116e congrès des notaires, Me Arnaud Rasigade : « La protection fait partie de l'ADN des notaires »
Alors que le 116e congrès des notaires vient de s’achever à Paris, Me Arnaud Rasigade, président du Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Montpellier, évoque pour l’HJE les propositions qui ont été approuvées par les notaires à cette occasion. Elles seront prochainement transmises au gouvernement.
Comment votre profession se porte-t-elle ?
Me Arnaud Rasigade : « De façon hétérogène selon les régions. Sur la cour d’appel de Montpellier, l’activité après le confinement a été très intense. Il y a eu un appel d’air, les clients voulaient acheter de l’immobilier avec des terrasses et jardins. Cette tendance se calme, mais ça a généré une activité ponctuelle. L’année 2021 m’inquiète plus. Comme vous le savez, la loi croissance a créé de nouveaux notaires au niveau national. Or, plus d’un tiers n’ont pas réussi à survivre. Et le rythme de croisière est tout juste acquis pour ceux qui ont pu poursuivre leur activité. Nous sommes inquiets pour eux. Notre inquiétude est renforcée par la crainte de la troisième vague de créations. Jeudi 8 octobre, nous avons demandé au ministre de la Justice de prendre en considération la situation de ces nouveaux notaires, dont un tiers ont disparu, et de mettre en stand by pour laisser souffler les jeunes qui se sont installés. Nous avons demandé que la révision de la carte devienne quinquennale et non plus biennale. D’autant que notre tarif sera révisé à la baisse en 2021. »
Le congrès des notaires était axé cette année sur la protection des Français…
« L’équipe du 116e congrès des notaires a travaillé depuis deux ans sur des propositions, amendées lors du congrès, et qui seront transmises au gouvernement pour éventuellement générer des textes de loi. Il faut savoir que 87 lois et de nombreux décrets et ordonnances sont issus des précédents congrès des notaires. La protection fait partie de l’ADN des notaires. Cette protection, le congrès l’a analysée au travers de 4 commissions. »
La première commission visait à protéger les personnes vulnérables…
« La commission s’est penchée sur un aspect malheureusement méconnu des Français : le mandat de protection future. Or, ce dispositif a 13 ans. Avec le mandat de protection future, la personne prend les devants et met en place des mesures qui s’appliqueront lorsqu’elle aura besoin d’être protégée à cause de son vieillissement ou d’une maladie par exemple. Nous proposons d’élargir le mandat de protection future à des mesures d’assistance et d’en faire une mesure restrictive. Je m’explique : le mandat, quand il est activé, concerne une personne devenue incapable, et le mandataire la représente. Il faudrait que le mandat restreigne la capacité de la personne. Nous souhaitons aussi qu’avec l’intervention ou sous le contrôle d’un subrogé mandataire, le mandataire puisse vendre le logement de la personne et considérer ses conditions de relogement. Il n’y aurait alors plus besoin de l’intervention du juge.
Autre période de la vie qui interroge : la zone grise, qui concerne les personnes ayant des pertes cognitives. Il faudrait mettre en place un mode opératoire ; par exemple qu’un certificat médical soit obligatoire à partir d’un certain âge ou si la personne a ou a eu une maladie. Aujourd’hui, les notaires doivent estimer eux-mêmes si la personne qui se présente devant eux est capable ou non ! Il semble étonnant que cela n’existe pas déjà.
Se pose aussi la problématique des sociétés civiles immobilières dans lesquelles des mineurs sont intégrés. Il faut savoir qu’actuellement, les mineurs associés sont responsables sur leurs biens personnels. Il faudrait limiter leur responsabilité à la hauteur de leurs droits. »
La deuxième commission portait sur le thème « protéger les proches »
« Aujourd’hui, les couples se pacsent presque autant qu’ils se marient : il y a eu 200 000 Pacs et 230 000 mariages en 2018. Nous proposons que le partenaire Pacsé survivant à son conjoint puisse rester dans le logement jusqu’à la fin de ses jours, même en présence d’enfants, et même si ce droit a une valeur qui dépasse la quotité disponible.
Nous souhaitons également l’adaptation contractuelle de la réserve héréditaire, car dans les donations-partages (partage anticipé de la succession), en cas d’inégalité, la commission se demande s’il ne faudrait pas tendre vers une présomption d’égalité voulue par le donateur à son décès. La commission tranchera ce sujet. Autre proposition : anticiper les effets juridiques de la renonciation du donataire. »
La troisième commission s’intitulait « protéger le logement, l’habitat et le cadre de vie ».
« Cette commission s’attache au logement, sujet essentiel en France. Le logement est un sanctuaire pour le notariat. Sachant que le parc locatif est très énergivore, nous pensons souhaitable que le propriétaire bailleur privé puisse donner congé à son locataire le temps de faire les travaux, avec évidemment une clause de réintégration prioritaire du locataire une fois les travaux achevés. Etant donné l’état du parc locatif, le congrès souhaite l’exonération partielle de droits de donation et de plus-value immobilière, en échange d’un engagement de travaux et de la location du bien concerné.
Nous pensons également impératif que la résidence principale de tous les entrepreneurs indéfiniment responsables devienne insaisissable à l’égard des créanciers professionnels.
La commission propose aussi de créer une présomption d’affectation à usage d’habitation en cas de changement d’usage dans le cadre des locations en meublé de courte durée. »
Et concernant la quatrième thématique, la protection des droits ?
« Ce thème interroge la place du notaire vis-à-vis de la protection des parties.
Savez-vous que sur les 50 000 divorces par consentement mutuel par an en France, 30 % concernent des expatriés ? Actuellement, le dépôt de la convention de divorce n’est pas un acte authentique : il n’a pas de date certaine, et surtout il n’a pas force exécutoire. Cela pose problème notamment lorsqu’un des ex-époux ne paie pas la pension alimentaire. Il faudrait donc que la convention de divorce soit un acte authentique.
De plus, la loi Alur oblige à produire des documents parfois pas pertinents ou inexistants lors de ventes de copropriétés. Certains notaires souhaitent que si l’acquéreur a été valablement informé par le notaire, il puisse renoncer à ces documents.
Autre proposition : en matière de succession se pose la question du point de départ du délai de prescription pour tout contrôle fiscal. Actuellement, il s’agit du jour où l’administration enregistre l’acte. Or cette date est difficilement prévisible. Cela peut prendre dix ou quinze jours. Il serait plus simple que le point de départ du délai de prescription soit à la présentation de l’acte par le notaire ou lors de la remise d’un récepissé par l’administration.
Nous proposons aussi de supprimer le droit de partage sur la réincorporation d’une donation dans une autre. Il est actuellement de 2,5 %. »
Quelle est l’actualité du Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Montpellier ?
« Notre actualité a été chamboulée par la crise Covid. Nous réactivons actuellement nos projets. Notre activité principale actuelle consiste à réfléchir à créer une chambre interdépartementale rassemblant les chambres départementales des Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault et de l’Aveyron, qui actuellement travaillent de façon isolée. Nous allons lancer un audit pour valider l’intérêt de cette démarche. C’est un sujet compliqué car certains ont peur de la nouveauté, et il faudra établir les modalités de fonctionnement pour les permanents.
Nous finalisons actuellement notre centre de médiation judiciaire au niveau de la cour d’appel de Montpellier. C’est mon prédécesseur, Me Didier Calmel, qui l’avait initié. Il devrait être opérationnel d’ici la fin de l’année.
Le reste de notre activité est constitué de discipline, d’inspections et de réunions. »
Justement, il semble que le ministre de la Justice ait annoncé une nouveauté en termes de discipline, lors de l’ouverture du congrès ?
« Le ministre de la Justice a annoncé que la discipline sera remontée au niveau national et professionnalisée d’ici un an. Actuellement, les notaires sont soumis à des inspections inopinées au moins une fois par an par le Conseil régional, avec des inspecteurs (comptable et notaire). Le contrôle porte sur l’intégralité de l’étude. En cas de problème, le rapport remonte au président de chambre et au conseil régional et est adressé au procureur de la République et au parquet général, qui prennent des mesures si besoin. Sur notre cour d’appel, il n’y a pas de grosse problématique en la matière. Les problèmes que nous rencontrons en termes de discipline ne sont pas liés à ces inspections, mais plutôt à des plaintes de clients (le client porte plainte contre son notaire auprès du président de chambre, qui instruit la plainte avec les syndics). Si le notaire est fautif, une action en discipline est traitée par le Conseil régional. Heureusement, nous avons peu de mécontents par rapport au volume de dossiers traités.
Propos recueillis par Virginie MOREAU
vmoreau.hje@gmail.com