Utilisation de la visioconférence dans la procédure pénale sans l’accord des parties

Inconstitutionnalité pour l’avenir de l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Eu égard à l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à la visioconférence, – autorisé par l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 –, ces dernières dispositions portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire durant leur période d’application.

Rappel des faits

Le 16 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation, dans les conditions de l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1327A9Z), d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. crim., 13 octobre 2020, n° 20-84.360, F-D N° Lexbase : A95443XR). Cette question portait sur la conformité, aux droits et libertés garantis par la Constitution, de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290, du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : Z56465SP).

L’article litigieux permettait, par dérogation à l’article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5595LZA), relatif aux conditions d’utilisation de la visioconférence dans la procédure pénale, de recourir, sans l’accord des parties, à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales autres que criminelles. Cette dérogation était applicable à partir de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire mis en place par la loi du 23 mars 2020, et devait perdurer pendant un mois après la fin de celui-ci, soit jusqu’au 20 août 2020.

Motifs de la QPC

Le requérant reprochait à l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 de permettre à la chambre de l’instruction de statuer par visioconférence sur la prolongation d’une détention provisoire, sans que la personne détenue puisse s’opposer à cette modalité. Selon le requérant, cette autorisation pouvait avoir pour effet de priver une personne détenue de la possibilité de comparaître physiquement devant un juge pendant plus d’une année. Il résulterait d’une telle situation une atteinte aux droits de la défense. Si les dispositions litigieuses avaient pour but la protection de la santé publique et la bonne administration de la Justice, ces objectifs ne pouvaient, pour le requérant, justifier une telle atteinte aux droits des personnes détenues.

Décision

Le Conseil constitutionnel déclare les dispositions litigieuses contraires à la Constitution.

Les Sages rappellent tout d’abord que les droits de la défense sont garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L4749AQX).

Le Conseil précise ensuite certaines circonstances dans lesquelles l’article 706-71 de Code de procédure pénale, auquel les dispositions litigieuses dérogent, permet, sous certaines conditions, de recourir à la visioconférence au cours de la procédure pénale. La Haute juridiction souligne notamment qu’en matière de détention provisoire, le débat contradictoire préalable au placement ou à la prolongation de la mesure de détention peut se tenir via un moyen de télécommunication audio-visuelle, la personne détenue ayant le pouvoir de s’y opposer, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison de risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion.

Le Conseil précise que les dispositions litigieuses de l’ordonnance du 25 mars 2020 avaient vocation à favoriser la continuité de l’activité des juridictions pénales durant la crise sanitaire. Elles poursuivaient, selon les Sages, un double objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique et de maintien de la continuité du fonctionnement de la Justice.

Toutefois, le Conseil constitutionnel constate, dans un premier temps, que les termes de l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 étendent la possibilité de recourir à la visioconférence, sans l’accord des intéressés, devant toutes les juridictions pénales à l’exception des juridictions criminelles. Il s’agit donc d’un régime dérogatoire, dont le champ d’application est extrêmement étendu, susceptible d’être appliqué tant dans le cadre de comparutions devant les juridictions correctionnelles et les juridictions pour mineurs en matière correctionnelle qu’à l’occasion du débat contradictoire précédant un placement ou une prolongation de détention provisoire. Sur ce point plus précisément, le Conseil souligne qu’il peut être recouru à la visioconférence sans considération de la durée pendant laquelle le détenu a été privé de la possibilité de comparaître physiquement devant le magistrat chargé de statuer sur sa détention provisoire.

Dans un second temps, les Sages ne manquent pas de noter que le recours à la visioconférence, tel qu’il est ouvert par les dispositions litigieuses, n’est soumis à aucune condition légale ou aucun critère. Il s’agit d’une simple faculté pour les magistrats.

Au terme de ces constatations, les Sages rappellent l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale. Le Conseil juge qu’en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à la visioconférence, les dispositions litigieuses portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire durant leur période d’application.

Portée de la déclaration d’inconstitutionnalité

Jugeant que la remise en cause des mesures, prises sur le fondement des dispositions censurées, méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel décide que ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de l’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses.
Comme le souligne lui-même le Conseil dans son communiqué de presse, c’est la première fois que la Haute juridiction censure des dispositions issues d’une ordonnance non ratifiée par le Parlement.

Adélaïde LEON


Pour aller plus loin :

• B. Fiorini, Vers une justice pénale de l’écran-total ? Réflexions sur la visioconférence en matière criminelle, Lexbase Pénal, décembre 2020 (N° Lexbase : N5708BY3).
• Réf. : Cons. const., décision n° 2020-872 QPC, du 15 janvier 2021 (N° Lexbase : A47574C8).

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