Droit — France

Un rappel à l’ordre pour les prisons françaises

Pour sa première déclaration en tant que ministre de la Justice le mardi 7 juillet 2020, Eric Dupond-Moretti avait conclu son discours en prononçant la phrase suivante : « Je pense aux prisonniers et à leurs conditions de vie inhumaines et dégradantes ». Quelles sont les avancées depuis ?

Un rapport accablant

Quelques jours avant sa déclaration, Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, avait publié un rapport intitulé « La nuit dans les lieux de privation de liberté ». Dans ce rapport, ont été pointés du doigt de nombreux dysfonctionnements propres aux prisons françaises. Cette ancienne magistrate déplore le bruit, la lumière, les violences, le manque d’effectif mettant en danger certains prisonniers incapables d’appeler des surveillants pendant plus de 12 heures d’affilée parfois. Elle rappelle également que la surpopulation confronte parfois les détenus à des chaleurs infernales dépassant les 40 degrés l’été. Les détenus passent en effet près de 22 heures par jour dans leur cellule en dehors du temps de promenade et des quelques activités. Partager leur espace de vie dans de telles conditions est indignant. Elle révèle en outre l’absence d’intimité de ces personnes agglutinées dans des espaces dégradés. Son rapport fait en effet état de la présence dans certaines prisons françaises de rongeurs, punaises de lit, cafards et autres nuisibles avec lesquels les détenus cohabitent pour des durées indéterminées.

Une loi visant au respect de la dignité des personnes emprisonnées

Ces quelques raisons, énoncées parmi tant d’autres, justifient la promulgation de la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et ouvrant un nouveau recours devant le juge judiciaire pour tous les prisonniers en cas de conditions indignes de détention. Cette loi française fait suite à 3 décisions juridictionnelles récentes : un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 30 janvier 2020, un arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2020 et une décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 sur lesquels il convient de se pencher afin de comprendre ce qui permet de dire que la France traite si mal ses prisonniers.

L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 30 janvier 2020

Dans le premier arrêt, la France a été condamnée par la CEDH pour « conditions de détention inhumaines et dégradantes » mais également en raison de « l’absence de recours effectif pour y remédier ». La surpopulation chronique des prisons a été relevée. En effet, les prisons françaises comportent plus de 70 000 détenus pour 61 000 places. La France fait à ce titre partie des États européens disposant des prisons les plus encombrées : la densité carcérale s’élève à 115,7% en 2020.

Pourtant la loi de 1875, réaffirmée par la suite en 2009, avait inscrit le principe du placement en cellule individuelle. Comme on peut le constater, cette loi ne s’est jamais concrétisée en France. Les conséquences sur les détenus sont catastrophiques d’un point de vue moral, éthique et humain. Ces derniers vivent dans une immense promiscuité qui accroît par conséquent les tensions et l’insécurité. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a reçu près de 32 requêtes déposées par des personnes détenues en France entre 2015 et 2017.

En réponse à cette urgence d’améliorer les conditions des détenus, le gouvernement français prévoit enfin d’augmenter le budget de la justice afin de construire 15 000 places de prison supplémentaires d’ici 2027, mais également de créer des emplois pénitentiaires et de réviser l’échelle des peines. C’est donc avant tout la surpopulation endémique qui est jugée alarmante et dégradante au regard des libertés fondamentales des citoyens français.

L’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2020

Dans un deuxième arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juillet 2020, la Haute juridiction a consenti aux attentes de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en créant une voie de recours auprès du juge judiciaire. Le but est que les détenus puissent faire valoir leur droit à la dignité, trop souvent bafoué dans le milieu carcéral. Cet arrêt crée un espoir nouveau pour un détenu : celui de pouvoir se faire entendre par un juge et par conséquent, qu’on puisse potentiellement rétablir ses droits. En effet, suite à la condamnation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et au regard de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, il est rappelé que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». C’est un droit absolu ne pouvant donc être subordonné à aucune exception.

Pourtant, ici encore, un écart drastique et malheureux s’érige entre la loi et la pratique. Il a en en effet été enlevé qu’en France, les détenus disposent d’un espace personnel inférieur ou égal à 3 m2, mais également que les voies de recours susceptibles d’empêcher la continuation de la violation n’étaient pas effectives. Deux nouveaux principes ont donc été affirmés visant à se plier aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, sanctionnant donc désormais tout traitement inhumain et dégradant, et ouvrant les portes du prétoire du juge judiciaire. C’est donc en deuxième lieu le dysfonctionnement de la procédure française qui a été relevé : les détenus ont doit au recours judiciaire, alors pourquoi celui-ci n’est-il pas effectif ?

La décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020

Enfin, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 octobre 2020 a rappelé la nécessité de concilier la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire et le respect de la dignité humaine. C’est à ce titre que le Conseil constitutionnel a jugé que le second alinéa de l’article 144-1 du Code de procédure pénale français méconnaissait les exigences constitutionnelles en vigueur. Le 1er mars 2021, cet alinéa a donc été abrogé.

En effet, le Conseil constitutionnel rappelle les 3 principes devant gouverner toute détention provisoire : la dignité humaine doit être sauvegardée, la présomption d’innocence demeure à ce stade de la procédure, et enfin, tout détenu doit pouvoir exercer un recours effectif devant une juridiction. La remise en cause récente de ces principes en France estt plus qu’alarmante lorsque l’on se rappelle que ceux-ci sont en vigueur depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, autrement dit depuis 1789. L’article 16 dispose en effet que «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution». Cet article pose les jalons essentiels propre à tout Etat de droit : une société faite de droits et armée d’une Constitution écrite ne permettant pas à tout un chacun de violer impunément les règles établies. La Constitution est en effet l’écho de la voix du peuple, et c’est lui-même qui s’élève aujourd’hui pour dénoncer une injustice sociale devant être préservée. Cela nous rappelle tristement Victor Hugo qui il y a plusieurs siècles déjà disait : « Aujourd’hui, je refais ainsi la définition de la Révolution : une grande lumière mise au service d’une grande injustice ». C’est désormais l’injustice faite à toutes ces personnes qui est mise en lumière.

L’évolution des droits des détenus

Pourtant, depuis la création des prisons, les droits des détenus ne cessent d’évoluer. La France est un Etat attaché à ses droits : la sanction est l’isolement, un dossier judiciaire par la suite, mais en aucun cas des violences physiques ou morales ne doivent être infligées aux détenus, contrairement à ce qui est observé dans certaines prisons. Ces fautes proviennent des conditions inhérentes aux prisons, c’est-à-dire avant tout du manque de place et de moyens dont dispose l’administration pénitentiaire.

La loi promulguée début avril 2021 met donc en lumière la grande difficulté à laquelle est soumise l’administration pénitentiaire : concilier un lieu qui se doit d’être privatif de liberté au regard du comportement asocial que certains individus ont eu et les droits fondamentaux de ces derniers. En effet, la prison demeure une sanction justifiant ainsi que les conditions de vie y soient volontairement rudes afin de susciter la crainte de ceux qui n’y sont pas et la nécessité pour ceux qui en sortent de ne jamais y revenir. Cependant, la prison demeure représentative des droits et devoirs d’un état, et les conditions actuelles ne reflètent pas la France. Si les prisons françaises sont souvent pointées du doigt au niveau national ou international comme en témoignent les nombreux rapports de l’Organisation des Nations Unies (ONU), il est possible de penser qu’avec la promulgation de cette loi du 8 avril 2021 un véritable tournant va être pris quant aux conditions de traitement des détenus. Le président de la République Française, Emmanuel Macron, en mars 2018 semblait avoir pourtant dores et déjà mis en lumière ce point « Une Nation est jugée à travers ses prisons. Beaucoup ne voudraient plus les voir, comme une part maudite, mais c’est aussi la Nation. La cohésion de la Nation se joue là aussi ». Quelques années plus tard et après plusieurs rappels à l’ordre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « le plan prison » parait enfin se mettre en place, doucement mais surement… 

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