De la statue de l’éphèbe à la crise grecque, 2600 ans d’histoires
Quel lien entre les deux choses, me direz-vous ? La Grèce bien sûr mais…
Quel lien entre les deux choses, me direz-vous ?
La Grèce bien sûr mais aussi la concomitance entre des évènements, d’importance inégale il est vrai : le retour au musée cap agathois de l’éphèbe éponyme et les pérégrinations de la bourse.
Vendredi 7 mai, sombre journée : la bourse plonge comme jamais, l’euro est attaqué, la Communauté Européenne est au bord du gouffre.
Lundi 10 mai, bulletin de victoire : Grâce notamment à la ténacité et l’opiniâtreté de notre Président (qu’il dit), l’euro reprend des couleurs, l’Europe est sauvée, la bourse s’envole (…avant de replonger mardi, mais c’est une autre histoire).
Pourquoi un tel retournement de tendance ?
Parce que les 27 pays de la CEE se sont mis d’accord pour créer un fonds commun d’aide aux pays de la zone euro (et au-delà si affinité) en difficulté. Sept cent cinquante milliards d’euros (une paille !) peuvent être mobilisés si besoin est et être mis à disposition des états qui en feraient la demande. La France participe au pot commun à hauteur de 90 milliards (à emprunter bien entendu).
Bravo donc !
Ce fonds commun bricolé à la va vite risque d’être à la Communauté Européenne (avec des pays moins poussés à observer les critères originels) ce que l’avant-bras retrouvé d’ « Alexandre » est à la statue de l’éphèbe : un emplâtre sur un manchon de bronze, une prothèse aussi esthétique que des moignons que l’on collerait à la Vénus de Milo.
Comment expliquer ces fluctuations des bourses mondiales
avec des amplitudes de plus ou moins 20 % dans une journée alors que la bourse est censée être le reflet de la bonne (ou mauvaise) santé financière des sociétés et entreprises cotées? Une entreprise ferait donc des pertes colossales vendredi et des bénéfices mémorables le lendemain ?
Si dans le cas de figure qui nous occupe cela vaut pour les banques (on verra plus loin comment), ce n’est pas le cas pour toutes les autres entreprises.
Madame Lagarde et consorts ont beau nous expliquer que pour que la bourse se tienne bien il faut qu’elle ait confiance et que la confiance était revenue grâce à nos politiques (dont elle), la volatilité de la bourse est en fait liée au « travail » des spéculateurs en tout genre à commencer par les hedge funds spécialisés dans les investissements à risque au profit …des banques.
De la confiance, ils n’ont pas grand-chose à faire : la crise financière qui les a touchés directement est terminée (grâce aux plans de soutien des Etats qui se sont endettés pour les sortir de l’ornière); la crise économique qui lui a succédé, ils sont les premiers à en profiter (quand ils ne l’ont pas créée)
Ce qui s’est passé au point de vue politique ce week-end mérite cependant qu’on s’y attarde.
D’abord sur le mécanisme de soutien aux pays en difficulté envisagé :
– Pour la première fois depuis la création de la communauté européenne, la Banque Centrale (BCE) pourra prêter directement aux Etats grâce au fameux fonds de 750 milliards (encore faudra-t-il qu’il soit alimenté).
– Il s’agit là d’une mise en cause de la constitution européenne telle que définie par le Traité de Lisbonne, un plan B qui ne dit pas son nom. Or, lorsque la France, par référendum, a refusé de signer ce traité, il a bien été précisé qu’il n’y avait pas de solution alternative. Si bien que le Parlement a été appelé à le ratifier dans une pantomime de démocratie.
– Et bien, ce coup ci, le chef n’a même pas daigné en appeler aux parlementaires qui ont validé après coup son… coup d’état.
Ensuite sur le pourquoi de cette intervention :
– Il s’agissait théoriquement de venir en aide à l’Etat Grec en grande difficulté financière, au Portugal et à l’Espagne qui risquaient d’être attaqués par les spéculateurs et accessoirement à l’euro en train de perdre du terrain par rapport au dollar (à noter que rien n’a été entrepris vis-à-vis des spéculateurs eux-mêmes, sauf à les inciter oralement à « moraliser » leurs interventions).
– Il faut savoir que la Grèce était pratiquement en cessation de paiement et dans l’incapacité de rembourser ses créanciers au premier rang desquels figurent les banques allemandes et françaises (Crédit Agricole et Société Générale).
– En soutenant financièrement le gouvernement grec, c’est donc, avant tout, les banquiers créanciers que, encore une fois, l’on soutient. C’est si vrai que, dans la seule journée de lundi, la capitalisation boursière de la Société Générale a progressé de 7 milliards d’euros…
– L’autre préoccupation de nos élites est celle de ne pas voir sombrer la Grèce dans la violence avec un risque de contamination aux autres pays européens (dont la France) frappés par une crise économique et sociale sans précédent.
La Grèce, un test…La crise, un prétexte…
Ce qu’il ne faut pas oublier dans tout cela, c’est que les aides financières accordées aux Etats sont subordonnées à toute une série de mesures antisociales censées remettre les pays aidés dans le droit chemin. Ces mesures jusqu’ici édictées par le FMI à chacune de ses interventions (pour, quelquefois, le bonheur de l’économie locale, mais, toujours, pour le malheur des peuples) ont été reprises par l’Union Européenne.
Malheureusement Alexandre ne peut faire un bras d’honneur
Les Grecs ont semble-t-il été suffisamment conditionnés et culpabilisés (comptes falsifiés, travail au noir, fraude fiscale…) qu’ils paraissent pour l’instant accepter l’inacceptable : blocage des pensions, diminution des services publics, sombres coupes dans les salaires…
Cette apparente apathie des citoyens hellènes est un encouragement pour l’ensemble des dirigeants à pratiquer une politique d’austérité à l’échelle européenne.
Ne disait-on pas que rien ne valait une bonne guerre pour remettre les choses en bon ordre de marche ? Aujourd’hui, plus besoin de guerre, une bonne crise suffit.
Comme l’Espagne à la veille de la deuxième guerre mondiale a servi de champ d’expérimentation aux fascistes et aux nazis, craignons que la Grèce ne soit le laboratoire de nos libéraux à tout crin.
Notre gouvernement est en train de nous concocter une politique d’austérité (bien réelle même si le mot est interdit) totalement injustifiée. Les mesures déjà prises, et celles qui vont être prises à coup sûr, ne touchent en effet qu’une partie de la population, les plus démunis et la classe moyenne. Alors qu’on appelle les plus faibles à faire preuve de rigueur et de solidarité, l’écart entre les plus hauts et les plus bas revenus n’a jamais été aussi important; la classe moyenne glisse vers le prolétariat tandis que les plus riches sont de plus en plus riches.
Et toujours pas question de supprimer le bouclier fiscal (au motif que cela ne rapporterait pas grand’ chose). Mais alors que pèsent dans le déficit budgétaire les 150 euros d’aide aux ménages qui viennent d’être supprimés? La réforme envisagée de la retraite ne touche que les salariés. La suppression des « niches » fiscales pourrait aller dans un sens égalitaire si elle concernait toutes les niches fiscales (mais écoutez madame Lagarde qui parle de « raboter les niches si besoin est ») …
Pire, les remèdes envisagés vont tuer le malade : diminuer le nombre des fonctionnaires, comme allonger la durée du travail, c’est augmenter le chômage global; ne pas relancer la consommation (où est-il passé le président du pouvoir d’achat), c’est bloquer la croissance dont elle est le principal moteur chez nous…
Que restera-t-il de tout cela dans quelques mois : les établissements financiers et les grandes multinationales auront fini de se refaire une santé mais le démantèlement de nos acquis sociaux et de notre modèle de société sera pratiquement terminé et il faudra des décennies de lutte pour refaire le chemin perdu.
Pour être sûr que nous ne passions pas à côté, au cas où en 2012 le rejet de Sarkozy deviendrait évident, on nous fabrique un candidat de « gauche » mesuré à l’aune du néolibéralisme : le « patron » du FMI*, le meilleur des organismes à asservir les peuples inventé à ce jour.
Antoine Allemand
* Pour être tout à fait honnête, il faut souligner que DSK aurait pensé taxer les mouvements financiers…Mais, c’est comme les paradis fiscaux, on en reparlera à la prochaine crise.