Roland Héguy, président de l’UMIH : « Nous devons investir dans la promotion touristique »
Lors du 65e Congrès de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie, le président de l’UMIH, Roland Héguy, a dit espérer que les métiers du secteur CHRD (cafés, hôtels, restaurants, discothèques) vont être enfin reconnus à leur juste valeur au sein d’une filière tourisme qui doit dynamiser le pays.
Quel était le thème du 65e Congrès de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie) ?
« Depuis cet été, je suis également président de la Confédération des acteurs du tourisme (qui fédère aussi les tour-opérateurs, les métiers de l’événement, l’hôtellerie de plein-air, les transporteurs de voyageurs…), et c’est justement le thème de notre 65e congrès organisé à Reims : « Quand le tourisme gagne, c’est la France qui gagne ». Nous travaillons d’ailleurs au regroupement de branches professionnelles pour nous adapter à la législation en 2019. Nous voulons que notre filière soit considérée comme une vitrine de notre pays. »
Vous estimez que vous n’êtes pas suffisamment reconnus et entendus ?
« Depuis la nomination de Laurent Fabius comme ministre des Affaires étrangères, nous avons enfin commencé à sentir cette reconnaissance quand il parlait de « trésor national » à propos du tourisme. Aujourd’hui, elle se concrétise véritablement avec la création d’un Comité interministériel du tourisme qui associe les professionnels. Et notre filière dispose d’un secrétaire d’Etat (Jean-Baptiste Lemoyne) auprès du ministre des Affaires étrangères. »
En quoi le tourisme est-il un secteur majeur de l’économie française ?
« Le tourisme représente 7,4 % du PIB national, compte 350 000 entreprises et emploie 2 millions de salariés (dont 1 million dans les cafés, hôtels, restaurants et discothèques). La France est la première destination touristique, avec probablement près de 88 millions de touristes en 2017. La consommation de cette clientèle est estimée à 158,6 milliards d’euros, dont deux tiers par les Français. »
Pourquoi alors parlez-vous de fragilité de la filière ?
« 2017 est une bonne année, qui ramène l’hôtellerie française au niveau de 2015, après la chute enregistrée suite aux attentats. Néanmoins, la croissance du nombre de touristes est inférieure en France (+ 0,2 %) à la moyenne mondiale (5 %), et leurs dépenses sont moins élevées dans notre pays (511 euros) que dans les autres, avec par exemple 755 € dépensés en Espagne et 1 783 euros aux Etats-Unis. Nous sommes un territoire de passage, et nous devons investir pour faire de la promotion touristique. Avec 0,82 euro investi par touriste, la France figure, là aussi, derrière l’Espagne et les Etats-Unis (2 euros). »
Comment parvenir à capter plus de touristes et à les garder plus longtemps ?
« Nous avons défini des priorités pour gagner 1 point de PIB supplémentaire en cinq ans, ce qui correspondrait à 21 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Nous proposons à l’Etat notamment d’allouer un budget de 100 millions d’euros à la promotion touristique. Nous voulons aussi améliorer l’accueil dans nos entreprises, et aussi de la part de tous les Français. »
A qui cette croissance touristique pourrait-elle profiter ?
« Nous devons permettre aux touristes de découvrir nos territoires, en dehors de Paris et des métropoles. Il faut améliorer les moyens de transport pour lutter contre la désertification dans nos villages ; c’est un sujet qui préoccupait également les maires de France lors de leur Congrès. Il faut une volonté politique, par exemple en permettant à des petits établissements de faire face à moins de normes en milieu rural. Rétablir les préenseignes des établissements ruraux est, par exemple, indispensable. »
D’un autre côté, vous réclamez une législation plus stricte envers l’économie collaborative, dont le premier représentant est Airbnb. Pourquoi ?
« Nous ne luttons pas contre eux, mais nous voulons simplement qu’ils respectent des règles d’équité. Ce n’est pas le cas en termes de sécurité, de conformité et d’accessibilité, mais il faudrait au moins la même fiscalité. Seules quelques villes leur font payer la taxe de séjour, par exemple. Nous avons obtenu des décrets pour que tout meublé soit enregistré à la mairie, il doit être possible de savoir s’il s’agit d’une activité professionnelle, et il est interdit de dépasser 120 nuitées. Airbnb nous « enfume » en annonçant appliquer cette limite dans les seuls arrondissements du centre de Paris. Nous espérons maintenant que des sanctions soient appliquées en cas de non-respect de cette réglementation et que le chiffre d’affaires des loueurs soit déclaré et fiscalisé. »
En dehors de la différence tarifaire et de la concurrence déloyale que vous dénoncez, vos métiers n’ont-ils pas des efforts à faire en termes de numérisation ?
« L’hôtellerie, très en avance, utilise depuis longtemps les outils digitaux. Nous n’avons pas non plus peur des avis du type Tripadvisor sur nos restaurants, à condition que ceux-ci soient vérifiés, car un avis sur trois est un faux. Au niveau des réservations, nous avons dû batailler avec Booking pour que l’hôtelier garde la maîtrise de son prix de vente, mais il est vrai que trop de clients préfèrent réserver auprès des plateformes plutôt que directement dans nos établissements. Leurs commissions (entre 18 et 25 %) réduisent fortement nos marges et, au lieu de nous apporter de nouveaux clients, ces sites captent notre clientèle. Pourtant, le client pourrait souvent obtenir un meilleur tarif en nous contactant directement. »
Un autre enjeu majeur dans la filière est celui du recrutement et de la formation. Quel constat faites-vous ?
« Nous sommes préoccupés par l’emploi, car il nous a manqué 100 000 salariés cette année. La réforme de la formation professionnelle doit impliquer davantage les branches, et nous devons lutter contre la désaffection pour nos métiers. Nous allons justement créer un observatoire afin de disposer de données précises sur ce sujet. L’apprentissage vers notre filière était dévalorisé et constituait une voie par défaut. Nous voulons inverser cette tendance et même proposer des carrières intéressantes à des jeunes inscrits en université, mais dont les perspectives d’emploi sont plus faibles. »
Vous dénoncez enfin de nombreuses aberrations réglementaires. Lesquelles ?
« Demander à une discothèque de créer une pièce « sans bruit », sur le même principe que les fumoirs, n’est pas sérieux. A contrario, quand nous avons proposé de mettre un éthylotest à l’entrée de ces établissements pour lutter contre l’alcoolisation des jeunes, cela nous a été refusé. Nous nous sommes aussi opposés à des autocollants sur la propreté des restaurants. Nous protestons contre le « décret plage » et proposons plutôt de mettre en place un groupe de travail pour débattre de l’exploitation du domaine maritime. De même, nous craignons la surtaxation des contrats courts, alors même que notre secteur est consommateur par nature de ces contrats. »
Propos recueillis par Philippe DEMOOR
L’UMIH en mouvement. L’UMIH est la première organisation patronale du secteur des cafés, hôtels, restaurants et discothèques (CHRD). L’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie fédère près de 40 000 entreprises, compte plus de 2 000 élus et emploie 350 collaborateurs en France. Président de l’organisation depuis sept ans, Roland Héguy liste les différentes missions de l’UMIH : « représenter la profession et parler en son nom, influencer les pouvoirs publics, proposer des formations, accompagner nos adhérents dans la digitalisation de l’économie ». Président depuis cet été 2017 de la Confédération des acteurs du tourisme, il estime que l’UMIH a vocation demain à « prendre la tête de la filière touristique en unifiant les branches ».