Les mécanismes de lutte contre la cyber-contrefaçon

Développement d'Internet oblige, les législations française et européenne s'adaptent et mettent en place divers mécanismes de lutte contre la cyber-contrefaçon.

La contrefaçon représente, aujourd’hui, un marché considérable. Un rapport publié conjointement par l’OCDE et l’EUIPO1 le 18 avril 2016 estime la valeur mondiale des importations de biens contrefaits à 461 milliards de dollars en 2013, soit près de 2,5 % des importations mondiales et 5 % des importations de l’Union européenne.

Le commerce électronique apparaît comme un vecteur d’approvisionnement privilégié, avec près de 1,5 million de saisies réalisées dans le fret postal et express en France, en 2013, selon les douanes françaises, à la suite de commandes effectuées sur Internet. En outre, le développement du Net a suscité de nouvelles formes de contrefaçon : contrefaçon de marque par réservation d’un nom de domaine ou d’un mot-clé (adword), de droits d’auteur par streaming ou téléchargement illégal ; et contrefaçon de bases de données, de logiciels et d’œuvres multimédia (sites web, jeux vidéo, CD-Rom, etc.). Ce phénomène ne se limite plus aux secteurs du luxe et du textile, mais s’étend désormais aux produits comme le tabac, les médicaments, les pièces automobiles ou encore les produits « high-tech », que les consommateurs peuvent acheter sur Internet.

En conséquence, Internet apparaît comme un terrain propice à la contrefaçon : il offre des moyens de promotion considérables, rend la contrefaçon difficilement détectable par les autorités et limite le risque d’identification du contrefacteur.

Néanmoins, les législations française et européenne ont mis en place divers mécanismes de lutte contre la cyber-contrefaçon.

 

Les moyens d’identification du contrefacteur

Afin de faciliter l’identification du contrefacteur, nécessaire à la mise en œuvre de toute action en justice, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2014 permet au juge d’ordonner aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) et aux hébergeurs la communication des données d’identification qu’ils détiennent.

Les FAI et les hébergeurs ont en effet l’obligation de détenir et de conserver, pendant un an, les données de nature à permettre l’identification de quiconque ayant contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont ils sont prestataires. Il s’agit principalement des données et des identifiants de connexion, ainsi que des informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte.
Ainsi, sur le fondement de la LCEN, la victime d’une contrefaçon peut soumettre au juge compétent une requête motivée aux fins de communication des données d’identification. Si le juge fait droit à cette demande, il rend une ordonnance par laquelle il autorise la communication, par les intermédiaires, des données d’identification du contrefacteur.

La jurisprudence se montre sévère à l’égard des intermédiaires qui refusent de communiquer les données d’identification de l’auteur présumé d’une infraction. Exemples : Twitter a été contraint de communiquer les données d’identification de l’auteur de la création d’un faux profil, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; Google Ireland s’est vu imposer la communication des données d’identification de l’auteur d’un détournement de revenus publicitaires, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ; et Bouygues Télécom, qui invoquait une impossibilité légale, a été condamné pour refus abusif2.
En outre, conformément à la loi informatique et libertés (LIL) et au code de la Propriété intellectuelle, les agents assermentés représentant les sociétés de gestion collective des droits d’auteur peuvent effectuer des constats de téléchargements illicites. Dans ce cadre, ils sont habilités à collecter des adresses IP, afin de localiser les FAI et de permettre l’identification ultérieure des contrefacteurs.
La Cnil (Commission nationale de l’Informatique et des Libertés) estime que la collecte des adresses IP par les agents assermentés constitue un traitement de données à caractère personnel relevant de la LIL et nécessitant une déclaration préalable. Or, la jurisprudence a considéré que ces constats ne sont pas des traitements de données à caractère personnel (nécessitant une déclaration préalable à la Cnil), puisque l’adresse IP matérialise l’infraction mais n’identifie pas le contracteur et que la collecte n’est pas automatique mais manuelle.

 

La responsabilité des intermédiaires de l’Internet

Dans l’hypothèse d’une contrefaçon en ligne, la responsabilité des intermédiaires de l’Internet peut être recherchée. Il s’agit, notamment, des hébergeurs, des moteurs de recherche, des FAI, des services de paiement, des acteurs de la publicité en ligne ou des opérateurs de nommage, qui attribuent ou gèrent les noms de domaine.
Le régime de la responsabilité des intermédiaires, prévu par la LCEN, distingue le statut d’éditeur de celui d’hébergeur. L’éditeur est celui qui a connaissance du contenu publié sur son site, exerce un contrôle sur ce contenu et intervient dans la création ou la sélection du contenu diffusé. En raison de son rôle actif, l’éditeur a une obligation de surveillance du site et est responsable de tout contenu illicite, y compris contrefaisant, qui y serait diffusé.
Au contraire, l’hébergeur n’a pas connaissance du contenu publié et assure simplement le stockage ou la mise à disposition du contenu. Ainsi, compte tenu de son rôle passif purement technique, il n’a pas d’obligation générale de surveillance et bénéficie d’un régime de responsabilité allégée : il est uniquement tenu d’agir promptement pour retirer ou rendre impossible l’accès au contenu illicite, dès lors qu’il en a connaissance à la suite d’une notification.
La principale difficulté consiste à identifier, parmi ces intermédiaires, ceux qui relèvent du statut de l’éditeur et ceux qui bénéficient du régime de responsabilité allégée des hébergeurs. Selon la jurisprudence, Dailymotion, Youtube et Google Adwords sont des hébergeurs3 alors qu’Ebay et un éditeur de presse en ligne sont des éditeurs4.
La responsabilité de l’hébergeur pourrait être amenée à évoluer prochainement en France. En effet, en 2014, le Conseil d’Etat a proposé d’abolir la distinction fondée sur le rôle passif et technique de l’hébergeur, par opposition au rôle actif de l’éditeur, pour instaurer une distinction fondée sur l’objet (fourniture d’un accès organisé, hiérarchisé ou personnalisé des contenus mis à disposition). En 2015, la ministre de la Culture a confié au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) la mission de corriger les effets négatifs du régime de responsabilité particulier accordé aux prestataires techniques et de créer une nouvelle catégorie juridique pour les plates-formes.

La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 prévoit la création des « intermédiaires de plates-formes en ligne ». Ces intermédiaires seront soumis à un devoir de diligence consistant à prendre toutes les mesures raisonnables, adéquates et proactives afin de protéger les consommateurs et titulaires de droits de propriété́ intellectuelle contre la promotion, la commercialisation et la diffusion de contenus et produits contrefaisants.

Blandine POIDEVIN, avocat, spécialiste des technologies
de l’information et de la communication, et Christine VROMAN, avocat

Définition. La contrefaçon peut être définie comme la violation d’un droit de propriété intellectuelle. Elle désigne notamment le fait de reproduire, imiter, utiliser ou copier, de manière totale ou partielle, et sans autorisation, une marque, une invention protégée par un brevet, une création protégée par un dessin et modèle ou une œuvre protégée par un droit d’auteur ou par un droit voisin.
1 – « Trade in Counterfeit and Pirated Goods : Mapping the Economic Impact », publié par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et l’Office de l’Union européenne pour la Propriété intellectuelle (EUIPO)
2 – TGI Paris, 4 avril 2013 (Twitter) ; tribunal de commerce Paris, 1er février 2013 (Google Ireland) et TGI Paris, 30 janvier 2013 (Bouygues Télécom).
3 – TGI Paris, 28 mai 2012 (Youtube) ; cour d’appel de Paris, 9 avril 2014 (Google Adwords) ; cour d’appel de Paris, 2 décembre 2014 (Dailymotion).
4 – CJUE, 11 septembre 2014 (éditeur de presse en ligne) ; CCASS, 2 mai 2012 (Ebay).

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