Patrick Martin : « Oxygénons le Medef »
Redéfinir la gouvernance du Medef, restaurer l’image de l’organisation patronale, défendre toutes les entreprises françaises, lutter contre la fiscalité galopante, valoriser la formation sous toutes ses formes… Lors de la campagne pour la succession de Pierre Gattaz à la tête du Medef, dans laquelle il entre avec détermination et envie, Patrick Martin, l’actuel président du Medef régional Auvergne-Rhône-Alpes, entend faire émerger toutes ces thématiques, voire problématiques.
« Il n’y a pas de sujet tabou », précise celui qui souhaite moderniser le Medef, qu’il juge en « danger ». Surfant sur la bonne dynamique de son ETI patrimoniale, Patrick Martin se dit prêt !
Vous avez déclaré votre candidature. Quels en sont les contours ? Quels sont vos soutiens ?
« Je dispose d’un socle solide de partenaires, dont six présidents de Medef de région avec lesquels je travaille depuis un an. Des chefs d’entreprise qui sont à la fois forces de propositions, d’action et d’union : Bretagne, Paca, Corse, Grand-Est, Normandie et Ile-de-France. Cette dernière région est importante car elle balaye le procès d’intention qui pourrait nous être fait, à savoir que ma candidature serait celle de la province contre Paris. Par ailleurs, depuis quelques semaines que l’on teste nos arguments, nous recevons un écho très favorable. Les analyses, les messages et les ébauches de solutions suscitent un réel intérêt. Autrement dit, la mayonnaise prend ; cela nous conforte dans notre engagement. Dernière preuve en date : la réunion que nous avons organisée à Paris le 14 novembre dernier, ciblée sur les Medef territoriaux, a rassemblé la quasi-totalité des territoires présents ce jour-là à Paris. Je ne dis pas que tous vont adhérer à notre démarche, mais cela témoigne d’un véritable intérêt. De la même manière, au niveau des branches professionnelles, nous avons d’ores et déjà des signaux d’engagement. »
La campagne doit-elle rompre avec ses vieux démons ?
« J’aime bien l’idée de casser les codes, pas pour le principe. Le mode de fonctionnement, un peu à huis clos, n’échappe à personne. Ni en interne auprès des adhérents, ni auprès de notre environnement. A terme, cela peut déboucher sur des décalages entre les choix opérés et les attentes des entrepreneurs. Un gros travail est réalisé par les entreprises pour « dédiaboliser » leur image auprès du grand public. J’ai la fierté de ce que je fais, la fierté du Medef, mais il y a un paradoxe troublant : l’image des chefs d’entreprise, des dirigeants de PME, est bonne et s’améliore dans l’opinion publique, alors que l’image des institutions en général – partis politiques, médias… – est dégradée, et le Medef n’y échappe pas. Le sondage de fin d’année dernière de l’Ifop questionnait sur les catégories les plus utiles à la France. A 88 %, les sondés ont répondu les dirigeants de PME ; et à 60 %, les dirigeants de grandes entreprises. Il ne faut pas fanfaronner, mais ce décalage interpelle. Il faut moderniser l’image et le fonctionnement du Medef qui, au fil du temps, ont dérivé et sont de plus en plus éloignés des préoccupations des chefs d’entreprise que nous représentons. »
« Nous voulons plus de collaboratif »
La faute à quoi ?
« A plusieurs facteurs : une mauvaise communication, une certaine « consanguinité », un repli sur soi, une forme de technocratisation. Sans oublier la perte de pouvoir décisionnel des élus du Medef au bénéfice des collaborateurs, compétents certes, mais au final ce sont les chefs d’entreprise qui doivent décider. De notre côté, nous voulons plus de collaboratif. Il faut donner la parole à la base, coller beaucoup plus à la réalité du terrain. »
Votre candidature est motivée, en partie, pour faire évoluer le fonctionnement interne du Medef. Quels sont les axes perfectibles et les pistes pour y parvenir ?
« Je précise que notre démarche est volontariste et qu’elle ne concerne pas que la gouvernance. Oui, ma démarche est celle des entrepreneurs de terrain ; oui, je revendique l’importance des PME et ETI à côté des grands groupes, c’est une vision moderne. Je veux ouvrir les portes et les fenêtres du Medef, faire participer des organisations complémentaires, qui ont une forte valeur ajoutée. Je pense par exemple à l’association des Femmes Chefs d’Entreprises, à Croissance Plus, au Centre des Jeunes Dirigeants, au Mouvement des ETI… Autant de réseaux qui ont des regards décalés et finalement complémentaires par rapport à celui du Medef, qui sont moins institutionnels et qui, pour certains, incarnent une nouvelle forme d’entreprenariat. Il nous faut aussi travailler main dans la main avec les autres organisations patronales. Deuxième chose, il faut renvoyer aux territoires beaucoup plus de pouvoir et d’influence qu’ils n’en ont actuellement. Non par anti-parisianisme, mais parce que nous sommes convaincus que, quels que soient le secteur d’activité et la taille de l’entreprise, plus le temps passe, plus les choses se déroulent au plus près du terrain. Les collectivités territoriales assurent 75 % de l’investissement public, avec un principe constitutionnel d’autonomie territoriale. Ce n’est donc pas au niveau des ministères que cela se décide mais au sein des métropoles, des départements ou des communautés de communes. Autre exemple : même si on est un très grand groupe, le jour où il y a un litige prudhommal, celui-ci n’est pas tranché au ministère du Travail mais au sein du Conseil des Prud’hommes de Douai ou de Roanne. Les décisions locales prennent le pas sur l’administration centrale. Le pouvoir des Dreal ou des Direccte est considérable localement, sur, par exemple, une fermeture ou une ouverture d’usine. Ces exemples militent ainsi pour rapprocher le Medef du terrain. »
Vous appelez à un véritable changement de paradigme…
« Il y a une autre dimension plus subjective. Elle s’est vérifiée avec l’élection présidentielle. Les acteurs de terrain ne supportent plus de recevoir des instructions, bonnes ou mauvaises, pour élaborer des projets auxquels ils n’ont pas participé. Si on prend le monde de l’entreprise, les pratiques managériales évoluent fondamentalement. Il est donc nécessaire que l’on s’inscrive nous aussi dans ce mouvement. Actuellement, les Medef territoriaux représentent le plus gros contingent, soit 24 % des adhérents. Or, l’expression des Medef territoriaux et des branches est très faible dans le fonctionnement du Medef. Au fil du temps, la pyramide s’est retournée, frustrant ainsi les adhérents. Et qui sont ces adhérents et ces élus du Medef ? Ils sont d’abord bénévoles, militants, non contraints, et ils cotisent. C’est une véritable profession de foi. Il est essentiel d’embarquer avec soi les adhérents, les élus et les mandataires. Si ces gens-là ne se retrouvent pas dans le mode de fonctionnement et les messages du Medef, ils s’en éloigneront. »
Certains vous qualifient de candidat de l’économie réelle. Est-ce juste ?
« Lors de cette élection, il n’y aura que de bons candidats ; je ne fais aucun procès en légitimité à qui que ce soit. Il n’y a pas de faux patrons, il n’y a que des profils différents. J’ai la prétention de dire que je coche certaines cases : 90 % des adhérents du Medef sont des dirigeants de PME-PMI et d’ETI. Mon entreprise est une ETI. Je ne prétends pas qu’elle soit un modèle du genre, mais elle a un parcours dont je suis fier. Quand je suis rentré dans l’entreprise, en 1987, elle faisait 50 M€ de CA : elle en fera plus de 700 cette année ; avec 250 salariés à l’époque et 2 600 aujourd’hui. On ne dénombrait que 3 établissements, on en aura prochainement 200. On était absents à l’international, on y est désormais présents. C’est une entreprise à 100 % patrimoniale. Ça renvoie à l’idée que quand le président du Medef doit s’exprimer sur des sujets comme les droits de succession ou l’ISF, il doit le faire en praticien. J’ai un parcours militant au Medef. Mais je ne veux pas y faire carrière ; je crains comme la peste les apparatchiks, les gens qui enfilent les mandats à n’en plus finir. »
Cherchez-vous un destin plus grand ?
« Non. Je ne veux pas de bâton de maréchal. C’est un job de fou, patron du Medef. Mes filles me disent : « Tu veux vraiment devenir l’homme le plus détesté de France ? » Ça m’interpelle, mais cela correspond à une réalité. Cette fonction n’est pas populaire. Je ne suis pas maso, je ne me présente pas pour prendre des coups. Je ne suis pas naïf non plus ; il y a des choses à mieux faire. Par rapport à d’autres candidatures avérées ou supposées, on a ce pack de soutiens qui s’élargit et qui me rend assez serein. On est engagé dans une démarche participative, on a mis en ligne une plateforme d’échanges ouverte à tous les adhérents du Medef, on se réunit régulièrement… Il faut être cohérent. On ne peut pas dénoncer des pratiques autoritaires et l’être soi-même. On a identifié nos grands axes de travail, on a des idées sur chacun de ces axes, mais on veut les challenger, et les faire enrichir et compléter par le plus grand nombre. »
« Défendre l’entreprise et sa rentabilité »
Avec l’idée d’appliquer les mêmes recettes au Medef ?
« Cela renvoie à des fondamentaux. Le Medef ne peut pas s’emparer de tous les sujets. Il y a actuellement plus de 80 commissions. Intellectuellement, tout est intéressant, mais ce nombre de commissions implique la mobilisation de 300 à 400 chefs d’entreprise. En pratique, on s’aperçoit que beaucoup d’entre elles vivotent. Et c’est normal, on ne peut pas être sur tous les fronts ! Aux yeux de nos adhérents, cela entretient une confusion sur ce qu’est le Medef. Il ne faut pas que l’on se détourne de notre objet social : défendre l’entreprise et sa rentabilité. L’une des raisons pour lesquelles le Medef a cette image confuse et à certains égards négative, c’est justement parce que l’on s’exprime sur tous les sujets, souvent avec pertinence. Mais ce n’est pas là que nos adhérents nous attendent. Nous proposons donc d’opérer un retour aux fondamentaux, sur la croissance, puis sur la rentabilité des entreprises, qui reste largement en-deçà de celle de nos comparables européens. Bien sûr, il faut encourager nos entreprises à investir, à innover et à s’internationaliser. Le vrai problème de fond des entreprises françaises n’est pas tant dans les dispositifs qui existent – et à la limite, ceux-ci sont trop nombreux – mais il tient au fait qu’il n’y a pas assez d’autofinancement. Les entreprises supportent des charges sociales et fiscales excessives, constituées essentiellement d’impôts sur la production. Il ne faut pas être dans l’incantation, il faut que le taux d’autofinancement des entreprises s’améliore, car c’est la mère de toutes les batailles. C’est technique, rébarbatif, pas très populaire, mais c’est le bon sens. »
Votre vision sur les premiers pas du président Macron. Les réformes vont-elles dans le bon sens ?
« Ce qui me frappe, c’est le message général, et j’y adhère. La modernité : on secoue le cocotier, on revisite beaucoup de choses. L’audace : pas de sujets tabous, pas de vaches sacrées, la lutte contre la capitulation / résignation de la France. La fierté, de la France, de l’entreprise française. Il faut arrêter de faire dans la repentance, dans l’autoflagellation. Je suis un entrepreneur français fier de mon pays. Il faut des chefs d’entreprise et des femmes et hommes politiques qui décident. Je crois dur comme fer aux corps intermédiaires. On a besoin du dialogue social, d’impliquer nos concitoyens, nos salariés, dans les réflexions et les décisions. J’ai du respect pour la fonction de Président de la République, pour la personne d’Emmanuel Macron, mais il est essentiel qu’il garde bien le lien avec le terrain. »
Quel sera le « style Martin » lors de cette campagne, et après… ?
« L’ADN de notre démarche est collective. Ce ne serait d’ailleurs pas illogique que le Medef, qui est une organisation patronale interprofessionnelle, soit présidé par une personne issue de « l’interpro ». C’est la meilleure garantie pour réunir toutes les branches. Les débats industrie contre services ou bien contre commerces sont dépassés, stériles et d’un autre temps. »
Est-ce une élection cruciale ? Le Medef peut-il rater son rendez-vous avec l’histoire ?
« Le Medef est en danger. Il doit revenir à ses fondamentaux et s’appuyer beaucoup plus sur ses militants. En danger s’il ne s’interroge pas plus sur son rôle, son utilité, son fonctionnement et ses objectifs. C’est précisément ce que l’on essaie de faire, en portant notre programme que je qualifierais de disruptif ! On ne promet pas le grand soir, mais juste de s’aligner sur les attentes de nos adhérents d’un côté et les mentalités actuelles de l’autre. Que l’on soit moins cloisonnés, donneurs de leçons, et que l’on soit extrêmement déterminés. »
Vos chances sont réelles ?
« Chaque jour qui passe, on se dit qu’on tient le bon bout. »
Propos recueillis par Julien THIBERT et Laurent ODOUARD
pour RésoHebdoEco
Crédit photo : © Frédéric Vigier