Société — Département Hérault

“La panthéonisation de Missak Manouchian, c’est montrer aux jeunes qu'on est capable d’écrire l’Histoire avec des étrangers qui ont épousé la France”

A quelques minutes de la cérémonie de Panthéonisation du couple Manouchian et de leurs camarades, Patricia Mirallès, Secrétaire d’Etat chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, est revenue sur les femmes et les hommes de l’Hérault qui ont marqué l’Histoire avec un grand H. Plus qu’un devoir de mémoire, un devoir de partage, auprès de la Jeunesse, avec un grand J.

Le fait que Missak Manouchian soit panthéonisé aux côtés de Mélinée, ça montre une meilleure reconnaissance du rôle des femmes dans la résistance ?

Patricia Mirallès : Non, il faut recontextualiser les choses. Missak Manouchian est panthéonisé avec tout le groupe de résistants. Dans ce groupe, il y avait une femme : Olga Bancic, qui n’a pas été fusillée au Mont Valérien. Elle a été décapitée à la hache, c’était le sort des femmes réservé par les nazis. Mélinée, la femme de Missak, a survécu au groupe, et a porté jusqu’à beaucoup plus tard leur combat de résistants. Le couple Manouchian rentre au Panthéon, comme on l’a fait avec Simone Veil et son époux, mais sur la plaque commémorative, il y aura Missak et son groupe, accompagné de son épouse.

Sur la participation des femmes résistantes, je crois que vous portez d’ailleurs un projet spécifique ?

PM : Comme vous le savez, je suis héraultaise, je suis montpelliéraine et je reste profondément attachée à l’histoire de mon territoire. Dans l’année mémorielle qui s’ouvre à nous avec les deux débarquements, il me semblait intéressant de dire : nous en Occitanie, dans l’Hérault, on a eu des résistants et des résistantes. Et de très belles résistantes. Pour mettre en images ces femmes encore ignorées et en vue de la journée du 8 mars, j’ai lancé un projet de livre mettant à l’honneur 100 femmes résistantes, dont 4 héraultaises.

Qui seront ces femmes héraultaises ?

PM : Il y aura Simone Demangel, dont une rue de Montpellier porte le nom, Jeanne Atger ou encore Odette Capion-Branger. A l’époque, cette dernière était employée aux Galeries Lafayette de Montpellier. Elle a été emprisonnée comme opposante politique dans le camp de Rieucros en Lozère, en décembre 1940. Ceci pour avoir ouvert une imprimerie clandestine afin de continuer ses actions syndicales. Elle a également participé à l’évasion de résistants de la prison de Nîmes en février 1944. Enfin, on y trouvera aussi Thérèse Nichterwitz, une femme de courage, ancienne concierge de la préfecture de l’Hérault. Elle a été arrêtée par la Gestapo sur dénonciation pour activité au profit des résistants, à qui elle fournissait de faux-papiers. Elle utilisait aussi son logement de fonction pour les accueillir et entreposer leurs armes.

Des femmes qui étaient arrêtées, parfois libérées, mais qui continuaient à œuvrer pour la Résistance, parfois jusqu’à en mourir, car c’était pour elles le prix de la liberté. C’est aussi ce qu’on a voulu montrer : la femme n’est pas une personne faible. Quand on a des enfants, la priorité c’est de les protéger et ces femmes ont protégé tous les enfants de France.

Au centre Patricia Mirallès, ecrétaire d’Etat chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, cérémonie d'hommage à Missak Manouchian au Mont-Valérien du 20/02/2024 ©AFP
Au centre Patricia Mirallès, ecrétaire d’Etat chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, cérémonie d’hommage à Missak Manouchian au Mont-Valérien du 20/02/2024 ©AFP

Dans l’Hérault, il y a des résistantes, mais aussi des résistants

PM : Oui, et j’ai une pensée pour André Hautot, qui a été enterré tout à l’heure à Montpellier. Il a lui aussi un parcours extraordinaire : engagé volontaire pendant la Seconde Guerre Mondiale, au service de la Royal Air Force, dont il était membre à vie. Il réalisait des opérations très risquées, avec des missions de bombardements lourds. Dans l’Hérault, c’était une figure très engagée dans la transmission de la mémoire auprès des jeunes. Notamment dans le cadre du concours national de la Résistance et de la Déportation. Il a beaucoup oeuvré dans la Résistance de Castelnau-le-lez et on doit continuer à montrer aux jeunes que tous ces résistants font partie de notre héritage.

Justement, quel partage de la mémoire doit-être réalisé auprès des jeunes ?

PM : Ce que je fais dans mon secrétariat d’Etat, c’est que je vais au contact des écoliers, collégiens, lycéens, quand je suis sollicitée. C’est important d’y aller pour tous les niveaux scolaires. Plus on apprend petit, et plus on se souvient. Il y a plusieurs moyens de se souvenir. Des supports vidéo, mais aussi des BD. Il y en a une excellente sur Missak Manouchian (Missak Manouchian : une vie héroïque, éditions Les Arènes). Cette BD apprend des choses que je n’avais pas vues ailleurs, que je ne connaissais pas. C’est un plus pour commencer à s’intéresser à l’Histoire. Je pense aussi qu’il faut délocaliser certaines cérémonies d’hommage, car c’est aller vers les jeunes, dans les territoires, et les rendre acteurs. Quand je me rends au Struthof pour une cérémonie sur la déportation, 200 jeunes sont là, qui ne savaient pas que nous avions des camps avec des chambres à gaz en France. Vous les amenez sur le site, nous faisons la visite et l’on prend le temps d’expliquer les symboles (triangles rouges, roses, étoile jaune…). Certains m’ont dit que tout cela, ils ne l’avaient jamais compris.

Comment intégrer les jeunes ? En les faisant participer. Ils attendent cela. Il faut les rassurer en leur disant : ‘posez-moi les questions que vous voulez, ce n’est pas grave si elles vous semblent gênantes ou que vous avez peur de dire une bêtise’. Échangeons. Moi, c’est grâce à ces échanges que je continue à améliorer, à moderniser ces cérémonies. Je ne parlerai pas de devoir de mémoire, mais de transmission de la mémoire . Il s’agit de regarder l’Histoire en face, leur expliquer qu’on ne peut pas la réinventer, même dans ses heures les moins glorieuses.

La panthéonisation de Missak Manouchian ce soir, c’est leur montrer qu’on est capable d’écrire l’Histoire avec un grand H, avec des étrangers qui ont épousé la France, ses valeurs, jusqu’à en perdre la vie. C’est ça qu’il faut raconter aux jeunes.

Lors de la cérémonie, Emmanuel Macron, reprenant les mots de Louis Aragon, a donc rendu hommage à ces fusillés qui étaient “Français de préférence”, et “trop longtemps restés dans l’oubli”. Ainsi, le Président l’a rappelé “qui meurt pour la liberté universelle a toujours raison devant l’histoire. Est-ce ainsi que les Hommes meurent ? En tout cas les Hommes libres”.

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