Photographie : Romain Thiery, le sublime abandon

Repéré par Fotofever en tant qu’artiste photographe émergent 2017, Romain Thiery, trentenaire auto­didacte, photographie le patrimoine oublié depuis 2009. Loin de toute nostalgie, épris d’esthétique et de beauté, il veut induire une prise de conscience de la part du public et des institutions, et milite à sa manière pour la rénovation des lieux appartenant à notre passé pas si lointain.

Ses clichés retranscrivent les ambiances de châteaux, manoirs et autres demeures de maîtres oubliés depuis des lustres, souvent pour des problèmes d’héritage ou à la suite de drames. Interview…

Qu’est-ce qui vous a conduit à photographier de tels lieux ?

« C’est en accompagnant ma mère, photographe, dans son projet de référencement du patrimoine de la Dordogne, dont je suis originaire, que je me suis épris de ces lieux au passé et à l’architecture grandioses. Il faut savoir que sur les 200 châteaux situés en Dordogne, une centaine sont en ruine, alors que la plupart sont inscrits au patrimoine. J’ai commencé en 2009. Progressivement, je me suis orienté vers
des lieux moins détériorés, parfois encore dotés de mobilier. Depuis 2010, je voyage dans toute l’Europe, à la recherche d’endroits splendides désertés par leurs occupants. »

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“Innocence lost 3”, Italie, 2016.

Vous flirtez entre la photographie d’art et le photoreportage…

« Au début, j’étais motivé uniquement par l’aspect esthétique. Puis j’ai souhaité livrer un témoignage, tant qu’ils tiennent encore debout, sur ces lieux qui seront probablement rasés dans quelques années. Il y a du grandiose dans ces bâtiments délabrés ! Il n’est pas rare que des logements neufs soient construits à côté de ces bâtisses historiques. »

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“Remind me a past grandeur 3”, Pologne, 2017.

Comment sélectionnez-vous ces endroits ?

« 80 % de mon travail consiste en la recherche de ces lieux. Je les choisis pour leur splendeur passée et actuelle. Je photographie l’architecture patrimoniale, les demeures de l’ancienne bourgeoisie ou aristocratie, les manoirs, châteaux, monuments historiques… Ils sont souvent situés dans les campagnes, touchées par l’exode rural. J’étudie leur histoire seulement après y avoir pris mes clichés, car je veux pouvoir m’y raconter des histoires, les regarder avec un œil neuf, sans être influencé. »

Vous travaillez à la limite de la légalité, parfois…

« J’essaie toujours de trouver et contacter les propriétaires des lieux avant de m’y rendre, pour obtenir leur autorisation. Mais souvent, il est impossible de les retrouver. Dans ce cas, je me rends sur place. Si je constate que le lieu est abandonné à 100 % et qu’il existe une façon d’y entrer (fenêtre ouverte, porte non verrouillée, etc.), alors j’y pénètre. En aucun cas je ne m’introduis par effraction. Et j’ai deux règles d’or : évidemment ne rien détériorer ni emporter, et ne divulguer sous aucun prétexte l’adresse du lieu à quiconque m’en ferait la demande. Car il faut savoir que certains brocanteurs peu scrupuleux m’ont déjà proposé de l’argent en échange des adresses. Je m’y refuse absolument. Je respecte ces lieux. Dans certains pays particuliers sur le plan géopolitique, je demande des autorisations aux autorités. »

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“Nature takes over”, France, 2015.

Une fois sur place, que faites-vous ?

« J’inspecte les lieux et vérifie l’état des planchers, pour ne pas prendre de risques lors des prises de vues ; je m’assure qu’ils sont vraiment vides et pas squattés ni tagués. Puis je répertorie les sources de lumière et organise mon travail en fonction des horaires où la lumière est la meilleure. Je veille à toujours être accompagné, par sécurité. Je ne fais jamais de mises en scène ; je me contente d’enlever les détritus contemporains, s’il y en a. La prise de vues me prend beaucoup de temps. Je tiens à retranscrire au mieux l’ambiance du lieu, mon ressenti. Dans les lieux que je photographie, ce qui m’intéresse, c’est l’âme. Je ressens l’esprit des lieux et m’en imprègne. Mon but est que le public s’immerge dans mes photographies, qu’il se trouve comme propulsé dans les sites que je lui montre. Je précise que mon principal outil est mon appareil photo, pas mon logiciel de retouches… »

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“Requiem pour pianos 1”, Allemagne, 2014.

Quel est le lieu qui vous a le plus marqué ?

« Tchernobyl, en Ukraine. J’y étais allé avec une autorisation, dans le cadre de ma série sur les pianos. Etant moi-même pianiste, et ayant remarqué que souvent, du fait de leur poids, les pianos à queue sont souvent laissés sur place par les familles lorsqu’elles quittent leur demeure, j’ai eu envie de lier mes deux passions et de me focaliser plus particulièrement sur les pianos abandonnés. Il faut savoir que l’accident nucléaire a eu lieu à Pripiat, et que dans un rayon de 60 kilomètres, tous les habitants ont été évacués en quelques jours. Seules 70 personnes ont souhaité rester vivre sur place. Une fois là-bas, j’ai découvert l’architecture soviétique, très particulière, complètement envahie par la végétation. La nature y a repris ses droits. Des animaux s’y promènent en liberté. J’ai été saisi par une perte de repères. Les barres de HLM étaient situées comme en pleine jungle. En une semaine de résidence – il m’aurait fallu un mois pour tout découvrir – j’ai photographié le conservatoire de musique déserté depuis trente ans, la maternité avec sa pouponnière vide… C’était très émouvant.

Un autre lieu m’a fasciné. Il s’agissait d’un manoir situé en région parisienne. On aurait dit un vrai musée. Il était entièrement meublé ! Il y avait trois pianos à queue, des violons et violoncelles, des tableaux sur tous les murs, des télévisions anciennes, des postes de TSF, des photos de famille, une bibliothèque, des fauteuils… Comme je trouve intéressant de revoir les lieux au bout de quelques années, j’y suis retourné. J’ai alors constaté qu’il avait été totalement vidé. J’espère qu’il n’a pas été pillé, et que les propriétaires ont juste récupéré leurs instruments et objets… »

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“Innocence lost 1”, France, 2015.

Justement, constatez-vous des différences en matière de délinquance vis-à-vis des biens immobiliers, selon les pays ?

« Sur la quinzaine de pays où j’ai fait des clichés patrimoniaux depuis 2009, j’ai le regret de constater que la France est le pays où les architectures abandonnées sont les plus pillées, détériorées et taguées. Puis vient la Belgique. Au contraire, en Italie par exemple, les dégradations sont très rares. Les Italiens respectent beaucoup leur patrimoine, même s’ils n’ont pas les moyens de l’entretenir. Je pense notamment aux palais toscans. Là-bas, seules les usines sont éventuellement taguées. »

En parlant d’usines… Quel est votre rapport à l’Urbex ?

« L’Urbex (pour Urban Exploration) se focalise sur le patrimoine urbain industriel. J’ai fait de l’Urbex lorsque j’ai photographié par exemple une tour d’une centrale électrique, une tour de refroidissement nucléaire en Belgique… Mais ce n’est qu’anecdotique dans mon parcours. Je me considère comme un artiste photographe spécialisé dans le patrimoine oublié. »

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“Your soul is still haunting me 2”, Espagne, 2017.

Avez-vous déjà fait des clichés d’endroits en déshérence à Montpellier ?

« Pas à Montpellier même, car il est très difficile d’y trouver des lieux de cette qualité patrimoniale, vides, non squattés ou tagués et pas rasés pour y mettre de nouvelles constructions. Par contre, l’arrière-pays héraultais abrite un certain nombre de sites intéressants. »

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“Nature takes over 2”, Roumanie, 2017.

Quels sont vos projets ?

« En 2018, j’ai prévu de faire des photographies en Allemagne ; en Italie, où je me rends quatre à cinq fois par an ; en Croatie et au Portugal. Je suis aussi intéressé par la Géorgie, mais je dois d’abord me renseigner sur les lois, tenir compte des aspects politiques et demander des autorisations. J’ai été sollicité pour participer au projet La route des eaux sur d’anciens thermes pyrénéens, qui conduira à la publication d’un livre. Et je vais partir en résidence d’artiste à l’institut français de Roumanie à Bucarest en 2019 pour photographier les palais abandonnés, afin de favoriser leur inscription au patrimoine.

Côté expos, je serai au Salon de la Photographie Contemporaine de Paris en mai. Le même mois, j’exposerai à la Maison des Arts de Barcarès. En juin, comme tous les ans, le public pourra voir mes clichés à la Galerie des Capucins, à Uzès. Et au Volodia en octobre 2018.

Vous qui êtes pianiste, si vous deviez choisir une musique pour accompagner vos images, laquelle serait-ce ?

« Sans hésiter Les Nocturnes de Chopin, pour leur côté dramatique et leur romantisme, qui collent bien avec mes photos. »

 

Romain Thiery expose ses œuvres en permanence dans plusieurs galeries : en Dordogne, à la Galerie Anywhere Création ; à Paris à la Galerie 30 (rue de Bourgogne, dans le VIIe arrondissement) ; et à New York, à la Fondation Ars Era.

Pour suivre l’actualité de Romain Thiery…

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– sur son site Internet www.romainthiery.fr

• Pour le joindre : contact@romainthiery.fr

 

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