Photo : Ralph Gibson, surréalisme et érotisme en noir et blanc au Pavillon Populaire (Montpellier)

Il aurait pu, comme bon nombre de ses compatriotes, se cantonner au photojournalisme et à la photographie documentaire. Le photographe américain Ralph Gibson a choisi une autre voie, qui lui a valu la consécration des critiques spécialisés et du public : la photographie d’art. A Montpellier, le Pavillon Populaire accueille, jusqu'au 7 janvier 2018, une exposition consacrée à sa "Trilogie", réalisée dans les années 1970.

De 1970 à 1974, il créa l’événement en publiant successivement trois ouvrages photographiques quasiment exempts de tout texte – The Somnambulist, Déjà-vu et Days at sea  – rassemblés sous le titre La Trilogie. Et fit ainsi figure de modèle parmi ses pairs, aux Etats-Unis comme en Europe…

Considéré par le commissaire d’exposition, Gilles Mora, comme l’un des « derniers héros de la photographie », acteur du renouveau de la photo dès les années 70, Ralph Gibson a influencé une génération entière de photographes américains et français.

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Ralph Gibson devant un cliché de la série “The Somnambulist” © Virginie Moreau

Deux rencontres marquantes et la France

A ses débuts, Ralph Gibson, qui s’était initié à la photographie dans la marine, fut l’assistant de deux « pointures » de la photographie : Dorothea Lange, qui lui conseilla de donner un point de départ à son œuvre (ce fut le projet de Trilogie), et Robert Frank, qui l’incita à l’originalité et à se démarquer de la photographie de l’époque. Il abandonna donc son emploi de photojournaliste à l’agence Magnum pour créer son œuvre photographique. Passionné par le cinéma de la Nouvelle Vague et par le Nouveau Roman, il délaissa la photographie documentaire pour le surréalisme et l’expérimentation visuelle. Robbe-Grillet, Duras, Merleau-Ponty, Derrida, Foucault… Les auteurs français et un séjour en France lui fournirent un substrat intellectuel et culturel. Bientôt émergea dans son esprit l’idée de créer une trilogie rassemblant trois livres d’artiste. « Pour moi, le livre est un objet en soi. Il m’a paru comme le système idéal de diffusion de mes idées les plus avancées en matière de photographie. » Voilà pourquoi, devant les réticences des maisons d’édition à publier ses ouvrages, il en vint à ouvrir sa propre maison d’édition, baptisée Lustrum Press, pour mener son projet à bien.

La Trilogie

Le premier ouvrage composant sa Trilogie est intitulé The Somnambulist (Le Somnambule).

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The Somnambulist, 1970 © Ralph Gibson – Lustrum Press Inc.

Il offre un univers onirique, flottant. Ses images montrent un tournesol semblant plus grand qu’une maison, une main écrivant au stylo plume dans un paysage, un homme penché dans le sens inverse d’un arbre. Le décalage est à l’œuvre.

Le second livre, baptisé Déjà-vu, est de l’ordre du fantasme, mais surtout de la réminiscence, selon le commissaire d’exposition. Les sujets semblent passés au filtre des souvenirs.

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“Déjà-vu”, 1973 © Ralph Gibson – Lustrum Press Inc.

Enfin, le troisième ouvrage, Days at Sea, dévoile un monde sensuel et érotique où la nudité et les gros plans ont la part belle.

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“Days at Sea”, 1974 © Ralph Gibson Lustrum Press Inc.

Sujet, contenu et fragment

Interrogé sur les raisons qui président en général au choix de ses sujets, Ralph Gibson assure : « Pour moi, le sujet n’est pas tellement important. Je ne m’intéresse qu’au contenu, qui reflète ma perception. Car dans la vie, tout est question de perception. Par exemple, je peux choisir de cadrer sur un détail d’une petite trappe insignifiante du plancher. En elle-même, cette trappe ne présente aucun intérêt. Mais elle m’intéresse en tant que fragment. D’une manière générale, je me focalise sur le fragment dans mes photographies. D’où leur aspect parfois surréaliste, voire abstrait ». Le photographe ajoute « Pour moi, une bonne photographie est une photo qui a du contenu ».

Perte de narration, contrastes

Ralph Gibson crée une nouvelle réalité à partir de formes existantes, justement par le biais du fragment. Gilles Mora relève « les contrastes entre noirs et blancs profonds » qui sont à l’œuvre dans ses photographies. « J’utilise le contraste comme un moyen de soustraire des informations non voulues dans l’image », complète Ralph Gibson. Les tirages de la Trilogie montrent une absence volontaire de narration. Le photographe se refuse à raconter des histoires. Il demande la « collaboration active du spectateur », invité à donner du sens aux images. Celles-ci ne sont pas « platement illus­tratives », analyse le directeur artistique du Pavillon Populaire. Son travail est également caractérisé par « des lignes pures, des cadrages et des plans serrés, des points de fuite aboutis », selon lui.

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“The Somnambulist”, 1970 © Ralph Gibson Lustrum Press Inc.

Un dialogue entre les photographies

Aux cimaises du Pavillon Populaire, des correspondances apparaissent entre certaines photographies. Correspondances volontairement instaurées par Ralph Gibson, qui a tenu à faire figurer deux phrases au mur : « Lorsque je réalise une exposition, je tiens à montrer ce que je peux de la photographie. Lorsque je fais un livre, c’est afin de préciser mes idées à propos de mes photographies, et du dialogue qu’elles entretiennent entre elles ».

Un photographe important

Par sa rupture avec la photographie  documentaire et sa création d’une photographie artistique, par son invention d’un langage visuel nouveau, Ralph Gibson inspira ses compatriotes photographes Larry Clark, Mary Ellen Mark et David Seymour, et les Européens Yves Guillot, Arnaud Claas et Bernard Plossu, explique Gilles Mora. Une influence qui justifie, à ses yeux, de le considérer comme l’un des « derniers héros de la photographie américaine ».

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“Déjà-vu”, 1973 © Ralph Gibson Lustrum Press Inc

Et maintenant : couleur et verticalité

Depuis la Trilogie, la renommée de Ralph Gibson n’a pas faibli, et ses clichés sont présentés dans les plus grandes institutions de par le monde. Parmi ses travaux les plus récents figurent une série sur l’histoire de France et une autre intitulée Political abstraction. Bientôt octogénaire, Ralph Gibson travaille actuellement sur une série en couleur intitulée L’Horizon vertical, qu’il a présentée en partie en 2016 à la galerie Thierry Bigaignon, à Paris. Ce travail part du constat que d’horizontal, l’horizon est devenu vertical du fait de l’omniprésence des écrans dans nos vies et que le numérique procède à une compression de l’espace. Visiblement, le photographe est loin d’être en mal d’inspiration…

Virginie MOREAU
vm.culture@gmail.com

 

 

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