HERAULT - Christophe EUZET : Réaction aux événements de ces derniers jours
« A CŒUR OUVERT » En tant qu’élu de la majorité, comment réagissez-vous au mouvement…
« A CŒUR OUVERT »
En tant qu’élu de la majorité, comment réagissez-vous au mouvement des gilets jaunes ? Entendez- vous leur parler ?
Je n’ai pas attendu la manifestation du samedi 17 novembre ni que les événements dégénèrent pour aller à la rencontre des gilets jaunes et pour rendre compte au sommet de l’Etat des préoccupations des gens qui sont dans la rue. Je l’avais promis à ceux que j’ai rencontrés dès le 15 : je l’ai fait sans attendre. Dès le jeudi soir, à Villeneuve les Béziers, j’avais décidé d’aller au contact des mécontents pour échanger avec eux. J’ai, depuis, revu les gilets jaunes agathois à Pézenas et je suis en contact, bien sûr, avec les sétois. A chaque rencontre, c’était plus pour manifester mon respect aux manifestants et leur prouver que j’étais vraiment à l’écoute que pour apprendre ce qu’ils avaient à me dire que j’y suis allé: je connais très bien, et depuis longtemps, les motifs de l’insatisfaction qui s’exprime aujourd’hui. J’en connais aussi les contradictions. Tous ceux que j’ai rencontré peuvent en témoigner.
Ah bon ?
Oui, c’est parce que j’étais moi-même insatisfait et mécontent de l’évolution de mon pays durant les vingt dernières années que je me suis engagé en politique il y a dix-huit mois. Et je n’ai rien perdu du sens des réalités. Je ne suis pas devenu un autre. D’ailleurs, j’organiserai encore en décembre et en janvier des réunions publiques régulières – comme je le fais depuis mon élection – pour échanger sur des thématiques ciblées, écouter, mais aussi expliquer l’action qui est la nôtre et les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Au-delà de l’insatisfaction, il y a les enjeux auxquels sont confrontés concrètement ceux qui exercent le pouvoir : même si nous ne parvenons pas toujours à convaincre, nous avons pour mission de rendre compte de ce que nous faisons. Je le fais régulièrement depuis le début du mandat.
Vous comprenez les mobiles de ceux qui manifestent dans la rue, donc ?
Il y a dans notre pays, depuis bien longtemps maintenant, une grogne multiforme. Elle est due au fait que nous craignons, pour nous et pour nos enfants, d’aller moins bien demain qu’aujourd’hui. C’est déjà très difficile, pour beaucoup, de boucler les fins de mois aujourd’hui. Alors on s’inquiète encore plus pour demain. C’est humain. C’est normal. Je viens d’un milieu populaire et je ne suis pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Je suis au courant de cette réalité. Des membres de ma famille la vivent au quotidien. Moi-même, j’ai déjà connu des périodes très compliquées : à trente ans, avec un doctorat en droit en poche, je n’avais pas d’emploi et pas un centime devant moi, je faisais des petits boulots agricoles car il n’y avait pas de poste d’enseignant à la fac. J’avais même écrit à Jacques Chirac, Président de la République de l’époque, pour lui dire mon désespoir ! Encore une fois, c’est justement pour lutter contre ça que je me suis engagé à l’âge de cinquante ans ! Je n’ai aucune ambition de « carrière » en politique : je suis là pour essayer d’améliorer le quotidien de mes compatriotes, de mes amis, de ma famille. Pas pour me trouver un nouveau métier : je suis enseignant,
fonctionnaire, et lorsque mes fonctions de député auront pris fin, je retournerai à mon métier. J’espère simplement que ce sera avec le sentiment du devoir accompli. Et je peux vous assurer que je suis loin d’être le seul dans ce cas à l’assemblée. Nous sommes pour beaucoup la représentation de la société civile, tout simplement.
Ce n’est pas le ressenti de la population actuellement…
C’est vrai. La mobilisation des gilets jaunes ramasse beaucoup d’insatisfactions. Un peu dans tous les sens d’ailleurs, car tout le monde n’a pas les mêmes problèmes. Ni les mêmes priorités. C’est cette même insatisfaction, diffuse, qui nous a portés au pouvoir : j’en suis tout à fait conscient et ce depuis mon élection. Vous savez, le jour où j’ai été investi, j’ai de suite senti que je serais élu, car nous étions portés par cette insatisfaction Mais le jour même où j’ai été élu, j’ai dit à mes collaborateurs que ce serait très difficile, car l’attente était immense. J’ai expliqué à mon équipe que les obstacles seraient nombreux sur le chemin. Nous y sommes : comme les choses mettent du temps à changer, la vague d’insatisfaction trouve un nouvel élan. Mais on ne réforme pas un grand pays comme la France en dix- huit mois. Nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons depuis un an et demi pour redresser le pays. Mais Il faut nous avoir l’honnêteté de dire que le défi est de taille : il nous faut être collectivement forts, fiers de ce que nous sommes et combattifs au regard de l’avenir. Car nous n’avons aucun droit acquis à aller mieux demain ! Ce sera seulement au prix d’efforts collectifs.
Expliquez-vous ?
Nous vivons dans un monde devenu fou. Les grandes puissances sont gouvernées par des dirigeants incontrôlables ou excentriques (ou les deux), la compétition économique dans le cadre de la mondialisation est féroce et les mouvements migratoires sans précédent font vaciller l’Europe. Celui qui met genou à terre, dans ce bourbier, se fait piétiner sans aucune pitié : nous essayons de faire en sorte, comme nous l’ont demandé les français, de rester debout et d’aller de l’avant! Dans ce monde qui avance à toute vitesse sans toujours savoir où il va, la plupart des pays ont fait le choix d’un libéralisme outrancier : les « winners » gagnent de l’argent, éduquent leurs enfants, se soignent et consomment à loisir, tous les autres se débrouillent tout seuls pour survivre. Dans les pays du sud d’ailleurs, survivre est devenu tellement difficile que tout le monde rêve de venir vivre au nord…
Et alors ? Quel rapport avec les gilets jaunes ?
Justement ! Nous avons collectivement fait le choix radicalement opposé – et les électeurs nous ont élus pour ça – de sauver notre système de santé, notre système de protection sociale, notre système éducatif, notre façon de vivre en société tout simplement ! Nous avons choisi d’avoir des écoles de qualité, des hôpitaux modernes, des infrastructures performantes, des services publics efficaces, des aides pour les plus démunis, les plus fragiles, les plus précaires: parce que nous refusons collectivement le système du « chacun pour soi » qui prévaut sur la majeure partie de la planète. Mais tout cela a un coût. Car rien n’est gratuit. Le Président Marcon ne démolit pas le système existant, contrairement à ce qui est souvent dit : il travaille à le maintenir en le réformant, car si on ne le réforme pas, il va disparaître ! Si plus personne n’a de boulot, plus personne ne cotisera, et si on ne cotise plus, il n’y aura plus d’argent dans la caisse ! Or, il ne peut pas y avoir d’Etat providence, de système social, sans caisse commune ! Et si ceux qui sont appelés à cotiser s’y refusent, alors ce sera vraiment le chacun pour soi ! Dans notre pays, parce qu’on y vieillit de mieux en mieux, il y aura bientôt plus de retraités que d’actifs : que deviendrons-nous si nous ne réformons pas le régime des retraites ?
Comment maintenir – sans y toucher – un système qui a été créé quand on vivait beaucoup moins longtemps et en situation de plein emploi, quand tout le monde avait du travail ? Quand on est aux responsabilités, on n’a pas le droit de refuser de le voir. Et il faut avoir le courage de le dire.
Mais pourquoi avoir supprimé l’ISF alors ? Les riches doivent cotiser, non ?
Mais bien sûr ! C’est d’ailleurs massivement le cas et justement, nous n’avons pas supprimé l’impôt sur la fortune, nous l’avons fait changer de logique. L’impôt sur la fortune immobilière a été créé à la place : ceux qui sont rentiers et vivent de leurs propriétés immobilières sans rien faire sont taxés comme avant. Par ailleurs, les intérêts, les dividendes et les plus-values mobilières sont taxés de façon forfaitaire à 30% : l’idée est que ceux qui ont de l’argent soient incités à créer des entreprises et à l’investir dans l’économie productive plutôt qu’à le laisser dormir ou l’investir dans la pierre. Je rappellerai que les ventes de matériaux précieux et l’immatriculation de voitures de sport font désormais l’objet de taxations nouvelles. Qu’on le veuille ou non, il faut que ceux qui possèdent alimentent la caisse commune et qu’ils aient confiance dans le système en créant des entreprises. Si les « riches » s’en vont, qui investira ? C’est désagréable à entendre, peut-être, mais c’est pourtant la vérité. Dans un ménage, celui qui apporte les revenus les plus importants est mis à contribution pour la famille tout entière. S’il s’en va, c’est toute la famille qui s’effondre. S’il va mal, c’est pareil. C’est rageant, c’est irritant peut-être, mais c’est la réalité.
Vos opposants disent pourtant que ce que vous faites ne va pas dans le bon sens…
C’est le rôle des opposants de s’opposer. Mais il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers. Encore mois aux pyromanes comme le font certains, qui pensent forger leur avenir politique sur le malheur humain et sur les événements qui les accompagnent. Surtout dans la période où nous vivons ! L’heure est sérieuse. Et j’invite les gilets jaunes, en responsables de familles, à comparer l’offre politique disponible, c’est-à-dire les solutions concrètes que proposent les uns et les autres. Certains disent : « Il faut nous refermer sur nous-mêmes et vivre entre-nous ». C’est séduisant sur le papier peut-être, mais peu réaliste, voire complètement irresponsable. Quand vous n’attendez rien des autres, ils vous rendent la pareille et n’attendent plus rien de vous. Croyez-vous sérieusement que nous puissions faire le poids, économiquement et militairement, seuls, face aux chinois, aux russes, aux indiens, aux américains ? Nous sommes un tout petit pays, même si nous avons la chance d’être encore puissants du fait de notre histoire. L’Europe est notre voie de salut, c’est une certitude, même si elle doit être réformée ce qui est une évidence également.
D’autres disent qu’il faut prendre aux riches…
Les autres prétendent qu’il « faut tout prendre aux riches » en effet et qu’ainsi tout ira mieux : on a déjà essayé par le passé et on sait bien, malheureusement, que c’est faux. Le problème est en effet que quand il n’y a plus de riches, il n’y a plus aucun moyen de donner une impulsion à l’économie du pays et que la possibilité de le devenir (riche) est interdite : bref que l’on se refuse le progrès collectif. Or, comment se risquer à entreprendre, à essayer d’avancer, à créer de l’emploi et à innover donc, dans un pays ou l’entreprise est suspecte et où la confiance fait défaut ? C’est donc une option très hasardeuse et à très courte vue. Elle est, c’est vrai, très attrayante sur le principe : instaurer un égalitarisme parfait en partageant ce qui existe équitablement, en renonçant à créer quoi que ce soit de plus… Mais alors, il faudrait accepter de ne plus avoir d’écran plat, de téléphone portable, de grande distribution, d’hôpitaux performants pour nous soigner et de renoncer aux progrès technologiques.
Plus grave encore, il faudrait accepter, aussi, le fait d’être très rapidement dépassé par tous ceux qui continueront à avancer dans les autres pays… Or ce n’est pas du tout ce que demandent les gilets jaunes manifestement. Ils veulent que la France reste dans les premiers rangs. Un grand pays, fier de ce qu’il est.
Quelle est donc la voie que vous empruntez alors ?
Nous essayons de gérer dans l’intérêt du pays tout entier, en bons pères de famille comme on dit, c’est-à-dire en prenant en considération les intérêts contradictoires des uns et des autres dans une vision collective. De rester nous-mêmes en étant ouverts sur l’extérieur et associés aux européens, de partager au mieux ce qui peut l’être en se disant qu’il faut créer de la richesse pour être à même de la partager encore et continuer à avancer pour ne pas être dépassé par l’effort des autres. Ce n’est pas le paradis sur terre, certes. Mais ce n’est pas l’enfer non plus. Il faut et c’est urgent, arrêter de croire que ce que nous avons nous est dû. Il nous faut oeuvrer collectivement à le préserver pour le développer. Nous autres français sommes fiers, forts et armés pour relever les défis qui s’offrent à nous. Les équipes qui travaillent au sommet de l’Etat le font sérieusement, avec compétence, et avec le souci d’améliorer notre avenir commun.
Il ne reste qu’à attendre patiemment alors ?!
Ce n’est pas ce que je dis. Cela n’interdit pas, bien évidemment, de tirer la sonnette d’alarme lorsque les arbitrages donnent le sentiment d’être trop déséquilibrés. En ce sens, les préoccupations légitimes peuvent – et doivent – être entendues. Pour l’exécutif et pour nous, élus de la majorité, il s’agit dans l’immédiat de faire mieux avec le même argent et de trouver le moyen d’en créer. Nous avons un Chef d’Etat qui, loin des excentricités que j’évoquais chez d’autres, a un sens aigu des responsabilités. Il a une vision claire du présent et de l’avenir : car dans le même temps, il pense à la création d’entreprises qui, seule, peut générer de l’emploi et de la richesse, mais aussi aux défis qui se dressent devant nous. Il aime la France, les français et serait, n’en doutez pas une seule seconde, le plus heureux des hommes si le travail entrepris réussissait. C’est d’ailleurs le cas de tous les chefs d’Etats qui se sont succédé dans notre pays sous la Vème république, même s’ils ont eu des résultats inégaux. Nous devons faire face aux défis qui nous sont proposés.
Lesquels précisément ?
Je ne vais employer de langue de bois : le monde change à la vitesse « grand V ». Il est numérique. Il est connecté. Il n’a plus besoin d’usines comme jadis. Les boulots vont se transformer. Le climat, lui- même, change. Ce n’est pas du cinéma, ce n’est pas la fake new de la décennie : c’est du sérieux. Alors, de deux choses l’une : ou bien on y va avec détermination, ou bien on refuse l’obstacle. Demain – pas dans mille ans ! – dans dix-quinze ans, l’économie aura complètement changé. Le travail, dans le sens où nous l’entendons, va muter. La compétition va se durcir encore. Soit on s’adapte, avec enthousiasme, détermination et esprit de groupe, fiers de ce que nous sommes, fiers de nos acquis, soucieux de les améliorer encore, soit on subit et nous deviendrons un pays sous-développé. C’est là un autre atout majeur du Chef de l’Etat : il gère le quotidien, mais regarde l’avenir avec lucidité. Aucun autre ne l’a fait avant lui.
Soit, mais concrètement, ça signifie quoi pour un territoire comme le nôtre ?
Sur le littoral et dans l’arrière pays, nous n’avons pas ou peu d’entreprises. Il nous faut donc jouer à plein avec nos atouts : soigner le littoral et repenser son occupation en fonction des évolutions climatiques dont nous savons pertinemment qu’elles ont commencé. Il nous faut diversifier nos activités de bords de mer. Il nous faut améliorer l’accessibilité de nos territoires et faciliter les déplacements (autour du bassin de Thau notamment), les conditions d’accueil et de formation de nos jeunes, pour qu’ils y restent et qu’ils aient un avenir en vue pour y rester. Cela veut dire aussi qu’il nous faut être reliés au très haut débit pour pouvoir participer à plein à l’économie numérique. Mais en même temps, il nous faut améliorer nos attraits dans l’arrière pays : diversifier nos activités culturelles, accélérer le développement des circuits courts, apprendre à mieux recevoir nos visiteurs, à nous occuper de nos aînés qui sont de plus en plus nombreux… Bref, à faire en sorte que l’on ait envie de vivre sur nos territoires, en repensant leur attractivité. On vient chez nous parce qu’il y fait beau pour les vacances et qu’on peut y vieillir sereinement, au soleil. Il nous faut créer l’intérêt à y entreprendre, à y vivre une vie saine, à y construire un projet de société tourné vers l’avenir.
Beaucoup de « il faut » en somme…
Oui mais justement, sur chacune des thématiques que je viens d’évoquer, nous sommes déjà au travail. Le chantier est déjà ouvert sur tous les fronts. Et pour être honnête, ce travail n’a pas commencé avec nous, il avait été entrepris avant. Nous, nous sommes en train de le faire à une vitesse plus soutenue, ou plus exactement, de l’orchestrer avec un but précis à atteindre, en collaboration avec les élus locaux qui savent très bien que tout ce que je dis ici est vrai et vérifiable. Encore une fois, le défi est de taille : il s’agit, tout en gérant aujourd’hui, de construire demain. Pour nous et pour nos enfants. Personnellement, j’y mets toutes mes forces. Ceux qui ont mieux à proposer doivent structurer leurs idées pour les présenter aux électeurs aux prochaines élections. Les électeurs choisiront. C’est cela la démocratie. Et c’est en cela que les revendications des uns et des autres peuvent être légitimes. Ensemble, nous pouvons réussir. J’y crois. Et il nous faut y croire.
Nous sommes donc condamnés à réussir le libéralisme économique en définitive…
On ne peut pas changer de direction de façon crédible si le bateau coule. C’est ma seule certitude. Raison pour laquelle il nous faut nous mobiliser sur l’existant et c’est ce que nous faisons. Je crois en revanche que nous passerons, dans les décennies qui viennent, à une société plus apaisée, moins consommatrice, ou la relation au travail sera entièrement renouvelée et que nous allons profondément changer dans nos façons de vivre. Mais nous n’aurons de choix et d’alternatives que si nous sommes suffisamment forts pour que d’autres ne les fassent et ne les pensent pas pour nous. C’est le but ultime de mon engagement. Que nous restions unis et maîtres de notre destinée. Que nous laissions nos enfants seuls juges de ce que devra être la leur.