Testament de Johnny : pourquoi les avocats de Laura et David peuvent-ils gagner ?
Après les jurisprudences « Maurice Jarre » et « Michel Colombier », la Cour de cassation aura-t-elle à connaître d’une nouvelle rhapsodie dont la composition, sous nos yeux éberlués, résulte d’une histoire somme toute assez banale et d’un déchirement d’une famille recomposée passée une courte période de deuil (presque) national ? L'avis de Me Arnaud Tribhou, avocat au barreau de New-York et au barreau d’Avignon.
Dans cette affaire hors norme, nous ne sommes pas, à proprement parler, dans la musique de chambre, mais plutôt dans un autre style ; celui du bon gros rock californien aux riffs de guitares assassins. Le larsen et la déflagration subséquente du communiqué de presse du 12 février dernier, mis en musique par les trois avocats mandatés par Laura Smet et David Hallyday pour contester les effets du dernier testament du défunt – acte juridique soumis au droit de l’Etat de Californie -, résonnent encore dans la mémoire ravagée de ceux qui furent tout autant marqués par la résurrection inespérée de la star à la suite de la sortie retentissante de l’album Gang en 1986, que par l’annonce pourtant inexorable de la mort de leur idole, relayée en boucle par la presse généraliste.
« Mon père a-t-il le droit de me déshériter ? »
Ce même « mass media » qui, à grand renfort d’experts et d’avocats ayant probablement acquis leur mention de spécialisation en droit international dans un parc à thème japonais sous franchise américaine, tentait de répondre à la place de la première chambre civile de la Cour de cassation avant même que celle-ci ne soit saisie de la question de droit au centre des débats. Cette question qui, subrepticement, vient désormais hanter le sommeil des petits Français pourrait être ainsi résumée : « Mon père a-t-il le droit de me déshériter ? ».
Sous l’empire de notre droit, disons que, en théorie, cela n’est pas possible. La fameuse réserve héréditaire issue de notre bon vieux Code civil napoléonien garantit en effet aux enfants du défunt un droit successoral auquel il est impossible de déroger de quelque manière que ce soit. En droit américain, et dans la plupart des Etats de tradition de Common Law, le testateur est libre d’organiser sa succession comme il l’entend. Autrement dit, il est possible d’exhéréder ses enfants sans qu’aucune contestation fondée sur un moyen tiré du droit californien ne vienne remettre en cause la validité de pareille décision.
La réponse à cette question est toutefois moins évidente dans le cadre d’une succession transfrontalière et même si dans les deux arrêts (pas très rock’n roll, il faut en convenir, pour les enfants déboutés) rendus fin 2017, la Cour de cassation a affirmé que la loi successorale californienne n’était pas contraire à l’ordre public international français, il n’en demeure pas moins que la juridiction suprême de notre ordre judiciaire a eu à connaître de ces deux affaires qui concernaient des successions ouvertes avant l’entrée en vigueur du Règlement européen 650/2012 sur les successions internationales. En l’espèce, l’affaire du testament de Johnny Hallyday se cristallise autour d’une seule et unique question, celle de la détermination de la dernière résidence habituelle du rocker. Pourquoi diantre exhumer tout un tas d’indices sur cette satanée résidence habituelle ? Parce que, justement, le droit européen, en matière de succession, encore en gestation au moment où Jarre et Colombier s’assirent à la droite du Père, se trouvait de facto inapplicable et donc hors de portée du corpus juridique mis à la disposition de la Cour de cassation dans ces deux affaires jugées, et donc définitives.
Liens manifestement plus étroits avec un Etat
Il en va différemment de l’affaire du testament laissé par Johnny Hallyday. L’article 21 dudit règlement communautaire prévoit « à titre exceptionnel » que lorsqu’il « résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un Etat autre que celui de la dernière résidence habituelle », application sera faite de la loi successorale de cet autre Etat.
Les avocats de Laura Smet et David Hallyday vont donc s’employer à démontrer l’existence de « circonstances » qui, « au moment du décès » de Johnny Hallyday, laissaient clairement apparaître que ce dernier entretenait avec la France des « liens manifestement plus étroits » qu’avec la Californie. La volonté de la star de s’éteindre en France, dans sa résidence francilienne de Marnes-la-Coquette ; l’émotion nationale que sa disparition a suscitée ; la plus belle avenue du monde momentanément fermée à la circulation sur décision administrative pour donner toute une démesure française à la dernière scène arpentée par la plus américaine de nos vedettes ; la présence de deux présidents de la République à ses obsèques célébrées à la Madeleine, église auprès de laquelle s’était agglutinée une certaine idée de la France unie dans le deuil et partageant la douleur de près de 10 millions de Français qui suivaient en direct la retransmission de ce qu’il convient d’appeler un « Evénement » ; sans parler du volet financier et donc du patrimoine du rockeur, constitué par les recettes des ventes de disques et des tournées grandiloquentes, dont la provenance était – exclusivement ou presque – française.
Essayer de réussir ce que nous avons gâché
Autrement dit, s’il est avéré – ce dont nous ne doutons pas – que Johnny Hallyday entretenait des liens manifestement plus étroits avec la France qu’avec la Californie, la loi successorale applicable à la solution du litige sera la loi française et les enfants déchus seront restaurés dans leurs droits. Mais, avant que la Cour de cassation ne rende une décision dans cette affaire, les avocats respectifs des parties auront probablement tenté de faire cesser la discorde et de rapprocher les protagonistes de cette affaire afin qu’il y soit mis fin de manière amiable et transigée. A défaut de quoi, la règle de dévolution successorale prévue par le Code civil en l’absence de testament (ab intestat) viendrait à s’appliquer.
Philippe Labro, qui parsema la nef et le chœur de la Madeleine de mots qu’aucun autre proche n’eut été capable d’avoir tant il avait été un des rares à pouvoir percer la complexité singulière de cet écorché vif, écrivit pour lui un titre – certes utopique mais magnifiquement interprété – qui se propageait sur les ondes en 1970 et qui laissait un père dire à ses enfants que lorsque leurs parents les quitteront, ils leur diront : « faut essayer de vous aimer ; à votre tour de réussir ; tout ce que nous avons gâché, avons raté ; Essayez ! » Peut-être que Labro pourrait se faire juge de paix…
Maître Arnaud Tribhou, avocat au barreau d’Avignon et au barreau de New-York
Avec l’aimable autorisation de Réso Hebdo Eco, de L’Echo du Mardi et des Petites Affiches de Vaucluse.
Bio express de Maître Arnaud Tribhou
Après avoir terminé ses études à la faculté de droit de Vanderbilt à Nashville dans le Tennessee, Maître Arnaud Tribhou s’est tout d’abord inscrit au Barreau de New-York après avoir été admis à l’examen en février 2006 puis, après avoir été collaborateur au sein de cabinets parisiens, il a rejoint le barreau d’Avignon au sein duquel il a créé son propre cabinet en 2010 pour traiter essentiellement de situations précontentieuses ou contentieuses en droit des affaires et en droit de la famille. Me Arnaud Tribhou a forgé une conception de l’exercice de la profession rigoureuse, laborieuse et, surtout profondément humaine. Il est Président de l’Association de la Chambre d’Arbitrage de la Vallée du Rhône et administrateur de l’Association Réseau Entreprendre Rhône Durance.