Jérôme Gavaudan : « La Conférence des bâtonniers prône une profession moderne »
Bâtonnier du barreau de Marseille de 2011 à 2012, Me Jérôme Gavaudan a été élu président de la Conférence des bâtonniers le 24 novembre 2017. Il succède à Yves Mahiu avec la volonté de s’inscrire dans la continuité et de défendre la profession et sa déontologie. Interview…
Bio express
Agé de 52 ans, Me Jérôme Gavaudan a effectué toutes ses études de droit à la faculté d’Aix-en-Provence. Il est titulaire d’un DEA* de droit du travail et de la santé et a prêté serment au barreau de Marseille en 1990. Il est titulaire du certificat de spécialisation en droit social (école de formation des barreaux du Sud-Est). Plusieurs fois membre du Conseil de l’Ordre, Jérôme Gavaudan a été bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Marseille pour 2011 et 2012. Il est toujours membre du Conseil de l’Ordre. Elu au Conseil national des barreaux, il est chargé d’enseignement à l’Ecole des avocats du Sud-Est.
* Diplôme d’études approfondies.
L’interview
Quelles sont les grandes missions de la Conférence des bâtonniers ?
Jérôme Gavaudan : “La Conférence, c’est l’institution dans laquelle se regroupent tous les bâtonniers en exercice : 162 barreaux, sauf Paris. Sa mission essentielle est de porter la voix des bâtonniers, des Ordres et des Conseils de l’Ordre. Elle a une vocation de service aux Ordres et aux bâtonniers, d’information, de formation, de veille déontologique, de communication spécifique de ce que sont les Ordres au niveau national. Elle assure aussi une mission de représentation des valeurs de l’ordinalité, sans être en concurrence avec l’institution représentative de la profession qu’est le Conseil national.”
Quelles relations y a-t-il entre le CNB et la Conférence des bâtonniers ?
“Elle est complémentaire et pas concurrente du CNB, ni en vis-à- vis. Elle est à l’intérieur du CNB de par ses élus au sein du CNB. Il y a même un groupe réservé à l’ordinalité de 24 membres, au sein du CNB. C’est presque un quart du CNB. Pour moi, les choses sont claires. C’est pour cette raison que j’ai grand plaisir à animer cette institution, à la faire vivre.”
Quelles sont vos priorités ?
“Dans ce type de fonction, avec des mandats courts de deux ans, il faut rester modeste et à sa place. Pas de fausse modestie, mais de l’humilité. On s’inscrit dans la Conférence, comme dans le bâtonnat, c’est-à-dire dans ce qui a été fait et se fera.
Ma priorité est de poursuivre l’amélioration des services donnés aux bâtonniers, comme la formation, de les aider dans leur communication externe vis-à vis des pouvoirs publics, et interne dans leur barreau. C’est l’amélioration de la profession. On peut continuer à s’améliorer. Je veux aussi les aider dans le combat de la sauvegarde de leur juridiction.”
Justement, dans votre fonction, il y a aussi un rôle « politique ». Comment l’envisagez-vous ?
“Il y a effectivement un aspect plus politique. La conférence doit porter la voix des barreaux au sein du Conseil national et auprès des pouvoirs publics.”
A ce sujet, le projet de nouvelle carte judiciaire vous inquiète-t- il ?
“Nous sommes très inquiets à cause des cinq chantiers lancés par Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, notamment sur la réorganisation de la carte judiciaire. Nous avons l’impression que les pouvoirs publics n’avaient pas véritablement de feuille de route donnée aux personnalités chargées de faire des propositions. Avec Yves Mahiu, mon prédécesseur, nous avons rencontré Nicole Belloubet le 14 décembre. La ministre a eu un discours rassurant. Elle a levé un certain nombre d’ambiguïtés, précisant que, quand elle a évoqué l’absence de suppression de site, elle voulait en réalité parler de juridiction. Elle a précisé ça et c’était important. Mais nous restons vigilants.”
Que ferez-vous dans les prochains jours ?
“Nous resterons vigilants… Ensuite, nous aviserons.”
Comment jugez-vous le gouvernement Macron ?
“On a souffert d’une absence de visibilité sur les orientations du gouvernement en matière de justice. Ce manque de visibilité n’est pas fait pour rassurer… On n’a pas de visibilité sur la carte judiciaire, même si les choses se précisent un peu. On n’a pas de visibilité sur la vision de la profession du gouvernement jusqu’à présent. Pendant la campagne, Emmanuel Macron évoquait régulièrement l’avocat en entreprise. Est-ce que le gouvernement va en reparler ? Par contre, Nicole Belloubet a été à l’écoute, réfléchie et sans a priori.”
Comment voyez-vous le rôle d’un bâtonnier aujourd’hui ?
“On s’aperçoit que sur le plan économique, le maillage territorial est nécessaire. L’existence d’Ordres locaux, organisés autour d’un barreau, est essentielle pour le développement économique certain de la profession d’avocat. Dans une époque où on parle de dérégulation, de contestation de l’autorégulation de la profession par les Ordres, on s’aperçoit à l’inverse qu’une profession réglementée est nécessaire. Les principes essentiels de la profession d’avocat s’organisent autour des Ordres et autour du bâtonnier : le secret professionnel, l’indépendance, la gestion du conflit d’intérêts… Toutes ces choses, dont est garant le bâtonnier, sont des éléments de plus-value de la profession d’avocat. Donc nous nous insurgeons contre ceux qui pensent qu’un avocat vaut une legaltech et que pour faciliter les échanges économiques, les règles déontologiques devraient disparaître au profit du tout économique. La valeur ajoutée d’une profession qui reste moderne et attachée à ses principes, et donc aux Ordres, est importante. La Conférence des bâtonniers prône une profession moderne. Elle n’est pas opposée aux évolutions et veut favoriser le numérique, la communication électronique.”
Le développement du numérique doit-il remettre en cause les juridictions ?
“Quand on nous dit qu’on peut supprimer une juridiction parce que l’on communique de façon électronique, où est la modernité ? Le justiciable a besoin d’une justice rendue dans un territoire. J’entends beaucoup les gens qui disent qu’avec l’électronique et le numérique, les juridictions doivent disparaître. Je ne vois pas le rapport. L’électronique n’est pas une fin, c’est un moyen. Je trouve que ceux qui prônent une évolution de la profession vers moins de règles se trompent. Les avocats se sont toujours adaptés, ils sont des acteurs économiques essentiels d’une cité. Ils restent modernes dans leur façon de travailler et savent s’adapter en investissant de nouveaux champs d’activité.”
Que pensez-vous des incubateurs développés par certains barreaux, comme Marseille, Paris ou Lyon, par exemple ?
“C’est merveilleux. Le bâtonnier Geneviève Maillet à Marseille est l’exemple typique de la façon dont les Ordres peuvent accompagner la profession sur le chemin de la modernité, du développement des idées de l’économie et de l’évolution de la profession. En parlant d’évolution de la profession, Christiane Féral-Schuhl, une avocate, a été élue à la tête du CNB. La Conférence a changé ses statuts, en novembre, pour faire plus de place aux avocates.”
Cette féminisation est importante pour la profession ?
“Pour la Conférence, c’était important sur le plan symbolique. Sur le plan technique, la Conférence est une association qui n’a pas d’obligation de se conformer à la loi sur la parité. Donc c’est une volonté de montrer que la Conférence accompagne ce mouvement de parité et qu’elle le fait sans y être contrainte. J’ai été heureux de cela, et que ça se fasse à Strasbourg lors de mon élection encore plus. Si la profession se féminise, il faut que les avocates accèdent à des postes à responsabilité.”
Quelle sera l’actualité de la Conférence dans les prochaines semaines ?
“Ma première assemblée générale statutaire, le 26 janvier, qui se tiendra à Paris, est symbolique. A chaque fois, le garde des Sceaux y participe et prend la parole. C’est l’occasion pour le président de la Conférence de lister les enjeux du moment. Il y a un aspect solennel et un moment d’échanges, toujours dans le respect. C’est un rendez-vous attendu du dialogue entre le président de la Conférence et le ministre, et entre le ministre et les bâtonniers.”
Quels seront les points importants de votre discours ?
“L’organisation de la profession, la carte judiciaire et les nouveaux champs d’activité de la profession. Par exemple, la ministre insiste beaucoup sur le règlement à l’amiable des différends, dans un schéma de déjudiciarisation. Pour moi, c’est un problème important. Les avocats sont en capacité de s’organiser pour mettre eux-mêmes en place des modalités de règlement amiable des différends. C’est-à- dire d’éviter de saisir le juge. Ce n’est positif que si ce n’est pas fait pour désengorger les juridictions. Mais les pouvoirs publics doivent aussi être conscients que c’est un transfert de charge pour les cabinets d’avocats.”
Pour quelles raisons êtes-vous devenu avocat ?
“Je ne connaissais personne dans la profession d’avocat. J’ai fait des études de droit à Marseille et Aix. Ce qui me fait rire rétrospectivement, c’est que quand j’étais étudiant, je n’osais pas me dire qu’un jour je deviendrais avocat. C’était tellement beau pour moi, que j’avais l’impression que je n’y arriverais jamais. Aujourd’hui, j’exerce cette profession dans ce beau barreau de Marseille.”
C’était logique de devenir bâtonnier de Marseille ?
“Par éducation, on m’a toujours appris à m’engager et à ne pas refuser les responsabilités. C’est de la saine ambition d’assumer ce que l’on est en capacité de faire, dans un souci d’investissement collectif. Il y a un mélange d’ambition personnelle et de service. Je reconnais volontiers la part d’ambition, mais ce qui m’a toujours motivé, c’est plutôt le service. J’ai été plusieurs fois au Conseil de l’Ordre. Et puis, il y a cette alchimie qui fait que l’on vous repère un peu et qu’un jour, un ancien bâtonnier vous propose d’être à la tête de l’Ordre. C’est comme ça que l’envie se crée et que la réussite appelle la réussite.”
Est-ce la même mécanique qui vous a conduit à la présidence de la Conférence des bâtonniers ?
“C’est exactement la même mécanique. En tant que bâtonnier de Marseille, de 2011 à 2012, je me suis investi à la Conférence, puis à deux reprises au Conseil national des barreaux (CNB), qui est l’institution nationale de la profession. Mon parcours est un peu atypique : je n’ai jamais été au bureau de la Conférence des bâtonniers et je viens du CNB. Il s’agit de deux institutions différentes, mais pas opposées. J’ai ressenti cette volonté de servir les Ordres et les bâtonniers. Je revis cette fonction, que je prends depuis quelques semaines, avec le même bonheur que le bâtonnat à Marseille.”
Propos recueillis par Frédéric DELMONTE pour RésohebdoEco
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L’info en plus :
Entre le barreau de Marseille et la Conférence des bâtonniers, la belle histoire se poursuit. En 2014, c’est un autre bâtonnier marseillais qui avait été élu à la tête de la Conférence des bâtonniers. Marc Bollet a présidé cette institution jusqu’en 2016.