ? Il y a le travailleur salarié classique, le travailleur non salarié classique, et puis le travailleur de l’économie collaborative, qui n’est ni salarié, ni complètement indépendant. Quel statut donner à ce travailleur-là ? Ne faut-il pas réfléchir autrement ? Sortir de nos catégories salarié/non-salarié ? Ou donner des droits fondamentaux d’abord, et réfléchir ensuite à la qualification, c’est-à-dire à l’étiquette qu’on va lui donner ? Notre position est entre les deux, très hésitante».
Dans le domaine des sciences (biotechnologies, bioéthique, environnement…), là encore, le juge institutionnel se montre assez timoré. La magistrate du Conseil constitutionnel explique : «Nous avons eu à trancher récemment sur la loi sur la biodiversité. On nous a demandé : est-ce que le principe de non-régression, selon lequel les politiques publiques ne pourront pas mettre en place de systèmes portant plus atteinte à l’environnement que ce qui existe déjà, est conforme à la Constitution ? Très prudemment, nous avons dit que c’était conforme à la Constitution. Nous avons dit cela parce qu’on ne sait pas très bien ce que c’est». D’autres hésitations sur les progrès du droit et de la justice sont liées à la question de la démocratie. Les progrès sont évidents dans certains Etats (pays d’Afrique notamment), y compris dans des choses très simples comme parfois l’accès à l’état civil. Il y a eu des progrès en matière de liberté de l’information, et aujourd’hui plusieurs questions se posent autour des lanceurs d’alerte. Cependant, à l’inverse, on voit une forme d’incapacité des juridictions à s’opposer à des élections qui semblent manifestement truquées, comme au Gabon. En Pologne, la justice constitutionnelle est contestée, et en Hongrie, Viktor Orbán va plus loin : il avance, en opposition au concept d’Etat de droit, celui de démocratie non libérale, fondé sur l’ordre, le contrôle de la presse, la famille, la religion, le culte de la terre… A l’évidence, le système du droit et de la justice ne permet pas toujours d’éviter de telles dérives.
Nicole Belloubet, son parcours
Professeure agrégée de droit public à l’université d’Evry-Val d’Essonne (en 1992-1995 puis 2005-2008) et à l’Institut d’études politiques de Toulouse (2008), Nicole Belloubet (61 ans) a également occupé divers postes dans les instituts de recherche et dans la haute fonction publique. Elle été entre autres rectrice des académies de Limoges (1997-2000) puis Toulouse (2000-2005). Membre titulaire du Conseil territorial de l’Education nationale, elle a présidé en 2012 le groupe de travail «La réussite sociale pour tous» et également le conseil d’administration du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). Par ailleurs, Nicole Belloubet a été premier adjoint au maire de Toulouse (de 2008 à 2010) puis première vice-présidente du Conseil régional Midi-Pyrénées (2010). Nommée le 12 février 2013 membre du Conseil constitutionnel par le président du Sénat Jean-Pierre Bel, elle a prêté serment le 14 mars 2013 devant le président de la République. (YT)