Jean-Marie Beney, procureur général : "2020 sera surtout consacrée à la réforme de la justice"

Nommé officiellement procureur général près la cour d’appel de Montpellier le 14 octobre 2019,…

Nommé officiellement procureur général près la cour d’appel de Montpellier le 14 octobre 2019, puis installé dans ses nouvelles fonctions le 31 octobre, Jean-Marie Beney, 62 ans, livre ses premières analyses sur les contentieux dans la région et le fonctionnement de la cour d’appel et du ressort. Il met également en perspective les priorités pour 2020.  

Quelles ont été les grandes étapes de votre carrière ?

“Mon premier poste en 1982 a été celui de juge d’instruction au tribunal de grande instance (TGI) de Reims. Puis de 1984 à 1986, j’ai fait un passage au ministère de la Justice, ayant d’abord comme rôle de centraliser les informations sur les affaires de terrorisme qui restaient à l’époque dans les différentes juridictions par compétence territoriale, pour être nommé ensuite chef de cabinet du directeur des affaires criminelles.

J’ai ensuite mené pratiquement toute ma carrière du côté du ministère public, alternant de 1986 à 2006 les postes entre parquets de TGI (Pontoise, Nanterre, Paris) et parquets généraux de cours d’appel (Orléans, Versailles, Rouen). Appelé comme directeur de cabinet du ministre de la Justice Pascal Clément d’octobre 2006 à avril 2007, j’ai participé à l’élaboration des lois du 5 mars 2007 avec notamment, pour les procédures pénales, la création des pôles d’instruction. J’ai ensuite exercé la fonction de procureur général près la cour d’appel de Dijon de 2007 à 2013 puis de celle de Metz de 2013 à octobre dernier. Par ailleurs, je suis professeur associé à l’université de Bourgogne.

Parmi les principaux dossiers qui ont jalonné ma carrière figure l’affaire Grégory Villemin, enfant de 4 ans noyé dans la Vologne en octobre 1984. Alors en poste à Dijon et ayant été saisi en 2007 par les parents Villemin d’une demande de réouverture, j’ai été amené à requérir en ce sens devant la chambre de l’instruction, et la procédure a été relancée. A Metz, la principale affaire a été la suite du dossier concernant l’homicide, en 1986, de 2 enfants de 8 ans à Montigny-lès-Metz impliquant le tueur en série Francis Heaulme. Ce sont là les 2 affaires emblématiques de ma carrière.”

Comment caractérisez-vous les principaux contentieux au plan pénal dans la région ?

“D’une manière générale, même si la quasi-totalité de notre activité concerne la juridiction pénale, le procureur de la République ou le procureur général peuvent intervenir devant toutes les juridictions de la justice judiciaire. Dès lors que nous considérons que l’ordre public est concerné. Selon la loi, il n’y a pas loin de 2.000 occurrences d’intervention du ministère public hors pénal. Par exemple, concernant les procédures collectives, nous donnons des conclusions sur la prolongation ou non d’une période d’observation, sur la conversion d’un redressement en liquidation… En matière civile, nous intervenons pour des problèmes d’état civil, de filiation, de procréation médicalement assistée…

Dans le ressort de cette cour d’appel, il y a une très forte activité pénale. Le principal contentieux est…

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…celui des stupéfiants, avec procédures de trafics, procédures de règlements de comptes entre parties prenantes, délinquance violente. Des saisies très importantes de stupéfiants sont effectuées. Il y a ensuite le banditisme traditionnel avec des personnages ancrés dans la délinquance organisée depuis longtemps. La délinquance de passage est aussi très importante. Dans l’ensemble, nous avons affaire ici à une expression forte de la violence, plus que dans d’autres régions, avec de nombreuses atteintes aux personnes. Un des sujets très lourds est celui des mineurs, notamment des mineurs isolés. Il s’agit là d’un point d’attention particulier pour les magistrats du ministère public.

La délinquance financière, avec notamment de réelles atteintes à la probité, se manifeste également. Certaines des affaires remontent par les commissaires aux comptes qui ont l’obligation de les dénoncer. Il y a également des contrôles, et on constate que certaines personnes ne respectent pas le code pénal sur les questions relatives à la corruption, au trafic d’influence, à la réglementation sur la passation des marchés publics… Ce n’est pas un contentieux de masse, mais c’est un contentieux à traiter.”

“Le sous-calibrage ici est pire que dans les cours d’appel où j’étais en fonction précédemment.”

Quelle est votre appréciation sur le fonctionnement de la cour d’appel et de son ressort ?

“En tant que chefs de juridiction d’appel, il nous revient, au premier président et à moi-même, d’organiser les services au niveau de la cour d’appel proprement dite et d’être responsables de l’administration au niveau de la cour d’appel et de l’ensemble du ressort. Cette administration est très efficace grâce à des équipes performantes. Mais les ressources humaines pour juger sont à l’évidence en nombre insuffisant compte tenu de la masse et de l’importance des contentieux à traiter. En termes de postes théoriques, pour les magistrats, ces ressources humaines sont sous-calibrées, mais au moins, les postes sont pratiquement tous pourvus. Nous sommes même au complet dans les parquets. La situation est encore plus problématique pour les effectifs du greffe. Non seulement ils sont très fortement sous-calibrés, mais en outre, il y a encore des vacances de postes. Le sous-calibrage ici est pire que dans les cours d’appel où j’étais en fonction précédemment. Heureusement, il y a des renforts avec les juristes assistants et les assistants de justice. Il faut que ces renforts soient maintenus.

Le manque de postes au parquet de Montpellier est une évidence, peut-être aussi au parquet de Béziers, Au niveau de la cour d’appel proprement dite, là aussi, on est sous-calibré. Au parquet général, nous devrions être douze et nous sommes dix en fonction. Mais un onzième magistrat nous renforcera au 1er janvier grâce à une affectation en surnombre.  Ceci explique les stocks importants qui restent à juger dans presque toutes les matières, notamment en matière pénale. L’objectif est de diminuer ces stocks.”

Et où en est la situation financière ?

“Financièrement parlant, nous sommes relativement bien pourvus pour les frais de justice et pour le budget de fonctionnement, qui représentent chacun 10 à 11 millions d’euros par an au niveau du ressort. Nous ne gérons pas les bâtiments en direct. Il y a un département immobilier basé à Toulouse, et les grosses opérations sont dirigées par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij). Cette dernière intervient sur le projet de Cité judiciaire de Perpignan. Concernant l’extension de la cour d’appel, le projet en est toujours au stade de la réflexion. En attendant, de gros travaux de restructuration sont en cours.”

Quelles sont les priorités pour l’année 2020 ?

“L’année 2020 sera surtout consacrée à la réforme de la justice, telle que prévue par la loi du 23 mars 2019. Parmi les mesures au programme figure notamment la mise en place des tribunaux judiciaires par fusion des compétences entre tribunaux d’instance (TI) et TGI. Sur le plan pénal, le projet de création d’une cour criminelle départementale pour l’Hérault, constituée de 5 magistrats professionnels – afin de juger les crimes concernant les majeurs non récidivistes pour laquelle la peine encourue est de vingt ans ou moins – est en attente de validation par la chancellerie. Une première vague avec 7 départements désignés pour mettre en place une telle formation de jugement a déjà eu lieu. Et on est dans l’attente de la désignation d’une éventuelle deuxième vague d’expérimentation.

Concernant les spécialisations, nous avons proposé, au niveau du département de l’Hérault, de regrouper le contentieux pénal fiscal à Montpellier et celui de l’environnement à Béziers. Là encore, nous sommes en attente de la validation de ces propositions.

Toujours pour l’application de la loi du 23 mars, le volet « peines » va entrer en application le 24 mars 2020. Plusieurs changements sont prévus, dont la mise en place d’un système d’aménagement des peines ab initio. Ainsi, dès qu’un tribunal aura prononcé la peine, il pourra immédiatement organiser la manière dont elle sera aménagée.  Nous devrons également réussir la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, à condition qu’elle soit votée par le Parlement.”

 

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