HERAULT - Filière pêche – Pourquoi n’y-a-t-il (presque) plus de poissons en Méditerranée ?
Plusieurs quotidiens régionaux et/ou nationaux se sont fait l’écho de la récente parution du…
Plusieurs quotidiens régionaux et/ou nationaux se sont fait l’écho de la récente parution du rapport Planète Vivante 2016 du WWF nous informant de l’inquiétante disparition des populations de vertébrés – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – entre 1970 et 2012. Alors que cette publication alarmante met plus particulièrement l’accent sur l’impact de notre système alimentaire – l’un des premiers facteurs de dégradation des habitats et de surexploitation des espèces (surpêche par exemple), de pollution et d’érosion des sols (agriculture intensive) –, l’Europe, quant à elle et depuis l’adoption de sa nouvelle politique commune des pêches (PCP) en 2014, ne cesse de vitupérer la surpêche en Méditerranée et accuse sans vergogne les pêcheurs méditerranéens d’être responsables de la disparition des ressources halieutiques de cette mer.
Cet article se propose de démêler le vrai du faux concernant la situation particulière du golfe du Lion afin de saisir les enjeux qui se cache derrière cette politique après plus de deux ans d’acharnements iniques envers une filière qui tente difficilement de survivre et de rétablir ainsi quelques vérités éludées par des technocrates irresponsables et incompétents (appelons un chat un chat). Il propose aussi une autre réponse, moins simpliste que celle qui nous est servie par des « experts qui n’ont jamais vu la mer », à la question cruciale que bon nombre d’entre nous se pose : pourquoi n’y a-t-il (presque) plus de poissons en Méditerranée ?
Citations :
« Comme Rachel Carson l’a précisé dans une de ses dernières conférences, cette contamination constitue une expérience sans précédent : “Nous exposons des populations entières à des produits chimiques dont l’expérimentation animale a prouvé la grande toxicité et, bien souvent, les effets cumulatifs. Maintenant, cette exposition commence dès la naissance, voire avant, et, à moins que nous ne changions de méthodes, elle continuera tout au long de la vie des individus. Personne ne sait quelles en seront les conséquences, car nous ne possédons pas d’expérience antérieure pour nous guider”. » Al Gore, vice-président des États-Unis, préface du livre L’Homme en voie de disparition ? de Theo Colborn(1996).…
« L’Homme en voie de disparition ? est un livre d’une importance cruciale qui nous oblige à nous poser de nouvelles questions sur les produits chimiques de synthèse que nous avons répandus à la surface de la Terre. Au nom de nos enfants et petits-enfants, nous devons trouver des réponses de toute urgence. Chacun d’entre nous a le droit et le devoir de savoir. » Ibid.
« Nous sommes devenus les cobayes involontaires d’une vaste expérimentation que nous avons nous-mêmes créée. »
Theo Colborn
Après de très longs atermoiements, la Commission européenne vient tout juste de donner une définition très controversée des perturbateurs endocriniens[i] [ii] [iii].
Aussi anecdotique que cette information puisse paraître au profane, elle n’en témoigne pas moins, a minima, du « laxisme » et du « favoritisme » de l’Union européenne envers les multinationales telles que Monsanto et Bayer (dont la fusion a été annoncée dernièrement), Syngenta et ChemChina (qui ont également fusionné), Dupont et Dow Chemical (idem), BASF, etc. qui déversent leurs poisons dans notre environnement et notre alimentation depuis le début de la « révolution verte[iv] ».
Mais que désigne-t-on exactement sous le terme de « perturbateurs endocriniens » et quel rapport ces derniers entretiennent-ils avec les ressources halieutiques et plus généralement la biodiversité (voire la santé humaine) ?
Avant de vous fournir une définition officielle des « perturbateurs endocriniens », je vais vous résumer en très peu de mots ce que cette expression cache en réalité afin que tout un chacun puisse bien comprendre l’immense enjeu de la problématique présentée ici : les perturbateurs endocriniens ne sont ni plus ni moins que la dénomination du plus grand scandale sanitaire que l’humanité ait connu à ce jour. (D’où le choix des citations choisies pour illustrer cet article.)
Au cas vous n’auriez pas tout à fait saisi la portée de cette affirmation, je vous conseille de la relire à nouveau.
Maintenant que la « bombe » est lâchée, venons-en aux faits et à la définition des perturbateurs endocriniens.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) chargée d’évaluer les produits chimiques avant leur mise en marché nous indique que : « De manière générale, il s’agit de substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle qui peuvent interférer avec le fonctionnement des glandes endocrines, organes responsables de la sécrétion des hormones. Cette action peut passer par différentes voies :
- Le perturbateur endocrinien peut mimer l’action d’une hormone naturelle et entrainer ainsi la réponse due à cette hormone.
- La substance peut empêcher une hormone de se fixer à son récepteur et ainsi empêcher la transmission du signal hormonal.
- Enfin la substance peut perturber la production ou la régulation des hormones ou de leurs récepteurs[v]. »
Par ailleurs, l’agence précise et souligne elle-même un détail d’une extrême importance pour le sujet qui nous concerne ici, à savoir que : « l’ANSES recommande de ne pas distinguer l’identification d’un PE pour l’Homme ou l’environnement[vi]. »
Qu’est-ce à dire en réalité ?
Et bien que du point de vue hormonal, l’homme ne se différencie pas de la plupart des animaux vertébrés, voire même de certains invertébrés. Autrement dit, pour les scientifiques indépendants (c’est-à-dire, n’ayant pas de conflits d’intérêts avec l’industrie chimique, je précise), la plupart des différentes malformations, anomalies et/ou maladies que l’on constate sur les animaux et les êtres humains ont pour même origine un dérèglement du système hormonal que les substances chimiques viennent perturber.
C’est ainsi que les scientifiques, outre les habituels animaux de laboratoire, utilisent soit des batraciens (cf. Tyron Hayes, un biologiste américain de réputation mondiale travaillant à l’Université de Californie, Berkeley) ou bien… des poissons. Tel est le cas notamment de la méthode expérimentale que viennent de développer l’INERIS et l’INSERM[vii].
Donc, si nous observons des perturbations chez l’homme et/ou chez l’animal qui impliquent des problèmes de croissance, de santé, de comportements, d’intelligence, de reproduction, etc. ou de façon plus générale un dérèglement quelconque de nos différents métabolismes, il y a de très fortes présomptions pour que cela provienne d’un dérèglement hormonal.
La question qui se pose alors est de savoir s’il existe au moins un problème, que les scientifiques ont déjà observé – chez l’homme ou chez l’animal –, qui pourrait expliquer la disparition du poisson tel que tous les pêcheurs méditerranéens le constatent chaque jour.
La réponse est effectivement oui. Et il ne manque pas d’études scientifiques pour le démontrer, comme nous allons pouvoir le constater.
Hécatombe dans le règne animal :
Concernant les animaux, il existe des milliers d’études qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, commentent, décrivent, analysent, etc. des phénomènes bizarres, sans liens apparents, impliquant la disparition de nombreuses espèces. Citons pour exemple :
- 1952, côte ouest de la Floride : des scientifiques observent des oiseaux aux comportements étranges, ils ne semblent plus avoir de libido et se désintéressent de l’activité sexuelle lors de la période de reproduction ;
- fin des années 50, en Angleterre : les loutres sont décimées ;
- milieu des années 60, le lac Michigan : les visons deviennent stériles ;
- 1970, sur le lac Ontario : un pourcentage anormal d’oisillons naît difforme ou meurt en bas âge ;
- début des années 70, dans le Park national de Channel Islands sur la côte sud de la Californie : des femelles de goéland nichent ensemble et adopte des comportements « homosexuels » ;
- années 80, sur le lac Apopka en Floride : des chercheurs découvrent des alligators au pénis atrophié après avoir constaté une très forte proportion d’œufs non viable ;
- 1988, en Europe du Nord : une hécatombe de phoque se produit ;
- début des années 90, en mer Méditerranée : les dauphins sont victimes d’un virus et meurent par milliers ;
- etc.
Une scientifique, Theo Colborn, tentera de trouver le lien entre tous ces évènements documentés par des milliers d’études, rapports et autres enquêtes qu’elle décortiqua, répertoria et classa selon plusieurs critères pendant des années. Peu à peu, une évidence émergea tant et si bien qu’une intuition se fit jour et la nécessité d’organiser une conférence avec divers spécialistes d’horizons différents devint inéluctable. C’est ainsi qu’aidée d’un confrère avec qui elle partage ses idées, elle réunit, du 26 au 28 juillet 1991, 21 chercheurs – des toxicologues, des zoologistes, des anthropologues, des biologistes, des endocrinologues – au centre de conférences de Wingspread, dans la petite ville de Racine, dans le Wisconsin. Chacun, dans leur domaine, va apporter une pièce du puzzle.
« C’est au cours de ce colloque qu’est progressivement apparue l’idée que l’ensemble de ces phénomènes dus à différentes substances relevait d’un même mécanisme, l’action mimétique des hormones naturelles par des produits chimiques présents dans l’environnement et conduisant à des perturbations… » écrit le Sénateur Gilbert Barbier, auteur du rapport intitulé Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution remis le 12 juillet 2011 à l’Assemblée nationale (n° 3662) et au Sénat (n° 765).
« À l’issue de la conférence, rajoute-t-il, les participants ont publié une déclaration qui est à la source des nombreux développements d’aujourd’hui sur les perturbateurs endocriniens. » Cette déclaration dite de Wingspread et intitulée « Altérations du développement sexuel induites par les produits chimiques : le sort commun des animaux et des hommes » est à lire sur ce même rapport sénatorial.
Ce qui nous conduit à dire un mot, avant de conclure, sur les perturbations endocriniennes affectant les capacités reproductives de l’homme.
« Mâles en périls[viii] » :
C’est un professeur danois d’endocrinologie et de pédiatrie, Niels Skakkebaek, qui crée la stupeur dans le monde scientifique en déclarant, lors d’un colloque organisé par l’OMS en 1991, qu’entre 1938 et 1990 deux paramètres importants permettant de mesurer la capacité spermatique de l’homme (test de fertilité) ont subi une altération importante. Le nombre moyen de spermatozoïdes par millilitre (ml) pour un éjaculat est ainsi passé de 113 millions à 66 millions par ml et le volume par éjaculat a baissé dans le même temps passant de 3,40 ml à 2,75 ml.
L’étude est publiée en 1992 et de nombreux scientifiques s’attellent alors à la tâche pour démentir les allégations de Niels Skakkebaek. Les recherches entreprises depuis ont non seulement confirmé la décroissance de la fertilité humaine d’environ 2% par an, mais elles ont également mis en évidence la perte de motilité et un taux anormal de malformation des spermatozoïdes.
Cela inquiète-t-il pour autant les décideurs publics même lorsque ceux-ci apprennent par l’OMS[ix] que dans certains pays occidentaux, 20 à 40% des jeunes de 20 à 40 ans sont stériles ?
Pas plus que cela si l’on en juge d’après la définition que la Commission européenne vient de formuler au sujet des perturbateurs endocriniens.
Comment comprendre cette situation ubuesque ?
Jacqueline Verret, une toxicologue de la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis qui sait de quoi elle parle, écrit dans son livre Eating May be Hazardous to your Health (Manger peut être dangereux pour votre santé) : « Ce n’est pas que les décideurs gouvernementaux soient corrompus, mais leur sens du devoir est constamment érodé par leurs contacts avec l’industrie et leur souci pour les effets à court terme sur l’industrie plutôt que pour les effets à long terme sur les consommateurs. »
Nous pouvons reconnaître dans cet état de fait, tout le poids du lobbying exercé sur nos représentants au détriment de l’intérêt des citoyens. Autrement dit, nous mésestimons encore grandement les effets délétères des « relations publiques » qu’entretiennent les multinationales avec nos dirigeants.
Lorsque l’on étudie l’histoire des perturbateurs endocriniens depuis leur récente découverte et leur non-prise en compte par les pouvoirs publics et les instances technocratiques chargées de protéger les citoyens consommateurs que nous sommes, comme en atteste la position de l’Union européenne vis-à-vis de cette problématique, nous ne pouvons qu’être dubitatif. D’autant que le coût économique sur la santé publique et l’environnement de cet empoisonnement quotidien de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons ou des aliments que nous mangeons a récemment été évalué à 157 milliards d’euros pour l’Europe[x]. Un montant incomplet qui ne tient pas compte des coûts liés aux atteintes et à la perte de notre biodiversité.
Ainsi, pour sauver l’activité de pêche artisanale comme elle se pratique en Méditerranée, il serait plus que temps que les décideurs européens et nationaux cessent de « frayer » avec les représentants de l’industrie chimique.
Enfin, pour répondre à la question que pose cet article et contrairement à ce qu’affirme le commissaire européen à l’Environnement, aux Affaires maritimes et à la Pêche, Karmenu Vella, si les poissons se raréfient dans les eaux méditerranéennes, c’est avant tout en raison de la pollution qui y règne en lieu et place de la surpêche qu’il dénonce, car comme exposé à notre ministre de l’environnement, Ségolène Royal, dans un récent courrier : « nous sommes les témoins passifs et impuissants d’une stérilisation massive de la mer Méditerranée dont les premiers effets se font largement sentir dans nos propres eaux territoriales[xi]. »
Sauf à être d’une exceptionnelle mauvaise foi, nous ne pouvons plus aujourd’hui ignorer l’origine de cette stérilisation massive.
Philippe Vergnes
Association Agir pour la Méditerranée et l’Environnement
Page Facebook : @amemediterranee
[i] Roussel, Florence (2016, juin), « Les critères de la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens découlent d’une logique déroutante », sur le site actuenvironnement.com. Consulté le 23 août 2016.
Extrait : « La Commission européenne n’avait aucune raison de repousser la publication de la définition des perturbateurs endocriniens selon sept chercheurs européens et américains. L’un d’eux Rémy Slama, directeur de recherche à l’INSERM, détaille leur analyse au regard de la définition proposée le 15 juin. »
[ii] Roussel, Florence (2016, juillet), « Perturbateurs endocriniens : la France ne veut pas de la définition proposée par l’Europe », sur le site actuenvironnement.com. Consulté le 23 août 2016.
Extrait : « Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire, la définition proposée par la Commission européenne aboutirait à qualifier peu de substances comme perturbateurs endocriniens. L’ANSES propose une autre approche. »
[iii] Horel, Stéphane (2016, juin), « Perturbateurs endocriniens : tollé contre Bruxelles », sur le site LeMonde.fr. Consulté le 23 août 2016.
[iv] Le terme « révolution verte » désigne le bond technologique réalisé en agriculture au cours de la période 1960-1990, à la suite d’une volonté politique et industrielle, appuyée sur les progrès scientifiques et techniques réalisés dans le domaine de la chimie et des engins agricoles durant la Première Guerre mondiale et poursuivis durant l’entre-deux-guerres.
Cette politique combine trois éléments :
- les variétés sélectionnées à haut rendement ;
- les intrants, qui sont des engrais ou produits phytosanitaires ;
- l’importance de l’irrigation.
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[x] Le journal du CNRS (2015, avril), « Perturbateurs endocriniens : le coût de l’inaction », sur le site lejournal.cnrs.fr. Consulté le 30 août 2016.
[xi] Courrier de l’association Agir pour la Méditerranée et l’Environnement du 24 août 2016 adressé à Mme Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, expédié à l’ensemble de nos représentants députés et sénateurs et accompagné d’une lettre ouverte à leur attention.
[v] ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (2014, mai), « Perturbateurs endocriniens », sur le site anses.fr. Consulté le 30 août 2016.
[vi] ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (2016, juillet), « L’ANSES se prononce sur les critères d’identification des perturbateurs endocriniens », sur le site anses.fr. Consulté le 30 août 2016.
[vii] INSERM (2012, juin), « Un poisson pour détecter des contaminants perturbateurs endocriniens », sur le site inserm.fr. Consulté le 30 août 2016.
[viii] « Mâles en péril » est le titre d’un reportage diffusé pour la première fois le 25 novembre 2008 sur la chaîne documentaire ARTE et rediffusé le 8 juillet 2011.
[ix] PNUE/OMS (2013), Global assessment of the state-of-the-science of endocrine disruptors, sur le site de l’OMS. Consulté le 30 août 2016.