Lecture : l’agonie des villes moyennes n’est pas inéluctable

Commerces qui ferment, logements vacants... les centres des villes petites et moyennes se dépeuplent et se paupérisent. Si les intérêts des promoteurs de zones commerciales en périphérie y sont pour beaucoup, des choix sociétaux sont aussi en cause, analyse notre collaborateur Olivier Razemon dans son ouvrage Comment la France a tué ses villes.

Des vitrines vides et des appartements à louer. A Albi, Troyes, Saint-Brieuc comme un peu partout sur le territoire, « c’est le même constat », note Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes (Editions Rue de l’Echiquier). Le 4 octobre, à Paris, le journaliste présentait son ouvrage, lequel dévoile une réalité qui touche de nombreux Français : « entre un tiers et la moitié de la population vit dans l’une de ces agglomérations touchées à divers degrés par la dévitalisation », précise Olivier Razemon.

Les syndromes de cette dévitalisation sont multiples. Parmi eux, la fermeture des magasins des centres-villes : en 2015, le taux de vacance commerciale a dépassé 11 % pour les villes comptant entre 50 et 100 000 habitants, alors qu’il était de 6,3 % dans les villes de plus de 500 000 habitants. Et l’écart ne cesse de croître, d’après Procos, la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé. Autre syndrome, celui des logements vides : ils le sont à 17 % à Béziers, à 16 % à Tarbes et jusqu’à 21 % à Vichy, quand la moyenne nationale plafonne à 7,56 %, d’après la société Datafrance, qui travaille à partir de données de l’Insee. Dans ces villes, « les habitants du centre sont plus pauvres que ceux qui vivent à l’extérieur. Ceux qui en ont la possibilité partent habiter à quelques kilomètres et quittent la ville », précise Olivier Razemon. Ce phénomène fait boule de neige. « Le cercle vicieux est en marche, renforçant l’appétence des ménages qui en ont les moyens financiers et matériels pour une vie tranquille, dans un pavillon de la proche périphérie. Les quartiers centraux jouent comme un aimant répulsif. Et on constate cette absurdité : les habitations urbaines se vendent mal, alors que les communes périphériques croulent sous la demande », décrit l’ouvrage.

Une fuite en avant bétonnée

Comment expliquer ce cercle vicieux ? Pour Olivier Razemon, l’explication historique de la désindustrialisation ne suffit pas. La « recette du déclin (…) passe par l’hypermarché », estime l’auteur. Dès les années soixante, le territoire a vu la construction des premiers hypermarchés, suivis des centres commerciaux. « Pendant des décennies, on a ainsi construit des zones commerciales qui ont surtout contribué à tuer le commerce local », commente Olivier Razemon. Cette évolution a aussi bouleversé l’urbanisme, lequel s’est progressivement réorganisé autour de ces nouveaux pôles qui se sont développés, en périphérie, avec la construction d’entrepôts, de lotissements pavillonnaires, de sièges d’entreprises, d’acti- vités de loisirs… Le tout accessible via l’automobile. A présent, ces zones à vocation commerciale abritent jusqu’aux agences de Pôle Emploi… Leur poids économique est énorme. Aujourd’hui, à elle seule, la grande distribution pèse pour 160 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 600 000 personnes. Et le commerce de périphérie représente 62 % du commerce total, rappelle l’ouvrage. Cette tendance ne faiblit pas : en dépit de l’échec de certaines zones commerciales dû au fait que ces surfaces augmentent plus vite que la consommation, la France continue d’inaugurer des allées shopping et des galeries marchandes. Longtemps, « les maires se sont dit : ‘ c’est une bonne idée, car cela va créer de l’emploi ‘. Aujourd’hui, des élus, comme le maire d’Epinal, commencent à déclarer qu’ils ne veulent plus d’hypermarchés », raconte Olivier Razemon.

Depuis 2010, les géographes lancent l’alerte sur cette transformation du territoire. Les pouvoirs publics se sont emparés du sujet, mais cela demeure une « préoccupation secondaire », regrette Olivier Razemon. Pour lui, « c’est extrêmement clair : pour sauver les villes, il faut mettre fin à la construction de nouvelles zones commerciales et aux extensions des complexes existants ». Mais l’auteur met en garde : il n’existe pas de « maléfique complot des bétonneurs, des distributeurs ou des constructeurs automobiles ».

Si les intérêts de ces acteurs économiques sont en cause, la « pente douce » d’une société égoïste l’est aussi. Celle composée d’individus qui courent chez une enseigne de hard discount pour trouver de meilleurs prix, déplorant ensuite la fermeture de l’épicerie de quartier, ou qui achètent leurs cadeaux de Noël via Internet, regrettant dans le même temps la disparition des marchands de jouets…

« Nous sommes la ville », interpelle Olivier Razemon. Pour le pire, mais aussi, à condition de faire évoluer nos propres comportements, pour le meilleur…

Anne DAUBREE

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