Montpellier - Garantie « Perte d'exploitation » : un restaurateur gagne son combat face à son assureur

Après le Tribunal de Commerce de Marseille (23 juillet 2020), celui de Tarascon (24 août 2020) et celui de Paris (17 septembre 2020), le Tribunal de Commerce de Montpellier (16 décembre 2020) vient de rejoindre le rang des tribunaux ayant fait droit aux demandes des restaurateurs dans le combat mené contre AXA au titre de leur garantie « perte d’exploitation » subie du fait du confinement.

Les explications de l’avocat montpelliérain Yann Le TARGAT.


Contexte

La garantie « perte d’exploitation » est rarement autonome. Les contrats multirisques entreprise couvrent la plupart du temps, d’un côté les dommages matériels aux biens assurés, et de l’autre la responsabilité civile. Les pertes financières ne sont alors garanties que si elles sont la conséquence d’un dommage matériel lui-même garanti par ailleurs.

A la différence d’autres assureurs, AXA couvrait, pour ce qui concerne un certain nombre de restaurateurs ayant souscrit cette police, les dommages immatériels non consécutifs, c’est-à-dire pas seulement les dommages matériels et leurs conséquences, mais également un certain nombre d’événements autonomes dont la survenance, à elle seule, devait entraîner la garantie.

Pour ce qui concerne la garantie « perte d’exploitation », elle était libellée de la manière suivante :

PERTE D’EXPLOITATION SUITE A FERMETURE ADMINISTRATIVE

La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous même

2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.

Le débat paraissait, à priori, élémentaire puisque les deux conditions cumulatives exigées pour l’octroi de la garantie étaient réunies et ne souffraient pas de réelles discussions. Cela eut été trop simple. Après avoir soutenu un temps (très court car intenable) le caractère inassurable du risque pandémique, AXA s’est très vite retranché derrière la clause d’exclusion stipulée dans son contrat au titre de la « perte d’exploitation » selon laquelle sont exclues les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

Or le sens commun impose de considérer que la décision de fermeture – qui doit être la conséquence d’une épidémie – ne peut jamais toucher un seul et unique établissement, sauf à considérer qu’il ne s’agit pas d’une épidémie. Cela est encore renforcé par le fait que la nature et l’activité de l’autre (ou des autres) établissement fermé est indifférente, et que le territoire est circonscrit à l’échelle du département et que la cause (épidémie) doit être identique. Cette exclusion vidait ainsi de tout contenu l’assurance donnée au titre de la perte d’exploitation subie découlant de la fermeture de l’établissement pour cause d’une épidémie, en l’état de la décision d’une autorité administrative.

Les arguments d’AXA

En clair, AXA reprenait d’une main ce qu’elle avait donné de l’autre. Une telle pratique est prohibée de longue date sur le fondement de 1170 du code civil et de l’art L 113-1 du code des assurances.

L’argument essentiel d’AXA pour soutenir la validité de cette clause d’exclusion était d’affirmer que : « En affirmant ainsi qu’une épidémie ne pourrait atteindre qu’un grand nombre d’individus et par conséquent n’entraîner que des fermetures collectives d’établissements et aucune fermeture individuelle (hypothèse soi-disant impossible), la Demanderesse commet une erreur car le postulat selon lequel une épidémie ne peut pas être circonscrite à un seul établissement est INEXACT ».

Or, l’épidémie se définit comme l’apparition et la propagation d’une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, d’animaux (épizootie) ou de plantes (épiphytie), voire ce qui touche un grand nombre de personnes en se propageant.

Le jugement du tribunal de commerce de Montpellier

Devant certains Tribunaux de Commerce comme celui de Toulouse (18 août 2020), de Bourg-en-Bresse (24 août 2020), de Lyon (4 novembre 2020) un tel raisonnement a été, contre toute attente, retenu, les restaurateurs ayant été déboutés de leur demande. 

Le Tribunal de Commerce de Montpellier n’a pas choisi cette voie, il retient : « Pour le sens commun, une épidémie existe lorsqu’il y a apparition et propagation d’une maladie infectieuse contagieuse et lorsqu’elle frappe en même temps et au même endroit un grand nombre de personnes. Pour l’assureur, ce terme n’implique pas obligatoirement une dimension étendue que ce soit au regard de la localisation de l’épidémie ou au regard du nombre de personnes affectées. Axa fournit des pièces et des éléments pour tenter de prouver qu’une épidémie peut être ramenée à un seul cas constaté d’une maladie transmissible, Elle cherche donc à interpréter sa clause pour qu’elle soit comprise : ainsi le mot « épidémie » n’étant pas défini au contrat et pouvant revêtir des réalités et un sens différent selon les hypothèses, il doit être Interprété il aurait dû ainsi faire l’objet d’une définition au sein du contrat pour éliminer tout besoin d’interprétation. »

Le bon sens, le droit et l’équité l’ont emporté.

Modification unilatérale de certaines garanties

Ajoutons que dans le courant de la procédure, AXA a adressé (à tous les restaurateurs ayant souscrit cette garantie) un courrier dans lequel la compagnie impose de façon unilatérale la modification de « certaines garanties », la non-acceptation de cette modification entraînant la résiliation du contrat. La couverture « perte d’exploitation » à la suite d’une fermeture administrative, sera limitée désormais aux évènements liés à un « décès accidentel, un suicide, un meurtre ou une intoxication alimentaire », mais plus « l’épidémie »

Outre le manque d’élégance d’une telle démarche au moment où de nombreux restaurateurs risquent de ne pas pouvoir rouvrir, comment mieux démontrer l’inanité de la thèse qui a été soutenue ?

Source : Yann LE TARGAT, avocat à Montpellier 

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