Montpellier, visite d’atelier : Yann Birgy, défendre les animaux en sculptant le papier
Rencontre avec Yann Birgy, plasticien montpelliérain aux multiples facettes et inspirations…
Comment êtes-vous devenu plasticien ?
Yann Birgy : « Tout a commencé dans mon enfance. Je passais mon temps à dessiner. Jusqu’à l’âge de 20 ans, je voulais être dessinateur. Mais j’adorais aussi la musique, qui permet de partager à plusieurs le moment créatif. J’ai donc acheté une basse électrique et fait de la musique, tout en continuant à dessiner un peu, pour m’entraîner. Mais je ne me voyais pas en vieux musicien. Il m’était difficile de concilier les répétitions avec ma vie de famille. Il y a quatre ans, j’ai ressenti l’envie de me remettre au dessin, de faire de la peinture, de la sculpture. J’ai voulu faire du volume. ».
Vous créez actuellement des animaux grandeur nature… Pourquoi des animaux ?
Yann Birgy : « Je les adore ; ils me font rêver depuis longtemps, que je les croise en balade, en voyage ou au travers des livres et des documentaires. Nous partageons la même planète, je les sens proches et éloignés de nous à la fois. L’évolution des espèces me surprend et m’émerveille. Leurs stratégies pour chasser, pour survivre, les insectes, c’est un monde fou pour moi. Tout est là pour que la vie soit belle, les espèces s’adaptent, mais elles disparaissent à cause de l’être humain. C’est une immense perte. Donc je crée des animaux à la fois parce qu’ils me font rêver et par engagement, pour alerter l’opinion. D’où les espèces menacées que je représente : orang-outan, éléphant, rhinocéros, tigre… Mes créations grandeur nature, à l’échelle 1, me rappellent mon rêve d’enfant de me retrouver face à de grands animaux. Grâce à mes sculptures, je réalise ce rêve. Je peux mettre mon bras dans une gueule de crocodile ! Ma première sculpture a été une tête de rhinocéros, un animal débonnaire de l’enfance, sympa, mais qu’il ne faut pas embêter… »
Vous utilisez une technique très particulière…
Yann Birgy : « Je l’ai d’abord testée en faisant des petites sculptures pour vérifier le rendu (lézards, girafes, panthère, hippopotame, rhino, arbres…). Je commence par faire un dessin en 3D. Puis je crée une structure en fil de fer, comme une cage, que je remplis de papier journal et de papier froissé et compacté – c’est mon côté récup. Et je recouvre l’ensemble de ruban adhésif. Après réflexion, je me rends compte que le ruban adhésif, c’est comme des pansements, comme si je soignais les animaux. D’ailleurs, je voulais aussi être vétérinaire quand j’étais petit… »
Travailler à base de récupération répond donc à un souci environnemental ?
Yann Birgy : « Oui, profondément. Je n’utilise ni eau ni électricité pour créer. Juste des journaux récupérés. Ce sont de petits gestes mis bout à bout qui sont importants pour la planète, et je trouve plaisant de transformer de vieux papiers en sculptures, d’en faire autre chose, de rendre hommage aux animaux. D’une certaine façon, on peut dire que mes animaux se nourrissent de l’actualité de la planète, à travers les journaux… La récup, c’est aussi un challenge : jusqu’où puis-je aller avec du papier ? Je rencontre des difficultés techniques, cela me demande de la patience, et au final, c’est agréable de trouver des solutions. J’aime appeler mes sculptures Orang-outan de papier, Eléphant de papier, pour faire un contraste entre leur aspect massif et leur fragilité. Comme dans la vie… »
Vos animaux ont pour caractéristique commune leur blancheur…
Yann Birgy : « Cette blancheur répond à mon envie d’utiliser le moins de matériaux possible. Je n’ai pas envie de peindre par dessus. J’aime ce blanc, qui donne un côté inquiétant, avec les bandes de ruban adhésif qui peuvent rappeler les bandelettes des momies. Pour moi, leur blancheur n’est pas uniquement synonyme de pureté, mais aussi de froideur. La brillance peut évoquer le marbre, selon certains. Mais au toucher, mes sculptures évoquent le cuir. Je veux aussi faire des animaux au rendu mat, recouverts de papier de soie. J’aime varier suivant les œuvres, faire des tests, des recherches »
Votre fœtus de rhinocéros a un côté préhistorique…
Yann Birgy : « J’ai habité aux Eyzies de Tayac Sireuil (en Dordogne, vers Bergerac), capitale mondiale de la préhistoire. Là-bas, il y a des grottes et des peintures rupestres partout. Cela m’influence peut-être… »
Vous avez aussi créé des œuvres très légères, poétiques, comme en suspension, très différentes de vos animaux…
Yann Birgy : « Mes Lumobiles, ultra-légers, prennent le contrepied de mes animaux, très massifs. Ils sont conçus en fil de fer et ruban adhésif transparent. J’ai voulu faire ces mobiles car j’aime ce qui est suspendu : les mobiles de Calder, les feuilles des arbres, les poissons qui se déplacent en bancs. J’aime aussi l’écriture, et la structure reproduit un gribouillis en 3D comme un tag. On pourrait rapprocher mes Lumobiles avec les atomes et les constellations ; ils questionnent l’immense et le minuscule. »
La sculpture est-elle votre unique mode d’expression artistique ?
Yann Birgy : « Je peins aussi. La peinture est moins réfléchie, plus instinctive, alors que les sculptures doivent, dans mon esprit, rester réalistes, donc être pensées au préalable. J’apprécie de passer du réfléchi à l’instinctif, et inversement. Je n’aurai peut-être pas envie de faire de la sculpture toute ma vie. Ça m’oxygène de faire du modelage, du collage, des mobiles, tout se nourrit mutuellement, ça avance ensemble. Avec les mobiles, j’ai appris des choses sur les grosses sculptures avec le fil de fer. Tout est lié. J’ai réalisé une série de 3 000 paysages à l’aquarelle au format carte postale, alors que depuis mon enfance j’avais une aversion pour l’aquarelle. Je me suis rendu compte que j’aimais ça, j’y ai pris plaisir. C’est très différent des sculptures, mais cela m’apporte également.. »
Mettez-vous plus de vous-même dans la sculpture ou la peinture ?
Yann Birgy : « Mes sculptures parlent pour elles-mêmes. Elles ne sont pas trop centrées sur mes émotions. Elles sont ma mission, ma bonne action, que je pratique avec recul. Sculpter, c’est se mettre de côté, selon moi. Je suis absent du travail, car je me mets au service de l’animal. Sauf pour le fœtus de rhinocéros, Uri, une sculpture très personnelle, liée directement à la naissance et au début de la vie de mon fils Youri.
Mes peintures, ce sont des expressions, des portraits, des corps, beaucoup de choses diverses, parfois torturées, mais très colorées. J’adore la lumière donc les couleurs. Mes dessins résultent également d’un travail d’introspection. J’ai encore des choses à dire sur l’enfance, les rapports humains. Plus tard, je reviendrai vers des choses plus personnelles. Je ferai peut-être des humains… J’aime me confronter à des challenges. »
Des challenges ?
Yann Birgy : « Oui, comme lorsque j’ai fait cette immense série d’aquarelles en noir et blanc. Les défis m’obligent à changer mes recettes créatives. J’aime découvrir de nouvelles matières à travailler, faire des choses très différentes, changer. Si j’avais 100 kg de terre, je ferais des sculptures bien différentes des sculptures actuelles, car c’est la matière qui m’inspire. Une nouvelle matière me suggère le changement, je m’adapte au matériau. J’aime trouver mon parti dans chaque matériau, faire de l’aquarelle différemment des aquarellistes. La nouveauté permet de revivre les découvertes de l’enfance, comme quand on enfonce les doigts dans la terre pour la première fois. C’est un plaisir, un enthousiasme… »
Propos recueillis par Virginie MOREAU
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