Dupré & Dupré Gallery, à Béziers, place à l'art non conventionnel
Collectionneur d'art, Fabrice Delprat a fait le pari en 2014 d'ouvrir une galerie à Béziers dans laquelle il présente des oeuvres réalisées à partir de matériaux non conventionnels. On y fait des découvertes artistiques, aux cimaises comme dans les deux réserves de la galerie. Rencontre avec ce galeriste passionné et passionnant.
Une galerie au propos audacieux
« J’ai choisi d’appeler ma galerie Dupré & Dupré, car Dupré est l’équivalent en langues latines de mon nom de famille, Delprat. Ce double nom me permet d’associer moralement mon fils à mon projet, et j’aime le signe esperluette, qui lie les choses… » indique Fabrice Delprat. Interrogé sur la ligne artistique qu’il a choisie pour sa galerie, il détaille : « Une grande partie des œuvres proposées à la galerie sous divers supports et médiums émanent de cette récente vague d’artistes utilisant des matériaux modestes, non conventionnels ou de recyclage », prévient-il d’emblée. C’est cette génération même, très attentive à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, à l’ère de l’Anthropocène, que la Panacée présente actuellement à l’occasion de l’exposition Crash test, à l’instigation de Nicolas Bourriaud – même si ce ne sont pas les mêmes artistes. Il s’agit ici d’art contemporain, ou plutôt d’art actuel, comme se plaît à le préciser le galeriste.
Les matériaux et supports des œuvres qu’il expose ont de quoi étonner : tableaux composés à partir de touches d’ordinateurs, en cendres, en plumes ; dessins en cheveux ; sculptures en fils de Scoubidou ou, chose encore plus étonnante, en moutons de poussière… Aux cimaises, il est toutefois aussi question de peinture et de dessin. Et les visiteurs pourront toujours trouver des multiples de Robert Combas et d’Hervé Di Rosa ou des œuvres de Ben, aux côtés des créations originales des artistes montants qu’il a retenus.
« La notoriété de la galerie s’est construite par la découverte et l’accompagnement d’artistes qui bénéficient aujourd’hui d’une forte visibilité sur le territoire français et international et sont entrés dans d’importantes collections publiques et privées : Frac Languedoc/Roussillon, Frac PACA, Fondation Blachère, Centre d’art contemporain Walter-Benjamin de Perpignan, Musée National du Sport, La Piscine de Roubaix, Domaine de Lézigno-Technilum, Fondation RAJA… », explique Fabrice Delprat.
Des sculptures à foison
Parmi les valeurs sûres de la galerie figure le plasticien et sculpteur Marc Alberghina, qui se livre à une féroce critique de la céramique de Vallauris, laquelle a, selon lui, entraîné sa propre perte en surproduisant et en versant dans le kitsch. Ses céramiques reprennent les codes bien connus de la céramique issue des ateliers varois. Ses langues monumentales, semblant jaillir des murs, sont d’immenses pieds-de-nez à la production qui a dévalorisé le savoir-faire des céramistes, à son avis. Ses inhalateurs blancs en céramique, très sobres mais lourds de sens, dénoncent l’intoxication au plomb dont ont été victimes les artisans céramistes. Ses vanités, qui reprennent les diverses modes de Vallauris, déclinent, en 52 exemplaires, le nuancier vallaurien, et l’associent à la mort. Les œuvres de Marc Alberghina sont d’un grand esthétisme. C’est l’un des coups de cœur de la rédaction.
Autre artiste de taille par sa créativité, Lionel Sabatté crée des sculptures notamment à partir de moutons de poussière ramassés au balai dans des lieux publics, comme le métro. Le visage qu’il a composé à partir de ce matériau est criant de vérité et époustouflant. Cet artiste dépoussière à lui seul l’art de la sculpture en le réinventant totalement. De même, ses personnages, bien que faits en moutons de poussière, semblent animés d’une vie propre, ce qui relève de la prouesse.
Autres sculptures surprenantes, celles de Laurent Perbos, en tuyaux d’arrosage, parpaings, bouées et autres néons. Tout aussi colorées, les sculptures en fils de Scoubidou ou plastique et métal de Vincent Mouls associent légèreté et matérialité. Une saynète imbriquée dans un cintre rappelle certaines créations de l’art modeste cher à Hervé Di Rosa. Un visage recomposé en tapettes à mouches roses montre tout l’humour de cet artiste, qui n’hésite pas non plus à se livrer à un travail de tressage de fils en plastique sur une corbeille à papier. Donner de la valeur et une certaine considération à des objets du quotidien que l’on ne regarde même plus semble être ici l’objectif de Vincent Mouls comme de Laurent Perbos.
Cédric Tesseire, quant à lui, s’interroge sur la matérialité de la peinture en jouant avec les peaux que la peinture forme en séchant. Ses sculptures en peinture suscitent le désir de toucher, surfant sur un interdit absolu, comme le savent les habitués des musées. Travaillant aussi sur la déformation des supports, il fait fondre des feux de signalisation automobiles – autre objet du quotidien – et tord des plaques de Dibond.
Pour sa part, la paléoartiste Elisabeth Daynes est connue sur le plan mondial pour ses reconstitutions d’hommes fossiles pour le musée de Tautavel ou sa création de l’Australopithèque Lucy en 1999 pour le Field Museum de Chicago. En 2006, sa reconstruction du visage du pharaon Toutânkhamon lui a valu la couverture de toutes les éditions du National Geographic. Sur le plan purement artistique, elle propose chez Dupré & Dupré Gallery de faux œufs d’autruches en latex rehaussés de poils ou de cheveux, comme si elle créait des espèces hybrides. Plastiquement, le résultat est intéressant voire un peu dérangeant.
Quant au Montpelliérain Patrice Barthes, ses volumes muraux en bandes de papier colorées enroulées de la série The Size of the distant matérialisent des longueurs de parcours d’un lieu à un autre. Sa démarche artistique s’intéresse à la marche et aux impressions visuelles laissées par un parcours, lesquelles conditionnent la couleur du papier.
Le Sérignanais Lionel Laussedat présente à la galerie la fameuse pioche monumentale qui avait été exposée lors de la foire d’art contemporain Art Montpellier, ainsi qu’une sculpture synthétisant une clé USB et une silhouette humaine. Depuis toujours, Lionel Laussedat crée des sculptures de très grande taille pour répondre à des commandes publiques. On connaît ainsi la baleine qu’il a réalisée pour le lido de Valras ; son lévrier, l’animal totémique de Nissan-lez-Ensérune ; le Taureau d’acier acquis par la Ville de Béziers… Inspiré par les technologies industrielles, il parvient habilement à allier simplicité des formes et démesure des formats. On le sait peu, Lionel Laussedat a été commissaire adjoint de la biennale d’art contemporain chinois à Montpellier et directeur artistique du pavillon de la France à l’exposition universelle de Shanghai 2010.
Côté tableaux…
Chez Dupré & Dupré Gallery, qu’on se le dise, rares sont les tableaux traditionnels, peints sur toile.
Ainsi, le galeriste présente un paysage sculpté sur du contreplaqué à la gouge et au ciseau à bois par le Sétois Jean Denant, qui a fait partie des 44 nominés pour le Prix Marcel-Duchamp cette année. Dans ce tableau-sculpture, l’artiste tente de redonner son identité à la matière. Ses paysages de sous-bois, plus ou moins abstraits, portent la marque oblique du contreplaqué, qui pourrait évoquer des rayons de soleil filtrant sous les feuilles, analyse poétiquement le galeriste.
A mi-chemin entre sculptures et tableaux, les Mémosaïques – tableaux en bas-reliefs – d’Olivier Lannaud sont entièrement composés de touches d’ordinateurs obsolètes des années 80 et 90, et représentent des figures de l’Antiquité. Ils mettent l’accent sur l’un des maux de notre société, la pollution générée par la surabondance d’équipements informatiques, et soulignent le fossé technique qui nous sépare de la période antique. On admire le travail des nuances – il y aurait sept nuances de noirs sur les claviers informatiques, apprend-on –, qui évoque la pixellisation,
et on sourit en lisant les messages laissés par l’artiste avec les touches, la touche « Fin » concluant invariablement chaque tableau, avec la signature « OL ». Olivier Lannaud a également conçu une vanité entièrement en touches de téléphone, qui intrigue.
Autres tableaux faisant intervenir le volume, les portraits en plumes teintées de femmes célèbres par la Bordelaise Marie-Ange Daudé. Celle-ci réalise également des portraits en cendres sur Plexiglas®, en épingles, en agrafes… Un jeu entre abstraction et figuration s’opère selon que l’on observe ses portraits de près ou de loin.
Les « dessins » en cheveux de la Sétoise Claudie Dadu, superbes de simplicité, défient pour leur part les lois traditionnelles du dessin, tout en s’en rapprochant. Révélant toute la sensualité de cette ligne de vie, ils relèvent d’une économie de moyens poussée à son paroxysme. Portraits, scènes érotiques, gestuelle des mains… son travail est d’une grande subtilité.
Les dessins de Julien Cassignol sont largement inspirés de ses promenades et des rêves qui en découlent. Plusieurs de ses œuvres seront exposées par Dupré & Dupré Gallery sur le Salon International du Dessin Contemporain Paréidolie, à Marseille, les samedi 1er et dimanche 2 septembre 2018, avec celles de Nicolas Rubinstein, à l’occasion d’une thématique sur le couple.
Les peintures de Fabien Boitard se jouent des styles et ont en commun un inénarrable goût pour le flou et pour l’étrangeté, qu’il peigne la nature, du gibier, des châteaux sous des tentes ou des réunions de famille. Un flou qui pourrait évoquer le filtre des souvenirs et qui suscite l’interrogation. Point d’orgue, l’œuvre La Grille, qui représente une grille en métal aux pointes dorées fermant un chemin forestier, symbolise à elle seule l’atmosphère
de mystère qui plane dans les tableaux de Fabien Boitard.
Informations pratiques
Dupré & Dupré Gallery
Rue des Anciens Combattants – 34500 Béziers
Tel. : 04 67 36 98 53 – www.dupre-et-dupre.com
> Galerie ouverte du mardi au jeudi de 14h30 à 18h30 et les vendredi et samedi de 10h30 à 18h30, ainsi que sur rendez-vous. Fermeture les dimanche et lundi.
> Le prochain vernissage aura lieu le vendredi 16 mars à partir de 18h30. Il s’agira d’une exposition
de Mylène Fritchi-Roux et Xavier Spatafora intitulée Dessinorama.