Art contemporain : le MO.CO (Hôtel des Collections) passe à l'Est !
MO.CO : 130 œuvres pour s’immerger dans l’art non-conformiste russo-soviétique de 1960 à 2002…
MO.CO : 130 œuvres pour s’immerger dans l’art non-conformiste russo-soviétique de 1960 à 2002
A Montpellier, le MO.CO Hôtel des Collections présente actuellement 130 œuvres parmi les 5 000 de la collection russo-soviétique underground rassemblée de 1960 à 2002 par l’historien d’art Andreï Erofeev pour le musée-réserve Tsaritsyno, situé près de Moscou. Un musée qui a été dissous pour devenir le cœur de la collection contemporaine de la Galerie Nationale Tretiakov.
Les principaux mouvements artistiques russo-soviétiques figurent aux cimaises du MO.CO à l’occasion de cette exposition intitulée Les non-conformistes, histoire d’une collection russe…
Le coeur du MO.CO palpite au rythme de celui de l’histoire, au fur et à mesure que les visiteurs suivent le parcours, passionnant, déroulant quarante ans d’un art russo-soviétique non-officiel. Au départ, « ces artistes ont voulu dépolitiser l’art, se distancier de la propagande idéologique gouvernementale, ce qui ne signifiait pas forcément être dans une opposition politique, mais transgresser des normes et valeurs, provoquer », souligne Andreï Erofeev, président de l’association internationale des critiques d’art et commissaire d’expositions au Musée d’art contemporain de Moscou (Mmoma).
C’est ainsi que, dans les années 50, sous Khrouchtchev, un groupe de sculpteurs refuse d’exécuter des commandes publiques, s’éloignant ainsi du Réalisme socialiste et lui préférant le biomorphisme. D’autres s’inspirent des quelques reproductions d’œuvres occidentales auxquelles ils ont accès. Le dripping de Pollock devient un modèle pour Vladimir Slepian, qui finit par fuir l’URSS. Une réinvention de l’art abstrait intervient, dans un esprit d’avant-garde retrouvé. A la fin des années 60, sous Brejnev, la recherche d’une possibilité de fuite dans une société soviétique étouffante est la préoccupation de peintres dits « métaphysiques », dont Erik Boulatov ou Alexander Yulikov. D’où les points de fuite et la recherche de profondeur dans leurs œuvres.
Dès les années 1975, une révolution artistique apparaît : l’art devient autoréflexif. Il fait son autocritique, se lasse des monochromes. Les Cercles, Carrés et Triangles blancs de Vitaly Komar et Alexander Melamid se moquent des monochromes produits par dizaines en URSS. Pour eux, il est temps de passer à une autre ère. Celle du discours critique.
La vie quotidienne devient une source d’inspiration importante pour les créateurs. Ainsi, certains d’entre eux se concentrent sur l’objet, par pure volonté naturaliste. Au lieu de peindre un objet pour le représenter, ils l’exposent ; l’image est remplacée par l’objet. En 1965, Mikhaïl Roginsky peint sur une porte rouge, tandis qu’en 1974, Boris Touretski représente un nu en assemblant des sous-vêtements, gants et escarpins sur du contreplaqué. Pour leur part, dans une démarche analogue, les conceptualistes moscovites créent des installations se référant à la culture locale. En témoignent le Coffre avec déchets d’Ilya Kabakov (1981), qui rassemble de vrais déchets du quotidien, ou encore les sculptures de poussière, sous globe, de Sergueï Volkov (Maquettes poussiéreuses, 1994).
Pour sa part, dans les années soixante et soixante-dix, le Pop Art russe s’implante. La société de consommation et les médias démocratiques étant inexistants, les artistes n’ont aucun visuel publicitaire dont ils peuvent s’inspirer. Ils s’emparent donc des panneaux de signalisation, affiches de chemin de fer, paquets de cigarettes et autres, les détournent et se les approprient. Mais, selon Andreï Erofeev, “la valeur ajoutée par l’appropriation de ces signes marginaux par les artistes est minime”.
Le Pop Art est donc vite détrôné par le Sots Art, né en 1972, qui est le réel équivalent du Pop Art américain et le plus connu des courants non-conformistes, selon le commissaire d’exposition. C’est aussi le courant préféré de la rédaction, car il défie le pouvoir et s’inscrit ainsi dans l’Histoire. Les œuvres du Sots Art sont souvent immédiatement compréhensibles par les Occidentaux. Les artistes qui en relèvent – à commencer par Vitaly Komar et Alexander Melamid – prennent des risques réels, car ils tournent en dérision les images du pouvoir et du socialisme – dont la figure de Lénine ou des artistes officiels – et signent leurs œuvres de leur nom. Ainsi, Alexander Kosolapov ose associer le visage de Lénine avec un slogan de Coca-Cola, grand symbole du capitalisme. Les dissonances esthétiques sont fréquentes. Leonid Sokov transforme l’un des nombreux autels idéologiques dédiés à Lénine en un autel à la gloire des opposants du bolchevisme.
Et Alexander Kosolapov détourne le logo des cigarettes Marlboro en Malevitch (voir la photo tout en haut). Dmitri Prigov remet même en cause le culte de l’art et de l’artiste dans son installation Pour la pauvre femme de ménage.
Le lettrisme est omniprésent dans de nombreuses créations ; les mots assènent des vérités déplaisantes, comme dans Iron Curtain, où ces lettres majuscules, qui signifient “rideau de fer”, sont justement peintes par le groupe Gnezdo sur un rideau de fer rouillé et dénoncent le joug bolchevique.
Début 1980, les Moukhomor, qui professent l’Apt Art, associent art, musique pop-rock, danse et théâtre, et présentent leurs œuvres au milieu d’objets de la vie quotidienne. Cet art de l’installation russe est appelé “chambre d’artiste”, nous apprend Andreï Erofeev. Mais, pour avoir traité un sujet qui ne plaît pas au pouvoir, le groupe est dissous et la galerie rasée en 1984.
“Avec la Perestroïka de Gorbatchev (1985-1991), le peuple et les artistes accèdent à une plus grande liberté. C’est la joie ! L’art s’ouvre à l’international et à la compétition”, se souvient Andreï Erofeev. Les Nouveaux Artistes à Moscou (et Leningrad), Gosha Ostretsov et Georgy Litichevsky en tête, abandonnent le non-conformisme pour un art plus superficiel. Ils découvrent le théâtre, créent des costumes, des danses et des spectacles entiers ; leurs peintures, réalisées en bad painting, servent de décors. Ils affichent les figures soviétiques de Gagarine et Malevitch sur les vêtements pour créer un style reconnaissable. La bande dessinée commence à se développer.
Dans les années 1990, le Réalisme psychédélique, mené par le groupe Inspection Herméneutique Médicale, analyse pour sa part l’inconscient des artistes. L’exploration des peurs et des traumatismes est ainsi l’objet de l’installation Lit, d’Anton Olshvang. Un lit en fer qui se serait refermé sur son occupant, il y a là matière à faire bien des cauchemars en effet !
Les apprentis provocateurs se moquent du manque de culture artistique de leurs aînés. Tandis que l’actionnisme radical, avec ses performances extrêmes, choque et s’attire parfois les foudres du pouvoir.
Actuellement, assure le commissaire d’exposition, “l’art contemporain dans mon pays est mondain et léger. Il ne revendique rien. Le journaliste a pris la relève de l’artiste ; c’est lui qui résiste à Vladimir Poutine”. Andreï Erofeev indique que les œuvres qu’il a réunies au fil des ans sont présentées, ou non, en fonction du climat politique. “On a rajouté l’avant-garde artistique, certes, mais l’histoire de l’art russo-soviétique n’a pas été réécrite dans son ensemble”, regrette-t-il.
Une exposition que l’on a envie de prolonger par la découverte de l’art actuel russe, notamment au Garage de Roman Abramovitch et Dasha Joukova, en attendant l’ouverture, dans un an, du GES-2 de Leonid Mikhelson.
Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com
Informations pratiques
MO.CO Hôtel des collections – 13, rue de la République – 34000 Montpellier – 04 34 88 79 79.
> Exposition visible jusqu’au 9 février 2020, du mardi au dimanche, de 12h00 à 19h00.