TGI de Montpellier : surmonter le paradoxe entre réalité et image de la justice
Pour le tribunal de grande instance de Montpellier, l’année 2016 est marquée par une très forte activité. Plusieurs points forts ont été abordés lors de l’audience solennelle de rentrée de la juridiction, dont la contradiction entre la réalité du travail des juges et l’image que s’en fait le public, ou encore la prochaine mise en place des mesures prévues par la loi J 21.
Dès le début de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier, le 20 janvier 2017, son président, Eric Maréchal, a tenu à rappeler que la juridiction est la première du ressort de la cour d’appel de Montpellier par le nombre de dossiers traités et de décisions rendues. En 2016, les juridictions civiles avec le TGI, les deux tribunaux d’instance (TI) de Montpellier et Sète et les deux juridictions de proximité ont été saisies de 19 655 dossiers dont 31 % ont fait l’objet d’une décision d’aide juridictionnelle. Concernant le TGI proprement dit, le nombre de saisines des trois chambres civiles augmente de 11 %. De son côté, le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) enregistre une progression de 22 % du nombre d’affaires civiles. Dans le même temps, le nombre de décisions rendues en matière civile au TGI est en diminution, et les stocks progressent donc. Eric Maréchal explique : « Cette baisse est la conséquence arithmétique d’un fonctionnement à deux magistrats au lieu de trois sur une partie conséquente de l’année, dans chacune des chambres civiles, en raison de la fin d’activité de magistrats ou de congés longs. Elle est aussi la conséquence de mes choix assumés de privilégier l’activité des services à dominante pénale lorsqu’il s’est agi de faire des choix d’affectation de magistrats ».
Forte activité au pénal aussi
Au niveau pénal, le nombre de procès-verbaux reçus au parquet a bondi de près de 12 %, s’établissant à 86 783 contre 77 575 en 2015. Les affaires poursuivables, avec un auteur identifié, sont plus nombreuses que l’année précédente (18 071 contre 16 252 en 2015) et les réponses judiciaires augmentent (15 629 contre 14 646 en 2015). Le procureur de la République, Christophe Barret, souligne la nécessité de maintenir les priorités – la lutte contre les violences aux personnes, les trafics de stupéfiants et d’armes, la délinquance des mineurs, la délinquance routière – et insiste sur la nécessité de lutter contre la radicalisation dangereuse dans le contexte de la menace terroriste. Il déplore que 91 policiers, 38 gendarmes et 20 agents de l’administration pénitentiaire aient été blessés en actions de service dans le ressort de Montpellier au cours de l’année 2016. En ces temps difficiles, la justice continue à manquer de moyens. Faisant référence au sixième rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), Christophe Barret résume : « La France compte deux fois moins de juges, quatre fois moins de procureurs et deux fois moins de greffiers pour 100 000 habitants que la moyenne des 47 pays du Conseil de l’Europe. Pour les parquets, la France ne dispose que de 2,8 procureurs pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de 11. Et nous faisons encore « mieux » à Montpellier avec 1,8 magistrat du parquet pour 100 000 habitants : nous sommes passés de 15 à 14 depuis le 1er juin 2016. Ces magistrats travaillent à plein régime, voire en surrégime ».
Rétablir la vérité sur le travail de la justice
Le procureur de la République souligne le paradoxe existant entre l’image de la justice qui serait « lente, lourde, inefficace, voire impotente » et la réalité du travail des juges, marquée par le traitement de volumes impressionnants de procédures souvent complexes. Il précise : « Ce travail est fait de services hautement spécialisés, de traitement de l’urgence, de réactivité, de permanences 24h/24, de transports sur les lieux, de prises de décisions incessantes, parfois difficiles, toujours importantes, de direction d’enquêtes et d’engagement de poursuites, d’études de dossiers complexes, d’audiences nombreuses et souvent longues… ». Un tel travail porte ses fruits. Ainsi, en 2016, dans le ressort du TGI de Montpellier, 3,8 tonnes de cannabis, 19 kg de drogues dures et 7,6 millions d’euros ont été saisis, plusieurs réseaux de trafiquants ont été démantelés et condamnés, et des affaires économiques et financières difficiles ont été résolues. Au total, « 1 430 personnes ont été écrouées cette année dans le ressort, alors que d’autres expliquent qu’on ne met personne en prison », s’indigne Christophe Barret.
Explications du paradoxe
S’interrogeant sur l’importante distance entre l’image de la justice et la réalité de son action, le procureur avance trois explications. La première serait la croyance selon laquelle la réponse judiciaire interromprait de manière définitive un parcours de délinquance. Or, la justice n’a ni le pouvoir d’éduquer ni celui de donner un emploi. Si certains condamnés ne quittent pas la délinquance, c’est d’abord leur responsabilité personnelle et aussi le signe de certaines dérives de la société. La seconde explication réside dans la complexité de notre système pénal, qui le rend incompréhensible pour beaucoup de personnes. La troisième explication tient quant à elle au décalage entre la production judiciaire et sa perception. Mettant en avant le cas où les condamnés à l’enfermement quittent le palais de justice librement, le procureur rappelle : « La loi énonce que l’absence d’incarcération immédiate doit être le principe, afin d’adapter les conditions de la peine et de créer les meilleures chances de réinsertion. Mais pour beaucoup d’esprits, la réalité est qu’ils n’exécuteront jamais leur peine ». En réalité, l’incarcération a bel et bien lieu après examen des dossiers par les services d’exécution et d’application des peines. « Ce n’est donc pas un dysfonctionnement de l’institution ; c’est un choix du législateur au fil des réformes », conclut Christophe Barret, pour qui « la réalité de la justice n’est pas à son image, désuète et submergée. »
Faire entrer dans le concret la loi J21
Pour sa part, Eric Maréchal met en avant les différents changements qui vont intervenir prochainement, conformément aux exigences de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (du 18 novembre 2016), dite loi J21. Ainsi, la création d’un pôle social au sein d’un TGI par département se traduira pour l’Hérault par la mise en place de ce pôle spécialisé au sein du TGI de Montpellier à compter du 1er janvier 2019. Il aura en charge l’activité du départage prud’homal, celles du Tass et du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI) de Montpellier et une partie des affaires traitées par les commissions départementales d’aide sociale. La mise en œuvre au 1er septembre 2017 de la réforme statutaire créant des juges des libertés et de la détention (JLD), nommés par décret, s’accompagnera pour le TGI de Montpellier par la création d’un poste de vice-président supplémentaire. La mise en place du Service d’accueil des justiciables (Sauj) au sein du TGI de Montpellier exige des travaux d’aménagement qui sont programmés dans la salle des Pas perdus au dernier trimestre 2017, ainsi que l’organisation du travail au sein de ce nouveau service. Le TGI de Montpellier sera juridiction expérimentale jusqu’au 31 décembre 2019 de la tentative de médiation familiale obligatoire prévue par l’article 7 de la loi J21 avant la saisine du juge des affaires familiales (JAF). L’action du Conseil départemental de l’accès au droit de l’Hérault s’inscrira résolument dans la voie du développement des modes alternatifs ; son objectif sera le règlement à l’amiable. Plusieurs autres évolutions sont prévues dans le cadre de la nouvelle loi, dont l’accompagnement du changement du statut des juges de proximité, appelés à devenir des magistrats à titre temporaire. Bref, outre l’activité de jugement, les magistrats et le personnel du TGI auront fort à faire en 2017.
Yves TOPOL
Installation d’un nouveau magistrat
L’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Montpellier a été l’occasion pour la juridiction d’accueillir Sébastien Colombet, précédemment vice-président chargé de l’instruction au TGI de Fort-de-France, nommé vice-président du TGI de Montpellier. Il renforcera l’équipe des 4 magistrats en charge de l’ensemble des quelque 11 audiences correctionnelles hebdomadaires du tribunal et auxquelles s’ajouteront à compter du 1er juillet prochain les audiences de police transférées au TGI conformément à la loi J21. Par ailleurs, Marcel Tastevin assurera la coordination et l’animation du pôle pénal en remplacement de Paul Baudoin, placé en position de détachement auprès du groupement d’intérêt public « Justice coopération internationale » à compter du 1erjanvier 2017, et désormais en poste à Alger pour exercer les fonctions d’expert dans le cadre du programme d’appui à la réforme de la justice en faveur de l’Algérie.