Interview, Rémy Lévy, du Barreau de Montpellier aux parquets du handball français : « Je vais continuer à me battre »
Le bâtonnier du Barreau montpelliérain, dont le mandat de deux ans vient de s’achever au 1er janvier, vient de prendre la vice-présidence de la Fédération française de Handball. Passionné de sport et de droit, il se donne une double mission : continuer à accompagner le conseil de l’Ordre des avocats de Montpellier, et participer au développement du deuxième sport de France. Autre objectif, intégrer la Conférence des Bâtonniers pour contribuer activement à la défense de la profession d’avocat et à son avenir. Rencontre…
HJE : Votre mandat est clos depuis le 1er janvier 2021, mais votre engagement professionnel continue…
R.L. : « En tant que past bâtonnier, je vais continuer à apporter mon aide et mon expérience sur le suivi des dossiers en cours, pour accompagner le nouveau bâtonnier, qui a un travail important à mener. Je suis très attaché au trait d’union entre les générations. J’ai été réélu au Conseil en tandem avec Doaä Benjaber, qui était présidente de l’Union des Jeunes Avocats, un beau symbole.
Notre jeunesse est la force vive de la profession. Il faut vraiment l’aider et l’accompagner dans cette période difficile. Je serai toujours membre du Conseil de l’ordre et je vais essayer, lors des élections qui auront lieu en janvier, d’obtenir un mandat national en intégrant le Bureau de la conférence des Bâtonniers, qui travaille beaucoup sur les problèmes de la profession et participe au CNB avec le collège ordinal. J’aime cette dimension ordinale.
Je pense qu’aujourd’hui, l’ordinalité est un peu menacée, alors qu’elle est vraiment au service des confrères. La perte de l’ordinalité serait pour moi une catastrophe pour l’exercice de la profession. Il n’y a rien de plus beau que d’être au service des confrères et consœurs ; d’avoir cette proximité, cette spontanéité. Je vais continuer à me battre pour qu’elle continue à s’exercer localement et sur le plan national.
HJE : Que retenez-vous de ce mandat atypique, entre grèves de la profession et Covid-19 ?
Me Rémy Lévy : « Effectivement cela a été un mandat un peu spécial, mais comme pour tous les bâtonniers qui ont eu à gérer cette actualité inédite. Avec deux années mouvementées ! Mais quand on aspire à exercer des responsabilités, il faut être prêt à les exercer quelles que soient les circonstances. Il y a toutefois certaines choses qu’il faut se remémorer.
Les difficultés avaient commencé au 1er semestre 2019 avec une première réforme des procédures très pénalisante et très contraignante pour la profession. Et in fine des objectifs qui n’ont pas été atteints. La réforme de la procédure d’appel voulait accélérer la résolution des dossiers, et nous avons depuis des dates plus lointaines qu’avant ; la réforme des procédures en première instance est difficile à mettre en œuvre car liée à un outil numérique qui n’est pas du tout au point… Nous avons manifesté à Paris contre ces réformes. »
HJE : Le second semestre 2019 a été occupé par la réforme des retraites…
R.L. : « Oui effectivement, avec six mois de bataille juridique pour essayer de garder notre fonctionnement avec un système autonome et pérenne… Cette réforme s’est faite sans nous. Mais cela devrait être à nouveau un sujet politique brûlant à un an des présidentielles. Pour l’heure, le coronavirus a tout emporté. Continuons ce bilan de mandat : en janvier 2020, nous avons mené une grève très dure avec une réaction unitaire de la profession qui m’a impressionné ! »
HJE : La surprise est que la profession soit allée au-delà de l’image consensuelle de l’avocat, en menant une grève dure et intransigeante…
R.L. : « C’est vrai, avec une confrontation de plus de 5 semaines et un arrêt total de l’activité. Pour tout vous dire, j’ai été très fier de cette réaction, parce que notre profession avait été maltraitée, avec un refus total d’être écoutée. Par ce mouvement, nous avons retrouvé notre fierté et notre dignité. Après, la Covid a pris la place, avec les conséquences que l’on sait, dont l’arrêt de l’activité judiciaire.
HJE : Comment l’Ordre a-t-il assuré sa mission depuis l’arrivée de la crise sanitaire ?
R.L. : « D’un point de vue gestion de l’Ordre, nous avons bien résisté et avons réussi à nous organiser. La vie des Carpa a continué, le conseil de l’Ordre est resté très disponible au service des confrères. Nous nous sommes battus pour une reprise de l’activité, qu’elle soit civile, prud’homale, commerciale… On s’est également battus pour maintenir la présence de l’avocat sur le volet pénal, en garde à vue, aux audiences de comparution immédiate… en saisissant les pouvoirs publics pour qu’ils assurent les mesures sanitaires en prison, dans les commissariats, dans les salles d’audience. Nous y sommes parvenus. »
HJE : La reprise d’activité est-elle là pour votre profession ?
R.L. : « Il a fallu se battre pour que cette reprise se fasse avant le début de l’été et que l’on ne se retrouve pas avec une période d’inactivité de plus de six mois, compte tenu du traditionnel problème des vacations judiciaires. Nous avons réussi, même si l’on n’est pas dans le volume d’activité d’avant la crise. Mais globalement, l’activité a bien repris. On arrive à entretenir avec les juridictions des relations normales et pratiques pour que ce service public ne s’arrête pas, ne s’éteigne pas. Ces deux années ont nécessité beaucoup d’énergie, d’adaptation et de temps, par téléphone ou en visioconférence.
Je dois dire que j’ai pu compter sur des services de l’Ordre complètement impliqués, dévoués et performants durant cette période. Cela nous a permis de rester au service des confrères et de traverser cette période. Je sais aussi qu’avec Nicolas Bedel de Buzareingues, le nouveau Bâtonnier, et le conseil, ce service sera parfaitement assuré, dans la continuité des actions de l’Ordre au service des avocats du Barreau et du citoyen justiciable. »
HJE : Certains cabinets et avocats étaient déjà en difficulté. Qu’en est-il à ce jour ?
R.L. : « La Covid-19 n’est pas à elle seule la cause des problèmes économiques, ni la grève d’ailleurs. Une partie de la profession était déjà en difficulté par une diminution de l’activité, un nombre important d’avocats sur le marché, et des périodes d’attente que l’on retrouve toujours en période de crise, sur la consommation, la prise de décision des particuliers, et dans l’entreprise qui, en temps de crise, ne se tourne pas forcément vers les procédures contentieuses. Beaucoup d’entreprises et de particuliers en difficulté se préoccupent d’abord de leur survie économique. La reprise d’activité se fait lentement. »
HJE : La profession doit aussi faire face à une évolution
des pratiques, notamment numériques…
R.L. : « La crise doit aussi permettre de se poser un peu et de réfléchir aussi. La profession doit en effet s’adapter à de nouvelles activités développées depuis quelque temps : règlements alternatifs des litiges, présence plus en amont dans le conseil pour sortir de cette sempiternelle image de l’avocat qui n’intervient qu’en cas de contentieux, c’est-à-dire uniquement devant le tribunal. Dans notre communication, on essaie de gommer cette image. Un sondage précisait il y a peu que 84 % des Français ne consultent un avocat que dans le cadre d’une procédure contentieuse ! »
HJE : L’image de l’avocat doit évoluer vers le conseil…
R.L. : « A l’image de ce qui se fait en Europe ! Le marché du contentieux se restreint de jour en jour, par le nombre d’affaires, le nombre d’avocats, et une complexité des procédures qui sont faites, quels que soient les objectifs avoués par la Chancellerie, pour fermer l’accès aux tribunaux et décourager les plaideurs en les invitant à chercher des solutions amiables et en leur laissant penser que, de toute façon, la solution contentieuse ils ne l’auront pas, ou seulement dans un délai qui les dissuade d’agir. »
HJE : Qu’en est-il des cabinets d’avocats ?
R.L. : « Dans l’immédiat, il faut renforcer leur trésorerie. En définitive, nous allons sortir de l’année 2020 traversée grâce aux aides, peu nombreuses par rapport aux autres acteurs économiques. Mais l’effet retard risque d’être fort l’année prochaine. Une réflexion est menée en ce sens, mais il faut vraiment qu’un Plan national se concrétise, avec ce que je préconise pour ma part : un effacement des charges pour l’année 2020. Je vois mal aujourd’hui comment les avocats avec cette crise en 2020 et une reprise d’activité très lente en 2021, pourraient à la fois payer l’arriéré des charges, et l’encours de 2021. Il va falloir être très vigilant pour aider les confrères.
HJE : Vous avez déjà pris une mesure forte…
R.L. : « Nous avions décidé avec le conseil de l’Ordre d’employer une partie des fonds propres, dans la limite d’un million d’euros, pour exonérer les confrères et les consœurs de la cotisation du premier semestre et du paiement de la prime d’assurance responsabilité civile. Je pense que ce geste a été apprécié par les confrères. Nous sommes le seul Barreau de France à l’avoir fait. Nous sommes présents et allons surveiller de près l’évolution. Mon successeur est également très mobilisé sur cet état de veille. Nous allons nous battre aussi au plan national pour mener notre réflexion dans la mise en place de ces actions. »
HJE : La prestation de serment du 18 décembre a également été inédite dans sa forme…
R.L. : « Je tiens à remercier tout particulièrement le premier président et le procureur général, qui ont permis à cet événement de se tenir, en configuration minimaliste, par groupe et dans le respect des exigences sanitaires. Des ordonnances prises dès le mois de mars prévoyaient déjà la possibilité d’une prestation de serment par écrit. L’inquiétude était grande chez les futurs avocats, et je les comprends.
La prestation de serment est un acte fort de notre profession et un événement marquant dans une vie. Cela m’a replacé dans leur contexte, puisque j’ai prêté serment un 18 décembre, il y a 40 ans maintenant. Une prestation, c’est aussi des paroles fortes qui nous accompagnent tout au long de notre activité. J’ai toujours pensé qu’elle était importante. Si la famille n’a pu être présente, la prestation a été entièrement filmée, et les 34 impétrants montpelliérains disposent d’un lien pour partager leur émotion avec leurs proches. »
HJE : Un autre mandat concerne le sport : votre vice-présidence à la Fédération française de Handball
R.L. : « Vous savez que le sport est ma deuxième passion. A l’occasion du renouvellement de la Fédération de Handball – dont le mandat est calqué sur la durée olympique, sachant qu’il intègre deux J.O : ceux de Tokyo 2021 et de Paris 2024 – Philippe Bana, le directeur technique national, m’a proposé un poste, un peu taillé sur mesure : monter au niveau supérieur en passant de la ligue nationale de handball, dont j’étais vice-président, à la vice-présidence de la fédération.
Le mandat couvre tout le handball professionnel – garçons et filles – en lien avec la ligue et les questions de professionnalisme : la structuration économique des clubs – en ce moment c’est compliqué – l’équipe de France, l’évolution de l’arbitrage, la mise en commun de moyens comme la retransmission télévisée et, ce qui reste mon cœur de métier, le juridique, qui est un gros chantier au niveau fédéral avec des volets de droit commercial, de droit administratif avec, en prime, la présidence de la cellule contre les violences sexuelles, sujet extrêmement sensible actuellement. C’est donc un mandat très complet, passionnant, avec en ligne de mire les JO de Paris 2024. »
HJE : Le handball est le deuxième sport collectif en France. On le sait peu…
R.L. : « Il est vrai que le hand français souffre d’un certain déficit de popularité, bien que son palmarès plaide l’excellence. Nos filles viennent d’être sacrées vice-championnes d’Europe. En cumulé, nos équipes masculines et féminines ont disputé 21 finales européennes et mondiales consécutives. C’est exceptionnel.
Nous avons un très beau sport avec un vrai et bel état d’esprit. Avec des clubs phares comme Paris, Nantes, Montpellier, Aix, Nîmes, Chambéry – pareil chez les filles avec Brest, Metz, Nantes – toujours bien placés dans les derniers carrés européens. Mais aujourd’hui, il nous faut traverser la crise qui touche tous les sports, et traverser cette saison sans trop de dégâts financiers. C’est un beau challenge. Le handball doit sortir de sa modestie, valoriser son activité et se faire reconnaître en tant que sport de première importance. »
HJE : Comment les clubs se financent-ils ? Les droits télé sont-ils aussi prépondérants que dans le football ?
R.L. : « Pas du tout. Le handball, si je puis dire, est dans une vraie économie. Même si le contrat des droits télé avec Being sports, qui est l’un des plus importants d’Europe, représente 4 millions d’euros par an, pour un club comme Montpellier, c’est 200 000 euros d’attribution sur un budget global de 8 millions. La part est donc faible. C’est bien différent du football ou du rugby d’ailleurs, mais quand on voit les problèmes qui touchent le ballon rond actuellement, je me dis que le choix d’une économie vraie est sans doute le bon. »
HJE : Le football fait face à une crise financière sans précédent. Qu’en est-il du handball ?
R.L. : « Nos clubs de hand se financent à 45 % par des partenariats publics – subventions et prestations comme la présence maillot ou pour des actions associatives sociales sur les territoires et dans les écoles et quartiers notamment – et avec 55 % de ressources privées, dont 25 % sont issues de la billetterie, le reste étant lié aux partenariats et au marketing. Dans ce contexte de crise sanitaire, quelques mesures ont permis de limiter les pertes des clubs, comme le chômage partiel et l’exonération des charges patronales. Mais à mi-championnat, il y a une grande inquiétude.
Chacun espérait rebondir sur la deuxième partie de saison. Les perspectives aujourd’hui montrent que les évolutions de la crise sanitaire ne sont pas très positives. La problématique va se poser plus fortement fin janvier, et les clubs devront se battre pour pouvoir terminer la saison. Il y a aussi beaucoup de matchs en retard, entre les rencontres européennes et nationales reportées pour cause de Covid. Il faut donc que les clubs soient innovants et solidaires, parce que certains pourraient rester sur le bord de la route, et ce n’est pas la volonté des instances du handball français. On espère aussi pouvoir annoncer courant janvier le retour des compétitions dans les divisions inférieures et chez les jeunes.
Propos recueillis par Daniel CROCI