Immobilier

Les agents immobiliers inquiets pour le commerce de ville

La crise urbaine est-elle inéluctable ? Les commerces sont-ils irrémédiablement condamnés ? Les achats en ligne vont-ils tout dévorer ? Concernés, par ricochet, par la dévitalisation des villes moyennes, les agents immobiliers, réunis en convention à Saint-Malo, ont cherché des solutions.

Pour un mètre carré de surface commerciale, un commerçant paie en moyenne 1 339 euros par mois à Paris, 570 euros à Rennes et seulement 168 euros dans le centre-ville de Bourges ou 88 euros à Blois ! Ces chiffres illustrent parfaitement la crise du commerce de centre-ville. Dans les villes moyennes, la « vacance commerciale », comme on dit, affecte les rues principales au point de peser sur les loyers. A l’inverse, dans les grandes villes, érigées au rang de « métropoles » par la loi Maptam de 2014, le commerce se porte mieux, et les prix s’en ressentent.

Les agents immobiliers impactés par la chute des fonds de commerce

La gravité de la situation n’a pas échappé aux agents immobiliers spécialisés. Fin mars, à Saint-Malo, les travaux de la Convention nationale du commerce, organisée par la Fédération nationale des agents immobiliers (Fnaim), étaient consacrés à la « revitalisation des centres-villes ». « C’est un problème d’actualité. Nous devons participer à ce débat» , déclare Philippe Maître, agent à Dijon et président de la commission Commerce et artisanat de la Fnaim, devant une centaine de praticiens venus de toute la France. Cette spécialité est « l’une des treize qui composent notre profession », rappelle Jean-François Buet, président de la fédération, qui s’inquiète aussi pour son propre sort. Des fonds de commerce qui se vendent mal, c’est un chiffre d’affaires en baisse, confient plusieurs professionnels.

Le phénomène des “vitrines vides”

Dans les villes de 10 000 à 150 000 habitants, les vitrines vides participent à « un mauvais ressenti », explique Patrick Manceau, conseiller délégué au commerce à Fougères (20 000 habitants, en Ille-et-Vilaine). « L’élément déclencheur, c’est l’inauguration d’une nouvelle zone commerciale en périphérie », précise-t-il. Thibault Le Carpentier, directeur du cabinet de conseil Osband, rappelle des chiffres éclairants : « Les défaillances progressent, un tiers des commerçants ne gagnent pas le Smic et, selon l’indice de la Banque de France, 40 % d’entre eux ont vu leur résultat d’exploitation baisser de 15 % depuis huit ans ». En outre, la crise n’affecte pas que le commerce, mais aussi « le logement » ou encore les transports, et jusqu’à la réputation de la ville, souligne Philippe Maître.

Des solutions « simples » et « faciles à appliquer » ?

Les experts conviés par la Fnaim passent en revue les maux des villes moyennes. Certains propriétaires de fonds de commerce ont ainsi tendance à surestimer les loyers exigés des commerçants, tout en concentrant les biens en quelques mains. « A Saint-Brieuc, 3 propriétaires trustent 70 % des magasins », affirme Thibault Le Carpentier, qui cite aussi l’exemple de Thouars (9 000 habitants, Deux-Sèvres) : « Un même particulier possédait 13 magasins, tous vides. Lorsque la municipalité a instauré une taxe sur les locaux vides, il les a tous vendus », raconte-t-il. Le consultant éreinte enfin les détaillants eux-mêmes, et leurs « boutiques pas au niveau, pas attirantes ». Il tranche, sévère : « les centres-villes sont les futures zones urbaines sensibles ».
Contre toute attente il juge que la situation n’est pas si grave. « Dans les centres-villes, on compte 6 millions de mètres carrés de surfaces vacantes, dont 3,7 millions en bon état. En périphérie, la vacance touche 5,4 millions de mètres carrés, dont 4,3 millions en bon état. Si l’Etat devait trancher entre les uns et les autres, il choisirait en faveur de la périphérie », croit-il savoir.
Face à ces constats plutôt déprimants, chacun cherche ardemment « des solutions », de préférence « simples » et « faciles à appliquer ». A Fougères, la municipalité a lancé un « plan d’actions pour le commerce » comprenant « un réaménagement complet des principales rues, la multiplication des animations, la création de boutiques éphémères » et une politique volontariste consistant à « aller chercher des franchises », indique Patrick Manceau. La ville, où l’élu comptabilise « 12 % de logements vacants et une population âgée », cherche en outre à attirer des habitants. « Nous avons la plus belle forteresse médiévale d’Europe », plaide-t-il.
Les débats permettent de faire un point sur les besoins et les contraintes du commerce de centre-ville. Les spécialistes contestent ainsi l’idée qu’une ville gagnerait forcément à « monter en gamme », selon l’expression consacrée. « A Nanterre (Hauts-de-Seine), la vacance commerciale atteignait 13 % en 2011 ; elle est retombée à 7 % depuis », constate Simon Boutigny, rédacteur en chef adjoint de la Correspondance de l’enseigne. La politique de réimplantation menée par la municipalité a payé. « De nombreux commerces se sont installés, axés sur la proximité, des brasseries, du vrac, des coiffeurs », raconte-t-il. Adaptés à la clientèle populaire de cette commune de la première couronne de l’agglomération parisienne, ces magasins remplissent des fonctions attendues et utiles.

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La montée en puissance du commerce en ligne

Faut-il par ailleurs craindre la montée en puissance du commerce en ligne ? La tendance est là, mais demeure marginale, considère Simon Boutigny : « L’e-commerce ne dépasse pas 10 % des ventes pour le moment ». Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, une fédération qui rassemble 250 enseignes, n’est pas aussi affirmatif. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le « click and mortar, commerce en ligne associé à un magasin, attire 20 à 25 % des achats. Mais le taux de croissance de cette formule diminue ».

Des boutiques petites, mais bien agencées

Les agents immobiliers admettent être confrontés à une autre interrogation. Les villes moyennes ne disposeraient pas de boutiques suffisamment grandes pour répondre aux exigences des grandes marques. « Aujourd’hui, avec une surface de 35 mètres carrés, en ville, on ne fait plus rien », affirme Thibault Le Carpentier. Ce n’est pas l’avis de Laurent Giboire, promoteur immobilier : « On voit apparaître de nouveaux commerces qui se contentent d’une vitrine d’appoint de 20 mètres carrés ». Un point de vue corroboré par Jérôme Blachère, responsable de Biocoop. L’enseigne, qui a surtout « pour objectif de développer l’agriculture biologique », s’adapte « à tous les types de surfaces. C’est un concept très agile », assure-t-il. Dans le centre de Rouen, deux commerçantes qui tiennent une enseigne spécialisée dans le thé, peuvent en témoigner : depuis douze ans, elles proposent leur marchandise dans une surface de vente de 28 m² bien agencée, située dans une rue piétonne. Les affaires marchent plutôt bien. Malheureusement pour les agents immobiliers, pour l’heure, leur fonds de commerce n’est pas à vendre.

Olivier RAZEMON

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